Interview : Fabienne Brugère, philosophe spécialisée en théorie féministe rêve d’une société où il n’y aurait pas besoin d’une journée de la femme…


Isabelle Camus
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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 09/03/2011 PAR Isabelle Camus

@qui! : En 2011, continuer à faire du 8 mars, la journée de la Femme, 30 ans après  son instauration vous semble-t-il avoir encore du sens ?

Fabienne Brugère : Je pense qu’on devrait déjà l’intituler « la journée des Femmes », dans la mesure où les femmes vivent des situations très différentes. Entre la chef d’entreprise et la chômeuse plongée dans la précarité, les problématiques ne sont pas du tout les mêmes. Par contre, dans les deux cas, à niveau égal, nous sommes toujours confrontées à des inégalités qui renvoient au modèle patriarcal de notre société, même s’il y a une timide évolution, dans le milieu des profs par exemple où il y a des femmes contrairement à avant. Ou certains hommes politiques qui travaillent tout naturellement sans problèmes avec des femmes. Or si certaines y arrivent, le problème se pose pour les autres qui voudraient mais ne le peuvent pas, enchaînées dans leurs conditions de vie où règnent les violences conjugales, la monoparentalité ou le travail précaire. Je crains que cette journée ne dédouane et banalise plus qu’elle ne fasse évoluer. De même, le problème des femmes renvoie au problème des inégalités de plus en plus grandes entre des individus d’un même pays, d’une même région, entre les riches et les pauvres, hors genre.

@! : Effectivement, mais ne peut-on pas affirmer que la situation des femmes, ici ou ailleurs est particulièrement en régression ?

F B : Oui on le peut. Je prendrai pour exemple le thème symbolique de l’IVG qui, avec la loi Veil en 1974, en est une bonne illustration, véritable avancée, avec la contraception, de la libération des femmes. Or aujourd’hui, il y a toujours beaucoup d’avortements, avec une pratique très forte chez les adolescentes, ce qui signifie que l’éducation à la contraception, ne se fait pas bien. Deuxième point, dans le milieu médical et les politiques publiques telles qu’elles sont menées indifférement par les hommes et les femmes politiques, l’acte médical de l’avortement n’est pas comptablement rémunéré et ne bénéficie d’aucune formation dans les études médicales. Résultat, peu de médecins le pratiquent et les listes d’attente sont énormes. De fait, les lois ne suffisent pas. Il faut toujours un accompagnement volontariste pour les mettre en oeuvre. Un autre point, est celui de la précarité et de la pauvreté. Globalement sur la planète, 80% des pauvres sont des femmes. Chez nous ce sont les femmes seules avec enfants, les femmes âgées sans retraite que ne peuvent pas vivre décemment ou les étudiantes qui en arrivent à se prostituer. L’épisode de Berlusconi occulte une réalité en Italie où la situation des femmes qui ne trouvent pas de travail est dramatique. Ce n’est pas moralement qu’il faut aborder ce phénomène, mais socialement.

@! :  Quelles sont, d’après vous, les solutions à appliquer pour infléchir ces situations ?

F B : Je pense que l’éducation aux questions de genre devrait permettre aux hommes comme aux femmes de pouvoir promouvoir des conduites égalitaires entre les sexes. Quand on connait les situations de domination et de pouvoir on est plus à même de lutter contre et de les désamorcer. Et tant qu’on ne changera pas la position des femmes et des hommes dans l’espace privé et famillial, il n’y aura pas d’égalité sociétale. Les femmes devront toujours passer l’épreuve de la preuve, tellement cette tendance est prégnante dans l’inconscient collectif. Il faut un partage. Faire en sorte que les politiques publiques favorisent le partage des tâches d’éducation et de soin. Un vrai congé parental pour les pères et les mères. Rendre les professions plus mixtes et plus attractives en les rémunérant mieux. 

Photo : Isabelle Camus

Propos recueillis par Isabelle Camus

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