Épandage en Charente : syndicats et chambre d’agriculture font de la pédagogie 


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Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 28/10/2019 PAR Julien PRIVAT

« Le but est d’expliquer et d’informer » confie Julien Massé, président des JA de Charente. Même discours du côté de la FNSEA 16 et de Jean-Bernard Sallat. « Nous sommes dans une logique d’explication de notre métier, de nos pratiques. Nous nous justifions mais ce que nous faisons est légal. Il faut que les gens comprennent ce qu’est l’agriculture aujourd’hui ». Dans ce champ du lycée agricole de l’Oisellerie, une démonstration d’épandage était programmée ce lundi 21 octobre. Les produits pharmaceutiques ont été remplacés par de l’eau et au moins quatre bouteilles de menthe et des colorants alimentaires pour que les gouttelettes puissent faire des marques. Au sol, une nappe blanche en papier, disposée en limite du bras articulé du tracteur. Des papiers hydrosensibles ont été éparpillés dessus pour déterminer la dérive. 

 « C’est une communication positive basée sur une démonstration de terrain, explique Christian Daniau, président de la chambre d’agriculture de la Charente, pour que vous voyez la pratique sur le terrain. Cette démonstration s’inscrit dans une démarche de la chambre agriculture, afin de retrouver le dialogue avec les citoyens ». L’agriculture fait partie des secteurs économiques importants en Charente et figure parmi les premiers employeurs du département, avec plus de 12 000 salariés dans ce secteur. Cette communication sur l’épandage est avant tout destinée aux journalistes qui pourront relayer les résultats de la démonstration. Mais les deux syndicats et la chambre d’agriculture souhaitaient également s’adresser aux élus qui, déception, n’ont pas vraiment répondu à l’invitation. « Nous voulions recréer le dialogue avec nos élus », reconnaît Christian Daniau. Seul élu présent, Thierry Charbonnaud, conseiller délégué à Roullet-Saint-Estèphe. Il est d’ailleurs lui-même agriculteur. « J’explique souvent mon métier aux gens. Je leur fais un point sur les réglementations. Il y a beaucoup de questions sur les pratiques d’agriculteurs, les nitrates, l’eau et maintenant les pesticides. Je leur réponds souvent que l’agriculteur fait en sorte que la culture soit dans le meilleur environnement pour pousser et grandir et que nous aimons l’environnement et la nature ». Ce n’est pas un hasard si le lieu de cet épandage fictif se déroule à La Couronne. Le maire Jean-François Dauré avait été l’un des premiers dans la région à prendre un arrêté anti-pesticides le 16 septembre dernier. Un arrêté qui devrait être invalidé par la préfecture de Charente. Le choix du lycée n’est pas anodin non plus. Pour le président de la chambre d’agriculture de Charente, c’est aussi une manière de « montrer les pratiques de demain, c’est le rôle des lycées et des établissements de formation ».

La machine agricole pulvérisait de l'eau avec du colorant alimentaire et de la menthe afin de marquer les gouttelettes d'eau sur la nappe blanche installée pour la démonstration

Expliquer avant d’agir

Avant de passer à l’action, les agriculteurs sont passés par une phase d’explications. S’ils pulvérisent ce n’est pas par hasard. C’est pour lutter contre des insectes, pucerons, mauvaises herbes et autres maladies qui ont un impact sur leur culture. « Parfois cela peut diviser notre rendement par deux ou trois », explique Christian Daniau. L’épandage est très réglementé. Il y a des périodes d’autorisation. Et même lorsque les professionnels peuvent le faire légalement, ils utilisent des outils d’aide à la décision (OAD) pour évaluer la pertinence d’un choix . « Ces outils nous donnent des pistes indicatives pour protéger notre culture », poursuit-il. Le président de la chambre d’agriculture montre des cuvettes de couleur. Dedans, les agriculteurs mélangent de l’eau et du produit vaisselle. Les insectes y sont piégés et restent à l’intérieur, ce qui permet de voir la présence des insectes et de savoir s’il faut traiter ou non.  « S’il n’y en a pas, nous n’appliquons pas de produits, car ils nous coûtent cher et nous ne le faisons pas sans raison ». Pour les cultures de blé, ils utilisent un système de plaque collante qu’ils positionnent sur le blé. Les pucerons viennent dedans et les agriculteurs envoient ensuite des échantillons en laboratoire pour voir s’ils sont ou non inoffensifs.   

Autre point évident avant de pulvériser, les professionnels du monde agricole interrogent la météo. « Nous la consultons plusieurs fois par jour via nos applications et même certains d’entre nous ont investi dans des stations météo de pointe », indique Julien Massé. Quand ils prennent la décision de pulvériser,  ils doivent faire attention à la température, aux précipitations, l’hydrométrie, au risque du vent (sa direction, sa vitesse). « En ce moment les conditions sont optimales. Il n’y a pas de pluie prévue, un vent de 10km/h maximum est indiqué sur la prévision. Nous pouvons donc faire des applications dans ces conditions », confie Christian Daniau.  

Un permis pour utiliser les produits phytopharmarceutiques 

Dans des conditions optimales, le tracteur commence à pulvériser ce produit fictif. Au volant, Ludovic Massacret, secrétaire général de la FNSEA 16. Il est détenteur d’un Certiphyto, une certificat individuel de produits phytopharmaceutiques. Il est nominatif et reconduit tous les cinq ans. « Il me donne la possibilité d’utiliser des produits phytopharmaceutiques. Toutes les personnes qui épandent doivent l’avoir. Il le faut également pour acheter ces produits. » Au bout de cinq ans, les agriculteurs détenteurs de ce certificat repassent une formation sur deux jours avec à la fois des mises à jour sur l’application, des questions d’environnement, des parties plus techniques. Chacun répond ensuite à un QCM de 30 questions et a le droit à seulement cinq erreurs. « C’est un peu comme l’épreuve du code de la route », sourit Ludovic Massacret.                            

Le pulvérisateur était équipé de buses anti-dérives. Résultat de la mesure réalisée par Christian Daniau et Julien Massé, seulement 25 cm de dérive par rapport à l'extrémité du bras.

La nappe est positionnée à la limite de la barre de pulvérisation. « Nous allons voir les limites de la dérive « , promet Christian Daniau. Le tracteur est équipé de longs bras de buses anti-dérive. C’est un système qui aspire les gouttelettes pour éviter que cela forme une nappe de brouillard et que des gouttes se répandent partout. Ce matériel, beaucoup d’agriculteurs le possèdent. Le tracteur s’élance, baisse la barre de pulvérisation au plus bas. Une fois qu’il est passé, c’est l’heure des résultats. Christian Daniau et Julien Massé sortent le mètre et mesurent au centimètre près. Résultat : 25 cm de dérive. «  Si la situation n’avait pas été favorable, nous ne l’aurions pas, avoue Christian Daniau. Vous savez, nous avons tant de choses à faire, de l’administratif, remplir des papier.s. Nous ne faisons pas n’importe quoi. Sachant qu’en plus ces produits nous coûtent cher. » Donc à chaque épandage, ces professionnels mettent la bonne dose. « De quelques dizaines de grammes à quelques kilos maximum par hectare. Concernant les gouttelettes, le papier hydrosensible a dévoilé le résultat. « Voilà la preuve par l’image, je vous laisse juger », poursuit le président de la chambre d’agriculture. Les gouttes sont effectivement régulières, là où est passé le bras et plus on s’éloigne, moins il y en a. Et même à l’autre bout de la nappe il n’y a rien…

« Pour réduire l’utilisation des produits, de nouvelles techniques arrivent. Ça ne se fera pas du jour au lendemain. Il faut faire des tests, de l’expérimentation. Nous avons besoin d’être soutenus pour aller vers des méthodes plus vertueuses », explique Christian Daniau, qui en profite pour rappeler que l’agriculture française est l’une des plus vertueuses au monde. Elle est présente dans ce classement depuis au moins trois ans par The Economist Intelligence Unit qui l’établit selon une quarantaine d’indicateurs, répartis en trois catégories (le gaspillage de l’eau et de la nourriture, la durabilité des méthodes agricoles, la gestion des problématiques nutritionnelles).  Guillaume Chamouleau, vice-président de la chambre d’agriculture de la Charente, président du Comité d’ Orientation des Grandes Cultures en a profité pour apporter une précision sur la définition des pesticides qui sont faits pour tuer et endiguer des fléaux. « Ils causent des problèmes sur notre récolte, j’ai été touché par une maladie et je suis passé de 80 quintaux à 15… » Il rappelle surtout que dans les pesticides, il y a plusieurs produits, les phytopharmaceutiques, les biocides, les médicaments, les produits à usage vétérinaire. « En France, nous utilisons plus de médicaments (170 000 tonnes) que de produits phytopharmaceutiques (66 000 tonnes). Je pense qu’il faut raisonner de manière plus large. D’autant que les agriculteurs utilisent seulement 1 800 produits dont 1/4 sont bio », précise-t-il.

Des pulvérisateurs confinés pour la viticulture 

La viticulture aussi s’y met pour traiter les vignes. Elles représentent tout de même en Charente 34% de la valeur finale de la production agricole. Les viticulteurs se sont équipés et ont pris de l’avance sur leur homologue des départements viticoles voisins. En plus, ils profitent du fait que les vignes soient plantées avec suffisamment d’espace entre chaque rang. « Moi je ne traite pas, je protège. Dans la vigne, nous utilisons un peu plus de produits que dans les autres exploitations, mais nous travaillons à les réduire », confie Julien Massé, président des JA 16 et viticulteur. « Nous avons besoin de ces produits », poursuit-il. Pour protéger des maladies et de nouveaux insectes qui arrivent. Le moustique tigre a été repéré en Charente en 2018 et semble même s’être implanté en 2019. Anne-Marie Vaudon, vice-présidente de la chambre d’agriculture de Charente, présidente du Comité d’ Orientation de la Viticulture, a présenté un outil, une remorque qui se place derrière un tracteur et qui coûte entre 40 et 60 000 euros et même jusqu’à 80 000 euros selon les options. Il s’agit d’un « pulvérisateur confiné avec des panneaux de chaque côté du pulvérisateur et de la soufflerie, qui font que les produits sont captés de chaque côté. » Les excédents sont récupérés et la dérive quasiment inexistante. « Nous récupérons de 20 à 70 % des produits autrefois perdus dans la nature », précise Julien Masé. La perte est moindre. « La Charente est le département où ce produit s’est le plus vendu. Cela nécessite bien sûr de l’investissement pour les viticulteurs, les sociétés ou les Coop », précise Anne-Marie Vaudon.

Le département de la Charente, réputé pour sa vigne, est le plus doté en nombre de pulvérisateurs confinés utilisés pour traiter la vigne

Autre machine exposée, celle acquise par la chambre d’agriculture de la Charente (et financée par les fonds européens LEADER). Il s’agit d’un pulvérisateur qui sert à faire des expérimentations sur des rangs de vigne non-traités. Des essais du type biocontrôle qui permettent de réduire les doses, de tester de nouveaux produits. Là encore il s’agit d’un pulvérisateur confiné avec le même principe, une soufflerie et des panneaux de confinement. Un « jouet » qui accompagne Clément Bertrand, consultant viticole expérimentateur « Ces produits testés par la chambre d’agriculture peuvent servir à établir une nouvelle stratégie pour avoir un meilleur rendement,  tout en respectant l’environnement. Prévoir une récolte de qualité et en quantité. Avec cet engin je vais pouvoir tester plus », confie-t-il. Cette expérimentation, Clément Bertrand la faisait manuellement encore cet été, ce qui prenait quand même plus de temps. « Beaucoup de produits arrivent sur le marché, explique Christian Daniau, nous avons besoin de les tester pour savoir ce qu’ils apportent en plus. Cet engin va nous permettre de multiplier les expérimentations et d’aller plus vite pour les solutions de demain ».

Habitués des opérations « communication », la FNSEA 16, les JA 16 et la chambre agriculture de la Charente ne comptent pas s’arrêter là. « Cette démonstration est une première étape, nous ferons d’autres actions dans les semaines à venir », promet Jean-Bernard Sallat, président de la FNSEA 16. Parmi elles, une opération d’analyses d’urines pour les agriculteurs, comme ça s’est fait en Vendée ou dans le Morbihan. Car ce sont eux qui sont le plus exposés à tous ces produits phytopharmaceutiques qui font peur aujourd’hui à l’ensemble de la société. Ils enverront tout ça à un laboratoire agréé situé à Limoges. « Après nous pourrons discuter des résultats. Mais j’espère que les gens seront réceptifs. Nous nous donnons les moyens d’expliquer nos pratiques. Nous ne voulons pas nous sentir agressés en face. Il faut que tout le monde puisse nous écouter et nous voulons lutter contre cet agribashing », conclut Christian Daniau, le président de la chambre d’agriculture de la Charente, assez remonté par l’image dont souffre aussi sa profession. La chambre travaille d’ailleurs sur une charte de bon voisinage en coopération avec l’Association des Maires de France (AMF) : avec en filigrane un espoir : que citoyens et agriculteurs finissent par s’entendre et se comprendre.

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