Deux-Sèvres : maintenir l’agriculture biologique en anticipant la transmission


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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 29/11/2019 PAR Julien PRIVAT

Dans le cadre à la fois du mois de la bio et de la quinzaine de la transmission, les conseillers de la chambre d’agriculture ont décidé de proposer une journée pour aborder la problématique de la transmission pour une exploitation en agriculture biologique. Une dizaine de personnes, employés agricoles, agriculteurs eux-mêmes, représentants de filières, s’est rendue à Vernoux-en-Gâtine dans le département des Deux-Sèvres pour répondre à cette invitation. « L’objectif est de voir les tenants et les aboutissants de la transmission d’exploitation, notamment lorsqu’il s’agit plus particulièrement de l’agriculture biologique, explique Romaric Chouteau, conseiller entreprise, référent agriculture biologique à la chambre d’agriculture Charente-Maritime et Deux-Sèvres. Nous voulons aborder différents sujets en lien avec cette démarche et aller plus loin, afin de répondre aux questions et aux difficultés que peuvent rencontrer les agriculteurs ».

200 exploitations bio concernées par la transmission d’ici 10 ans

Le département des Deux-Sèvres compte 466 agriculteurs en bio ou en cours de conversion au 1er janvier 2018 et 92 sont en conversion pour 2019 (chiffre arrêté au mois de novembre). « Une croissance exponentielle », commente Romaric Chouteau, mais qui ne suffit pas forcément à équilibrer la balance. Eric Ferré, responsable du pôle transmission à la chambre d’agriculture Charente-Maritime et Deux-Sèvres a commencé par dresser un état des lieux de la transmission en bio dans le département des Deux-Sèvres. Une situation quelque peu alarmante lorsqu’il s’agit du renouvellement des générations comme dans beaucoup de secteurs d’activités. Visiblement, dans l’agriculture, ce phénomène est assez marqué dans le département. Selon les chiffres qu’il a regroupé de l’agence bio, 40% des producteurs bio d’aujourd’hui ne seront pas en activité dans 10 ans. Il va donc y avoir une réduction inévitable du nombre d’agriculteurs. « Il y a quelques années il y avait le renouvellement familial qui était important. Il a progressivement disparu, indique Eric Ferré. Le mécanisme sociologique de transmission n’est plus si évidement, notamment à cause de l’image dont souffre l’agriculture. Nous sommes arrivés à une rupture de la transmission parents/enfants, donc il faut développer les installations hors cadre familial. C’est souvent plus compliqué à gérer que dans un contexte familial ». Le responsable du pôle transmission a recensé 200 exploitations qui, d’ici dix ans, seraient concernées. Ce qui représente 5 500 hectares de cultures de vente, 100 hectares de maraîchage, 5 500 hectares de surfaces fouragères, 1 700 vaches allaitantes, 700 vaches laitières, 1 500 chèvres, 2 000 brebis. D’après lui, il faudrait 45 à 50% d’installation en plus, hors cadre familial, pour maintenir la production en bio, car les 2/3 des exploitations bio n’ont pas de repreneurs identifiés. Pour répondre à ces questions, le maître-mot serait l’anticipation. 

Exploitants en AB en Deux-Sèvres selon leur âge

« On observera un maintien de l’agriculture biologique s’il y a de l’anticipation, confie Eric Ferré. Il faut se laisser le temps d’identifier des repreneurs potentiels. Puis il faut raisonner de manière à ce que les exploitations restent en bio ». Il citait l’exemple du maraîchage où les jeunes préfèrent créer leur exploitation plutôt que d’en reprendre une. « L’anticipation pour une entreprise agricole ne se traduit pas seulement par une offre, poursuit-il. Il faut travailler sur une vision plus large pour attirer les porteurs de projets, car un grain de sable peut faire plomber tout le processus de transmission ». Pour cela, il existe des diagnostics souvent proposés par les différentes chambres d’agriculture, mettant en avant différents points comme la maîtrise du foncier, la rentabilité économique, les dimensions sociales, l’environnement/le voisinage, la maison d’habitation, le travail/la main d’oeuvre, les bâtiments… « Cela peut nous donner une vision sur la qualité de transmissibilité. C’est un indicateur », appuie Romaric Chouteau. Un diagnostic qui peut à la fois rassurer les éventuels repreneurs, mais également les personnes qui financent le projet. Autre chose primordiale, l’échange entre les cédants et les repreneurs. « Il peut se présenter sous différentes formes, à la fois du parrainage ou encore une année de salariat, ça participe souvent à la réussite d’une installation », renchérit-il.

La ferme de la Martinière bénéficie du label bio cohérence. Les 220 chèvres produisent 180 000 litres chaque année.

L’exemple de la Martinière

Depuis le 1er janvier 2019, un couple de jeunes agriculteurs vient de prendre la relève de la famille Blais. « Je suis né ici, indique Jean. Cela faisait 140 ans que la famille possédait la ferme de la Martinière ». Jean et Lucette Blais ont réfléchi de longue date au fait de céder leur exploitation. Il y a dix ans, ils ont eu l’opportunité d’acheter un terrain pour y construite leur nouvelle maison et y passer leur retraite bien méritée. Ils étaient propriétaires de la ferme qui comptait alors 220 chèvres et des poules pondeuses pour de la vente directe et 40 hectares de surface, le tout en bio (la conversion a été faite en 2008). Depuis 2014, ils réfléchissaient à la transmission de leur exploitation. « Nous aurions trouvé des repreneurs plus tôt, nous serions partis plus tôt », précise Jean Blais. Ils ont reçu plusieurs candidats. Un couple qui s’est séparé avant la reprise, d’autres avec qui le courant n’est pas passé. « Si nous n’avions pas trouvé de repreneurs, nous aurions vécu ça comme un échec et du gâchis. C’est pour ça que nous avons pris le temps. Nous nous étions donnés jusqu’à la fin de l’année 2019 avant de partir en retraite », explique Lucette Blais. Tout bonnement, ils ont anticipé et trouvé en 2018. Romain Le Dret et Marie Ristor se sont présentés à eux. « La première rencontre s’est bien passée. Ils ont une formation, un savoir-faire. Il y a de la volonté dans leur réflexion », expliquent en choeur Jean et Lucette Blais. D’autant plus que le jeune couple leur a demandé une faveur : être salariés de l’exploitation des Blais durant un an. « C’est eux qui l’ont proposé, nous avons tout de suite accepté ». Chaque matin, il y avait le café quotidien. Tout le monde se consultait sur les tâches à faire. Jean allait travailler à la construction de sa maison pendant que sa femme, Marie et Romain s’occupaient de l’exploitation.  

Romain Le Dret et Marie Ristor ont repris la ferme de la Martinière au 1er janvier 2019. Ils s'occupent d'un élevage de 220 chèvres.

Avant de devenir agriculteur, Romain Le Dret et Marie Ristor travaillaient pour un bureau d’études environnementales à côté de Poitiers. « Nous avions l’impression de ne pas être à notre place », confient-ils. Tous les deux ont passé en 2016 leur Brevet Professionnel Responsable d’Exploitation Agricole (BPREA). Après, ils ont enchaîné les boulots. Romain a notamment été salarié d’un élevage caprin. « Je leur donnais à manger et je m’occupais de la traite ». Puis, ils sont tombés sur la ferme de la Martinière en bio cohérence (c’est au-dessus du label bio, le cahier des charges est plus contraignant) qui répondait à leur souhait. Le couple voulait engranger un peu d’expérience en faisant une année de salariat. « C’était pour nous rassurer un peu. Puis nous avons pris connaissance avec le troupeau de chèvres. Nous avons découvert comment gérer l’exploitation », reconnaît le couple. « J’ai fait ma première botte de foin, j’ai réalisé mes premiers semis et mes premiers labours », précise même Romain. Pour Lucette Blais, l’expérience était enrichissante à tout point de vue et même rassurant pour les cédants qui ont même pu prendre leurs premiers week-ends depuis qu’ils ont repris la ferme en 1982. « Ils ont bien bossé quand même », sourit Lucette.  

De nouveaux projets

Romain et Marie ont déjà plein de projets Tout d’abord, ils souhaitent valoriser les 180 000 litres de lait produit par les 220 chèvres de leur cheptel d’alpines. Actuellement, ils sont en train d’installer un laboratoire dans l’un des bâtiments de la ferme pour élaborer des fromages de chèvres : chabis, buchettes, crottins entre autres. Un investissement de 80 000 euros qui devrait permettre au couple de passer de 30 litres à 100 litres de production chaque jour. Avec cette initiative, ces deux jeunes agriculteurs comptent développer la vente directe sur la ferme. « Nous sommes déjà ouverts les mercredis et samedis après-midi », spécifient-ils. Et comme il y a de l’orge sur la ferme, Romain veut aller plus loin en proposant de la bière locale. Il attend le retour de son orge qui est en train d’être maltée en Auvergne. Il devrait commencer sa production en janvier prochain et la proposer à la vente à ce moment-là. Pour l’instant, c’est une période calme pour Romain et Marie, les chèvres sont en période de gestation pour les unes et de tarissement pour les autres (c’est-à-dire d’arrêt de production du lait) avant la mise-bas et la reprise de la production pour le mois de janvier. Leur installation s’est donc bien passée ; un an après les voyants sont au vert et leurs différents projets prennent peu à peu vie.

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