Les Agron’Hommes d’Opaline Lysiak: Au Japon, l’école où on apprend à aimer l’agriculture


Opaline Lysiak
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 23/09/2019 PAR Opaline Lysiak

 » Je souhaite apprendre à produire du vin comme les français » m’écrit Soraki dans son dernier mail. En novembre prochain, je l’accueillerai en France car il est déterminé à apprendre le français en pratiquant la viticulture bio dans les fermes que je lui aurai conseillées. Il a appris l’agriculture biologique dans son école, dont le nom « Ainou » signifie « Aimer l’Agriculture ».

Une nation nippone de paradoxes agricoles

En 2016, 9% de la population du Japon est agricole et l’âge moyen des agriculteurs est supérieur à 65 ans. Pourtant, la formation agricole est très présente dans le pays. Il y a 320 lycées agricoles publics, et il existe aussi dans chaque préfecture une formation en 2 ans, qui ressemble un peu à notre BTS, pour devenir agriculteur. « Pour moi, l’enseignement qui y est donné est très classique à la fois sur la manière d’enseigner et les techniques agricoles » explique Shimpei Murakami, agriculteur bio et enseignant à Ainou. En combinant les chiffres de diverses sources, j’ai conclu que 2% environ des jeunes deviennent agriculteurs à l’issue de leur formation. 

Les exploitations s’agrandissent, se modernisent de manière extrême (on parle de « zombification » de l’agriculture japonaise) ou sont laissées à l’abandon. La formation agricole serait-elle inadaptée aux enjeux d’aujourd’hui et demain? Voici des éléments pour mieux comprendre le contexte:

a) La transmission des savoirs-faire se fait encore majoritairement de père en fils avec peu d’apport de connaissances nouvelles, adaptées aux enjeux actuels et notamment l’agroécologie. Ce n’est pas obligatoire d’avoir un diplôme agricole pour être agriculteur, et ceux qui sortent de l’université d’agriculture vont souvent travailler pour des grandes entreprises agricoles, multinationales, ou pour le gouvernement.

b) C’est difficile pour un agriculteur japonais de proposer, tester et développer quelque chose de différent; l’opinion des voisins est importante et on peut être rapidement exclu de la communauté. Les japonais, en partie du fait de la longue histoire du shintoïsme, ont un sentiment d’appartenance très fort à une origine familiale unique. Le peuple japonais est un peuple soudé et harmonieux mais avec en contrepartie une difficulté à s’ouvrir à l’originalité.

Les Japonais respectent l’autorité, suivent les règles imposées par un supérieur, qu’il soit le chef d’entreprise ou l’enseignant et en général le sens de l’initiative est peu développé. « Nous ne sommes pas bons pour mener de bonnes réunions où l’échange des opinions est réel, conclut Ryoko Tsuboi, qui gère la revue de l’association d’agriculteurs qui a créé l’école Ainou. « Les fonctionnaires du Ministère de l’Agriculture sont très stricts et l’innovation pédagogique a peu de place ».

La solution réside en grande partie dans l’éducation où la création d’un terreau fertile qui permet aux jeunes de découvrir à quel point la production alimentaire est à la base de tout.

Dès lors, comment former des futurs agriculteurs qui produisent de manière agroécologique, en étant capable d’innover, de prendre des décisions de manière holistique, de s’impliquer dans la vie de leur communauté et dans les instances politiques?

 Interview des étudiants et enseignants d’Ainou, pendant la transformation des kiwis

Quand l’amour de l’agriculture passe avant la technique

En juin 2018, je découvre pour la première fois un lycée agricole où les étudiants sont autosuffisants à 70%. « Le fondateur de l’école estimait que pour répondre aux enjeux alimentaires du Japon, la base était que tous les étudiants apprennent à aimer l’agriculture, explique Aki, quinquagénaire dynamique qui gère l’internat de filles. Ils doivent développer leur capacité à aimer à travers l’action de produire la nourriture ». C’est cette idée qui a fait naître le lycée Ainou il y a 55 ans. En Japonais, « Ai » signifie  « aimer » et « nou » veut dire « agriculture ».

 

 Voilà commet on écrit Aimer L’Agriculture en japonais: c’est le nom de l’école

Aujourd’hui 60 jeunes de 15 à 18 ans apprennent l’agriculture à Iga, village situé à 1h30 de Kyoto. « Le travail aux champs a une place importante dans l’emploi du temps des jeunes, parce qu’ils doivent se réaliser à travers l’agriculture et savoir ce que cela représente réellement » explique Michiyo, vice présidente de l’école et professeur de musique.

« Les profs doivent aimer l’agriculture pour pouvoir le diffuser aux étudiants. Il y a un but commun » ajoute Ryoko. Dans nos lycées agricoles français, l’équipe pédagogique n’est pas choisie, formée pour transmettre cette passion et conserver cette vision commune.

Les 2ème année enseignent aux 1ère année

Ce sont les jeunes qui gèrent la ferme, encadrés par des enseignants ou des employés de la ferme, divisée en 6 sections: fruits, légumes, vaches laitières, cochons, poulets, céréales. Alors que nous participons à la plantation de riz, Tasho explique à ses camarades de 1ère année comment positionner les plants de riz dans le champ. « Cela me faisait bizarre d’expliquer à la place du prof, mais en fait expliquer me permet aussi de mieux mémoriser et perfectionner la technique ».

« Beaucoup de jeunes japonais sont isolés aujourd’hui, ils passent leur temps dans leur chambre et deviennent des adultes qui ne sont pas capables de communiquer avec les autres, explique Shimpei, agriculteur qui enseigne l’agriculture naturelle. Ici, tout le monde, étudiants, enseignants, vit ensemble; la connexion avec les autres et la nature est très forte »

Shimpei est président d’Ainou Kai, l’association d’agriculteurs bio qui est à l’origine de la création du lycée du même nom. Dans la vidéo suivante, il explique que les étudiants doivent d’abord prendre conscience des connaissances qu’ils ont déjà avant d’aller plus loin. « Souvent ils ne réalisent pas qu’ils ont déjà des savoirs et qu’ils doivent les connecter avec ce dont on parle en classe. Ils doivent prendre du recul par rapport à ce qu’ils pensent et apprendre à critiquer leur pensée ». Shimpei enseigne l’agriculture naturelle quelques heures par semaine et accueille une quantité impressionnante de stagiaires chaque année sur sa ferme.

« Les agriculteurs japonais sont vieux et il faut que les jeunes prennent la relève c’est pourquoi Ainou est si importante car elle forme des agriculteurs passionnés prêts à prendre la relève » explique Yoku, enseignant, pendant la séance de plantation de riz. « J’ai été diplômé de la 11ème promotion et à cette époque, dans les années 70, 80% des étudiants devenaient agriculteurs. C’est 50% aujourd’hui et toujours beaucoup plus que les lycées agricoles publics du japon, ou c’est plutôt 3% ».

Dans cette vidéo, 8 étudiants témoignent de leur intérêt pour l’agriculture et expliquent leurs projets, pour la plupart agricole, une fois qu’ils auront terminé leur formation:

https://www.youtube.com/watch?v=tV2mjMYO2F4

Et si on préparait des noodles de sarrasin?

Les bretons pas trop à l’Ouest savent que le sarrasin est une plante originaire du nord-est de l’Asie. Certaines régions du Japon et de la France réunissent les conditions de climat et le sol pour la production de cette plante. Les galettes de blé noir sont à la Bretagne ce que les soba (pâtes de blé noir) sont au Japon: le plat traditionnel qui donne sa raison d’être à la production de sarrasin. Bertrand Larcher, créateur de l’Ecole internationale de Crêperie et de nombreuses crêperies au Japon, a consacré sa vie à mélanger les deux agri-cultures par le goût.

Au Japon, on consomme aussi le sobacha, une infusion de sarrasin torréfiée aux vertus anti-oxydantes. Soraki, passionné par les plantes, souhaite partager avec les étudiants français la culture de sarrasin. Comment le sarrasin est-il cultivé au Japon de manière agroécologique? Comment les facteurs naturels, culturels, économiques, influencent-ils cela? Existe-t’il au Japon des signes de qualité, comme le label IGP Blé Noir de Bretagne? L’idée est d’aborder toutes ces questions autour d’un bon repas: des galettes de blé noir assaisonnées de sauce soja, ou des soba avec un verre de jus de pomme breton. Cela vous fait envie? Alors lisez le paragraphe suivant.

Participer au premier prototype de l’Ecole d’Agroécologie Voyageuse

Si j’ai choisi d’écrire un article sur l’école Ainou, c’est parce qu’elle partie du projet Les Agron’Hommes, dont la vision est de créer des expériences pour que les jeunes puissent apprendre l’agroécologie en travaillant dans les fermes de France et du Monde.

 L'Ecole d'Agroécologie Voyageuse

 

 

 

 

L’Ecole d’Agroécologie Voyageuse a pour ambition de créer un itinéraire de formation en agroécologie qui met les participants dans une posture de connecteur et de catalyseur de partage de connaissances, alors qu’ils apprennent eux-même au contact des agriculteurs. Chaque participant construit son itinéraire d’un an en choisissant une thématique essentielle dans la transition agroécologique, et en imaginant comment déployer ses talents pour aider les agriculteurs dans leurs projets. A la fin de la formation, les participants se retrouvent pour valoriser leur expérience au niveau local, à travers des outils de communication ou de pédagogie, ou par la réalisation d’un projet agroécologique dans une ferme.

Les participants peuvent choisir le Japon comme un pays étape pour apprendre l’art de cultiver et déguster le sarrasin, aider des agriculteurs japonais dans leurs projets, s’inspirer de l’expérience du lycée agricole Ainou, puis valoriser cette expérience en France. Dans le cadre d’une Ecole d’Agroécologie Voyageuse « inversée », Soraki et Shimpei pourront venir en France pour construire avec nous la transition agroécologique.

Pour participer au projet les Agron’Hommes: https://lesagronhommes.com

 

 

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
On en parle ! Nouvelle-Aquitaine
À lire ! AGRICULTURE > Nos derniers articles