Autonomie protéique des élevages : quelles perspectives en Nouvelle-Aquitaine ?


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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 20/05/2020 PAR Solène MÉRIC

Comme elles sont indispensables aux humains, les protéines le sont aussi aux animaux, permettant par ailleurs une meilleure productivité des élevages (plus de viande, plus de lait, plus d’oeufs…). De fameuses protéines qui se trouvent avant tout « dans les protéagineux, les drêches de céréales, les tourteaux de colza, de tournesol, de luzerne, et de soja », liste Sylvain Pellerin, directeur de recherche à l’INRAE de Bordeaux… Autant de cultures qui ont soit fortement régressé au niveau national (« le pois par exemple est passé de 800 000 ha dans le années 90 à moins de 200 000 ha aujourd’hui »), soit qui ne sont pas encore développées à la hauteur des besoins. « A l’échelle nationale on produit seulement la moitié des besoins en protéines de nos élevages », analyse en effet le chercheur.

Dépendance à l’international et préjudice d’image
Ce déficit en protéines entre consommation et production, ce sont les importations massives de matière riches en protéines et principalement de tourteaux de soja qui les compensent. En partance d’Amérique du Sud, ils prennent la destination de nos élevages français et néo-aquitains, où le constat du déficit protéique est également fait par le chercheur, et dans les mêmes proportions.

Toute grande terre d’élevage qu’est la Nouvelle-Aquitaine, l’assolement de la région est principalement dédié aux céréales à paille et au maïs grains, qui représentent à eux deux les trois quart de sa production végétale, quand la part des protéagineux en représente moins de 5%, « même si un léger regain est à noter depuis les années 2010 », nuance Sylvain Pellerin. Parmi ses « atouts », le Sud-Ouest a également vu la culture du soja commencer à se développer, mais celle-ci n’atteint pas encore les 3% des besoins de la consommation des élevages locaux… Cela dit, pour se consoler localement, cette production néo-aquitaine du soja, aussi minime soit elle, représente à elle seule 70% des surfaces nationales…

Une situation de dépendance à l’international loin d’être souhaitable rappelle le chercheur, et ce pour 3 raisons principales. D’une part « elle rend les exploitations très vulnérables à la volatilité des cours, qui peuvent varier du simple au double ». D’autre part « l’entrée massive d’aliments riches en protéines, et donc en azote, associée à la concentration de l’élevage dans certaines régions crée des situation d’excédent d’azote avec des fuites vers l’environnement » (nitrate dans l’eau, et monoxyde d’azote dans l’air, notamment). Et enfin, « la demande croissante d’aliments riches en protéines au niveau mondial contribue à la déforestation _notamment de la forêt amazonienne_ et à l’augmentation de l’empreinte carbone des produits animaux. Autant d’éléments qui pèsent sur l’image sur nos productions », synthétise t-il… Des éléments qui expliquent aussi que l’autonomie protéique est de plus en plus mise en avant dans les labels, cahiers des charges ou autres chartes qualité.

SojaPress le 1er outil de trituration du Sud Ouest

Changer d’échelle, développer des synergies, innover !
Quelles pistes alors pour combler ce déficit ? D’abord, il faut commencer par changer d’échelle, considère le chercheur. Plutôt que de considérer l’efficience de l’utilisation des éléments minéraux (dont l’azote) contenue dans les protéines absorbées par les animaux (qui en rejettent toujours la plus grande partie dans leurs effluents), il convient de prendre en compte l’animal et la surface de production associée où l’on pourra épandre ces effluents, dont l’efficience est équivalente aux engrais de synthèse, les dépenses énergétiques de la production de ce dernier en moins. «  Un système qui associe production végétale et animale, devient un système très efficient. Cela dit dans un contexte agricole d’exploitations qui se sont souvent beaucoup spécialisées, il peut y avoir un problème de bouclage du cycle de l’azote sur une même exploitation. »

Et l’hypothèse de revenir à un modèle généralisé de polycuture élevage en lieu est place de filières spécialisées étant peut probable, il faut selon lui « imaginer des formes innovantes associant agriculture et élevage soit à l’échelle de l’exploitation si possible, soit davantage peut-être à l’échelle d’un territoire. » L’innovation porterait alors par exemple sur le développement des échanges de matières (pailles, fourrage) contre des effluents, des échange de surface, voire d’animaux en organisant leur déplacement d’une ferme à l’autre. « Autant de solutions qui supposent de développer les synergies , et en cela les outils numériques peuvent aider, estime l’intervenant, pour permettre plus d’autonomie protéique et boucler la boucle du cycle d’azote à un niveau supra-exploitation » .

La deuxième piste, est de relocaliser la production végétale destinée à l’alimentation animale à travers des cultures de protéagineux, de légumineuses fourragères (luzerne ou le trèfle) ou encore des méteils (mélange de culture). Cela dit envisager le développement de ces productions, si elles ont quelques avantages (fixation de l’azote, diversification des successions,…) sous-tend un fort besoin d’innovation car il y a des freins à lever, reconnaît Sylvain Pellerin. « Ce sont des espèces dont les rendements sont bien plus variables que les grandes cultures. Il y aura donc des efforts à poursuivre pour améliorer ces rendements, elles ont aussi une certaine sensibilité au déficit hydrique et aux ravageurs », prévient-il. Autres « conseils » du scientifique : « il faudra valoriser les effets, notamment la gestion de l’azote, maintenir le conseil technique, développer des solutions innovantes et structurer les filières ».

Un Plan régional protéique pour proposer des solutions
Autant de considérations dont les acteurs régionaux du monde agricole ont déjà bien pris conscience. Ils ont engagé un travail collectif sur ce sujet de l’autonomie protéique, accompagnés par la DRAAF et la Région. Un travail formalisé au sein du futur Plan Régional Protéique, dans lequel « de l’amont à l’aval, tout le monde agricole s’est impliqué », insiste Christian Daniau, Président de la Chambre d’agriculture de Charente et Président du Comité Production végétale de Nouvelle-Aquitaine. « C’est un moment important, qui est attendu depuis très longtemps. Nous proposons des solutions qui visent à mieux faire ce que l’on faisait déjà tout en valorisant les expériences et en transmettant notamment au plus jeunes, mais qui encouragent aussi de continuer à innover, à sortir du cadre et réfléchir peut-être à de nouveaux mélanges, de nouveaux espaces, de nouvelle pratiques, de nouveaux échanges sur les territoires… tout en s’adaptant au réchauffement climatique. Il s’agit aussi de remettre la technique et l’innovation au centre ».

Parmi les pistes végétales évoquées : « la première source de protéine à laquelle on pense c’est l’herbe, et notamment au regard des sécheresses qui s’accentuent, il y a un véritable enjeu : sachons continuer à en produire, il faut garantir un accès à l’herbe pour nos animaux… et donc àun accès à l’eau pour les agriculteurs ! » glisse-t-il. Ensuite, il cite les céréales : c’est la deuxième source protéique de la région. « Si on arrive à augmenter le taux de protéine ne serait-ce que d’1% sur le blé ou l’orge, ce sera des milliers de tonnes de tourteaux de maïs importés en moins. » Et de citer également la luzerne, le méteil « à condition de bien connaître la valeur protéique de chaque grains », le tournesol, le colza, « plus délicat à mener » et enfin le soja, « la protéine par excellence au regard du taux de rendement… mais pour cette culture d’été, il y a aussi besoin d’eau notamment en fin de cycle », appuie-t-il à nouveau.

Le Plan est prêt et doit être prochainement présenter à la Région pour validation, la crise sanitaire ayant un peu retardé les choses. Côté calendrier « les premières expérimentations vont démarrer dès cette année pour un plus gros développement dès l’an prochain », assure le responsable agricole. Mais pour assurer le succès de la démarche outre le soutien nécessaires des institutions, le point essentiel sera celui de la rentabilité des exploitations. « Il faudra donc aussi que les consommateurs suivent. Les filières animales sont prêtes a utiliser des produits 100% aquitains mais ce sera plus cher…. Il faudra donc aussi que le consommateur ne change pas d’avis du jour au lendemain sur ses attentes vis à vis des agriculteurs et accepte de mettre la main à la poche ».

la luzerne déshydratée bio est en fort développement

 

Le terrain n’a pas attendu

Outre les interventions de Sylvain Pellerin et de Christian Daniau, quatre autres intervenants ont pris la parole permettant de mettre en avant que des initiatives sur le plan de l’autonomie protéique étaient déjà à l’oeuvre au sein de la région. Tant au niveau des filières que des coopératives, des entreprneurs ou encore de l’enseignement agricole.

Côté filière caprine, Jérémy Jost, ingénieur à l’Institut de l’élevage et co animateur de l’Unité Mixte Technique « Système caprin durable de demain » est venu présenté les recherches et expérimentations menées sur le renforcement de l’autonomie alimentaire des exploitations au sein de la filière caprin lait, dans le cadre du réseau à large spectre REDCap.

Guillaume Durand maître de conférence en production animale à Bordeaux Sciences agro qui tout en présentant la place de ce sujet de l’autonomie protéique dans le cursus de formation des élèves, a quant à lui développé la question des praires dans la gestion de l’apport protéique et la concurrence, ou pas, des élevages avec l’alimentation humaine.

Avec l’intervention de Mathias Hugou, un focus a été fait sur la filière soja, et notamment à Sainte-Livrade en Lot-et-Garonne, sur l’unité de trituration SojaPress de la coopérative Terres du Sud. Créée en 2012, elle transforme le soja produit localement en tourteau pour l’usine d’aliment attenante. Des investissements viennent d’être conduits pour augmenter la capacité de l’unité à 24000 tonnes de graines par an (contre 7000 en 2012).

Enfin, avec la société Durepaire à Verdille en Charente, Patrick Ménard, son directeur, a évoqué la mise en place d’une filière luzerne foin et son séchage innovant par une chaudière biomasse. Un investissement important soutenu par la Région et l’ADEME, motivé par une demande montant des agriculteurs d’une part « car c’est une plante qui a beaucoup de qualité sur les grandes cultures » et par les éleveurs d’autre part « en raison de ses fibres de qualité et de ses protéines ».

Autant d’interventions à retrouver en détails sur agriweb.tv

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