Gironde : quand l’oenotourisme crée ses passeports


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 13/07/2020 PAR Romain Béteille

Pleine saison au château La Dauphine, 53 hectares en agriculture biologique situés à Fronsac. Habituellement, à l’année, profile Marion Merker, responsable oenotourisme du domaine, c’est environ 5000 touristes qui viennent visiter, chaque année, cet écrin de nature en plein coeur du libournais, dont une grande majorité d’américains. Malgré la réouverture des frontières européennes, la confusion est toujours de mise, et, il faut bien le dire, les américains ne sont pas prêts de revenir goûter le vin. « Le challenge pour nous sur la saison, c’est donc d’attirer les visiteurs français et les locaux. En général, ce sont ceux qui profitent le moins des pépites qu’il y a autour d’eux. On essaie donc de trouver des solutions et d’unir nos forces pour les faire venir ». 

Passeport fidélité 

L’offre oenotouristique du vignoble bordelais, qui se développe chaque année, est aujourd’hui pléthorique : vous pouvez faire un tour en side-car, en vélo électrique ou déguster du vin perché au sommet d’un cèdre. Mais pour 2020 et avec l’espoir d’un rebond local, de nouvelles initiatives voient le jour en post-confinement. Justin Nicolas, responsable évènementiel au château La Croizille depuis trois ans (et ancien responsable commercial chez Air France, comme quoi être au bon endroit au bon moment, ça se cultive…), a visiblement eu le confinement créatif. Ce vendredi 10 juillet, il profite du beau cadre de La Dauphine pour présenter une nouvelle offre commerciale. Elle prend la forme d’un « passeport », valable jusqu’au 31 décembre, qui regroupe six lieux différents du terroir de la rive droite bordelaise, en l’occurence les appellations Saint-Émilion, Pomerol et Fronsac. Quatre châteaux dont un en bio, une brasserie (bio, elle aussi) et un restaurant spécialisé dans les fromages et les plats du terroir.

Château La DauphineAu Château de La Dauphine.

« J’ai eu l’idée il y a quatre ans, en voyageant », explique Justin. À Lisbonne ou dans un petit village anglais, il voit fleurir ce système de « passeport », en fait constitué d’offres préférentielles, sur quelques rues commerçantes, une sorte de carte de fidélité qui ne dit pas vraiment son nom mais qui propose de fédérer les établissements plutôt que de les mettre en concurrence, comme le font déjà les syndicats d’appellations lors d’opérations promotionnelles éphémères. « Il fallait qu’on soit complémentaires dans les prestations. A La Croizille, vous visitez un château moderne et un autre plus traditionnel. À La Dauphine, ça va plutôt être centré sur le côté bio de la propriété. A Tailhas, ce sera l’aspect familial qui sera mis en avant. Au Cloître, il y a un bar à vins, des galeries souterraines et ils font du crémant. Ça se complète et ça représente le terroir ».

Un terroir organisé

Ce terroir, donc, a pour vocation d’être promu sur un territoire plus large à travers les commerces spécialisés (commerçants, cavistes) mais aussi les hébergeurs et les offices de tourisme locaux. Chaque établissement propose ses propres offres, mais presque tous ceux qui peuvent accueillir des visites en proposent une gratuite pour une achetée. Au Cloître des Cordeliers, on préfère offrir une flûte de vin pétillant « cuvée Grand Vintage ». Au Restaurant Bis (extension du très bordelais Baud et Millet), on offre une dégustation de fromages. À la fin, si on les fait tous, on fait tamponner son passeport et on est inscrit à un tirage au sort qui peut permettre de gagner plusieurs lots (magnums de vins, bons d’achat). Les visites sont ouvertes aux particuliers comme aux entreprises. 

On l’a également vu, le delta de l’offre est lui aussi étendu: jusqu’à fin décembre ou les espoirs sans doute d’une saison à rallonge. « Le but de ce passeport, c’est que les gens reviennent avec. On sait que la saison sera particulière, on souhaite donc que chaque personne puisse revenir. On le propose aussi en anglais, pour pouvoir attirer la clientèle étrangère », précise Justin.  « On sait qu’on est plus partenaires que concurrents, il y a assez de touristes et de travail pour tout le monde », ajoute Marion, qui a vu le secteur de l’oenotourisme faire un bon ces dernières années. « Il y a huit ans quand j’ai démarré, il n’y avait rien, j’ai monté le circuit de visites ici. Ça commençait à peine, c’était vraiment les prémices. Il y avait déjà des châteaux ouverts, mais ça n’était pas organisé. On voit qu’aujourd’hui, c’est important pour tout le monde d’être ouvert au public, ça permet de faire rayonner Bordeaux ». 

Espoirs et attentes

Il faut dire que côté ventes, les vins de Bordeaux tentent de multiples initiatives pour séduire des consommateurs moins… consommateurs, justement, des prix en baisse pour les primeurs et un contexte international fortement miné, notamment par la taxe Trump sur les vins tranquilles français. Que ce soit au travers des campagnes de communication (on peut citer « Un goût d’été bordelais ») d’un nouveau label (« Pensons local, vivons Bordeaux ») ou d’initiatives similaires au passeport rive droite (l’OenoVisa en Graves et Sauternes), les moyens de séduire se multiplient.

Xavier Brung, propriétaire du restaurant Baud et Millet et de son antenne « bis », reste lucide. « Le confinement était tranquille, il n’y avait pas de danger. La difficulté arrive maintenant dans la façon dont on va gérer nos affaires, se sortir du lot et se diversifier pour avoir un petit pécule. Il faudra avoir les reins assez solides pour pouvoir gérer le fait qu’il n’y ait pas de monde et pouvoir arriver à s’en sortir quand même. J’ai vu des gens qui n’étaient pas effrayés, j’ai vu des gens frileux et d’autres qui ne l’étaient pas. J’ai des appels tous les jours pour réserver une table à Bordeaux. Je ne peux pas rester fermé, il faut que j’ouvre. J’ai envie d’ouvrir, d’être ingénieux pour trouver quelque chose pour faire venir les clients. Le passeport est un moyen », commence-t-il en nous racontant brièvement la transformation de cette ancienne crèperie qui a réouvert ses portes sous une nouvelle forme en septembre 2018.

« On peut avoir toutes les meilleures offres possibles, le problème reste toujours de savoir si on aura le client. On est tous en train de se battre pour faire des propositions idéales comme si nous avions en face de nous un volume de gens énormes. On ne prospecte plus, on pense qu’appuyer sur un bouton pour envoyer l’info n’amène pas un engagement réel des clients. Il faut reprendre le téléphone ». Quitte à faire une année test. « Peut-être que l’année prochaine, il y aura plus de châteaux participants à l’opération », espère Justin. Preuve que l’offre souhaite s’installer durablement ou qu’il faudra plus d’une année pour se refaire du retard accumulé et de la désertion de la clientèle étrangère ? Sans doute un peu des deux… Si, pour les châteaux de certains terroirs, le téléphone se remet à sonner, il faudra certainement attendre encore quelques mois pour savoir si ces « passeports » ont bien été tamponnés… 

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