Fabienne Brugère, itinéraire d’une femme d’idées, de lettres et d’engagement


Isabelle Camus
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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 13/03/2012 PAR Isabelle Camus

Née en 1964 à Nevers, une petite ville du centre de la France frappée par la crise industrielle, c’est dans un milieu éduqué, cultivé et ouvert que Fabienne Brugère grandira. Sa mère est infirmière. Son père, cadre chez Kléber-Colombes (les pneus), une société créée en 1910 qui connaitra des restructurations successives, vivra dans la peur permanente de perdre son emploi. Une vision qui la marquera. Mais ses parents, reflets de la classe moyenne, sauront lui transmettre le refus du racisme et du sexisme. Ce qui aura pour résultat de faire d’elle selon ses propres dires : « une fille de la méritocratie… rebelle ».

Ecrivain ou philosophe
De fait, elle résistera à l’envie parentale qui aspirait à lui voir passer un bac scientifique pour devenir médecin ou ingénieur. Ses lectures d’adolescente, Sartre, Camus, Foucault et Simone de Beauvoir lui ont donné envie d’écrire. Fabienne Brugère fera soit de la littérature, soit de la philosophie, et pour cela s’inscrit en classe préparatoire de littérature au lycée Lakanal, à Paris. Un cursus qu’elle enchaine avec l’École normale supérieure de Fontenay où elle rencontrera son comparse et futur conjoint, Guillaume le Blanc, avec qui elle a, aujourd’hui, deux filles. À Paris, elle passe l’agrégation de philosophie, et entame une thèse sur « L’art et la question du jugement du goût et du beau au XVIIIè siècle ». Un début sous le sceau des Lumières et de l’émancipation. Entre 25 et 26 ans, elle vivra six mois à Londres et un an à Berlin (une ville qu’elle adore), ce qui fait d’elle, lors de ses interventions en tant que professeure invitée dans les universités de Québec, Munich ou Hambourg, une intellectuelle capable de s’exprimer aussi bien en français qu’en anglais ou en allemand. « Je me sens profondément européenne », explique celle dont le sentiment fut renforcé, à 20 ans, par la chute du mur de Berlin. «Cet événement préfigurait vraiment l’ouverture vers un monde libre. L’idée que les pays de l’Est se libèrent et l’espoir d’une Europe unique, même si après on a déchanté. » se souvient-elle.

Paris, Toulouse, Bordeaux
De retour en France, Fabienne Brugère obtient un poste d’assistante àColloque du C2D auprès des Juniors du Développement Durable de la CUB l’université de Nanterre pendant 3 ans, fait sa thèse et candidate à des postes de maître de conférences. C’est Toulouse qui lui fera une offre, quand pour Guillaume le Blanc, qui travaille sur Michel Foucault, la précarité, la vulnérabilité et les étrangers, ce sera Bordeaux. Ses thèmes à elle, ce sont l’art, le féminisme, les questions de philosophie morale et politique,de démocratie ainsi quel’éthique du Care. Un sujet qui la mettra en relation avec le laboratoire des idées du PS et la Californie, Amsterdam et Fribourg. Constamment entre Toulouse et Bordeaux, elle s’installe dans la capitale Aquitaine en 2000, pour commencer à enseigner la philosophie en 2001. En 2008, Vincent Feltesse, le président de la CUB, lui propose la présidence du conseil du Développement Durable. Un espace de démocratie participative aux côtés des élus de la Communauté urbaine de Bordeaux qui rend des avis et formule des propositions sur les stratégies et projets territoriaux, et plus généralement sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux du développement de l’agglomération bordelaise.

Développement durable, art et féminisme
Son attachement à Berlin qui l’a sensibilisée aux questions de développement durable (les Allemands ayant toujours eu trois longueurs d’avance sur nous quant à ces sujets), son intérêt pour les voyages, les questions de participation dans le cadre du C2D lui font réaliser l’importance de l’idée de l’engagement citoyen et de l’intelligence collective. Côté lettres, Fabienne Brugère a écrit huit ouvrages (livres universitaires, essais) et dirige les collections « Lignes d’art » aux Presses Universitairesde France, à Paris et « Diagnostics » aux éditions du Bord de l’eau,à Bordeaux/Lormont. Profondément féministe, la philosophe défend une égalité réelle des hommes et des femmes aussi bien salariale qu’au niveau du partage des tâches, des soins, du ménage, etc. « Il faut sortir des professions féminines et masculines, lutter contre la violence faite aux femmes et militer pour le droit à la contraception, à l’IVG et à sa pratique. Il est vraiment crucial de remettre cette question au coeur de la démocratie. Ne pas la cantonner au droit mais l’appliquer dans les faits. Je suis fière que dans le nouveau conseil du C2D on arrive à avoir 50% de femmes depuis septembre dernier ».

Une siL'éthique du Care selon Fabienne Brugèretuation préoccupante
« Car si aujourd’hui, il existe une minorité pour qui tout se passe bien, que ce soit par l’appartenance à une famille porteuse ou grâce à une passion », estime la philosophe, elle-même parfaite illustration de ce cas de figure,  « il y a beaucoup de filles et de femmes qui subissent ou valident, en la reproduisant, la domination masculine. On assiste de plus en plus à une société à deux vitesses. Et quand on constate la situation de la femme dans le monde, il y a de quoi se faire du souci. Nous sommes des privilégiées, c’est certain, mais la vigilance est de mise quand nous voyons certains partis politiques remettre ces droits en cause.Or même si nous vivons dans une société où des hommes peuvent être féministes, quand de la même manière des femmes ne le sont pas, on n’a rien trouvé de mieux que l’éducation pour déroger aux normes, aux codes et au destin imposé ».

« Du féminisme comme la subversion des places pour faire bouger les lignes de l’ordre dominant »… une pensée qui, en ces temps de regression pour nombre de femmes, mériterait bien un essai intitulé « rebellez vous » ! 

crédit photo : IC et éditions PUF

Isabelle Camus

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