Ingénieurs agronomes et attentes sociétales: le temps de la pédagogie est venu


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 20/05/2018 PAR Solène MÉRIC

Après le panorama de l’emploi des ingénieurs agronomes présenté par Amanda Ramirez, Responsable Développement et Animation Uniagro, le doute n’est plus permis: ces ingénieurs pas comme les autres, évoluent dans des postes très variés dans des secteurs eux aussi très diversifiés. Leur sensibilité aux questions voire critique de leurs concitoyens, paraît donc comme primordiale, pour ces personnes diplômées pour leur connaissance des sciences du vivant…

Expliquer, vulgariser, donner le mode d’emploi
Mais n’y a-t-il pas tout de même une incohérence à être ingénieur agronome et travailler au sein d’un groupe chimique et pharmaceutique, ou bien avec le même diplôme, être responsable marketing au sein d’une société semencière, spécialisée en grandes cultures hybrides ? Aucune contradiction là dedans, expliquent Isabelle Ladeveze, Ingénieur Agriculture Durable au sein du groupe Bayer et Vincent Portier, Responsable Solutions Grandes Cultures MAS Seeds (ex Maïsadour Semences). Bien au contraire. « J’ai toujours été intéressée par une vision large de la protection des plantes. C’est un moyen d’augmenter la production, parmi d’autres. Mon rôle au sein de la société Bayer, est d’accompagner la mise en œuvre sur le terrain des solutions que nous proposons, que ce soit les solutions chimiques ou les outils de biocontrôle. Il s’agit, par exemple, d’aider à mieux utiliser les produits ou encore de mettre à disposition des outils d’aide à la décision pour traiter au plus juste, ou ne pas traiter, la vigne au regard du risque mildiou et oïdium ».
Quant à Vincent Portier, « Le rôle de mon équipe est à la fois de capter les attentes sur le terrain pour les transmettre au service R&D, puis à l’inverse de vulgariser, de donner le mode d’emploi des nouvelles variétés pour pouvoir les commercialiser auprès des agriculteurs », explique-t-il avant de fournir deux exemples précis. « A partir de l’anticipation des besoins de nos clients tel celui de vouloir réduire leur impact sur l’environnement en diminuant les pesticides, le service R&D pourra chercher à mettre en place des croisements entre variétés ayant des traits de plus grande tolérance naturel génétique, à certains bio-agresseurs… De même sur le besoin en eau du maïs qui a longtemps subi de fortes critiques en la matière, nous sommes parvenus à développer des améliorations génétiques, pour obtenir des variétés plus tolérante à la sécheresse et aux coups de chaud. Comparer à il y a 15 ans, les maïs actuels ont une bien meilleure résilience vis-à-vis du stress hydrique, et c’est autant d’économie d’eau réalisée. »
Et la logique est la même quand les attentes émanent plus directement encore de la société : « Les questions liées à la nutrition sont de plus en plus un sujet de débat, notamment celle des matières grasses et de leurs impacts sur la santé. Etant semencier en oléagineux, nous pouvons travailler sur cela, en identifiant les différents profils oléagineux, afin à terme d’obtenir des huiles pour la consommation humaine qui soient de meilleure qualité sur la santé. Et nous serons aussi là pour expliquer ces qualités, et la manière dont elles ont été obtenues ».
Ne pas être dans la réaction face à des discours parfois très manichéens
Expliquer, vulgariser, bref donner les clés voilà bien l’élément central des interventions de ce vendredi. Isabelle Ladevèze, confirme : « Pendant longtemps mon entreprise a peu expliqué, parce qu’aussi, on ne lui demandait pas de compte… Mais ça a créé une méconnaissance, voire aujourd’hui une peur concernant nos produits. Ces évolutions des attentes du marché, l’entreprise en est consciente. Et l’effort est fait de manière importante pour communiquer, et expliquer. Nous avons créé un site internet qui permet de comprendre comment les produits arrivent sur le marché, ainsi que les évaluations et les contrôles auxquels ils sont soumis, notamment au niveau européen, avant leur commercialisation. De la même manière nous avons mis au point, depuis 2005, des outils de gestion des effluents phytopharmaceutiques pour que l’eau de nettoyage des pulvérisateurs ne retourne pas telle quelle dans la nature… Cela fait plus de 10 ans, que nous avons fait procéder à sa certification par le Ministère de l’environnement ! Mais mieux expliquer, mieux communiquer, et progresser de l’intérieur, c’est une démarche qui se poursuit ».
Bruno Millet, Commissaire général du Salon, et ingénieur agronome de formation opine : « Les ingénieurs agro ont su donner les outils permettant de répondre aux enjeux d’une époque. Sans doute avons-nous aussi des responsabilités dans les critiques que nous fait la société d’aujourd’hui. Mais, selon moi, il ne faut pas être dans la réaction brute face parfois, à des discours très manichéens. Nous avons à assumer, et à reprendre la main… Face à des « anti-tout », soyons des « pro-tout » ! En tous les cas, disons et expliquons ce que nous faisons le plus clairement possible. »
Un souci d’ouverture d’esprit qui se retrouve dès la formation des ingénieurs agronomes, témoigne Olivier Lavialle, Directeur de Bordeaux-Sciences Agro, dont l’école déploie de nombreux partenariats avec les entreprises et la profession agricole. « Le monde agricole, au sens le plus large, y compris donc les écoles d’ingénieurs agro, doit accompagner, communiquer sur ce qu’est capable de faire l’agriculture pour répondre à des aspirations qu’en réalité nous avons tous. Pour y parvenir au mieux, il y a une vraie interrogation sur la finalité de nos formations et métiers. Quel que soit leur emploi futur, nos étudiants sont sensibilisés aux grands enjeux à venir de l’agriculture dans les 10 prochaines années autour d’un projet #AgricultureInnovation2025 qui balaie de nombreux sujets tels que l’agro-écologie, la bioéconomie, l’agriculture numérique, la robotique, l’agroéquipement. Autant de thèmes qui lient agriculture compétitive et respect de l’environnement.»

 

« La bobo écolo qui compte les papillons »
Le respect voire l’amour de l’environnement, et de la biodiversité, c’est ce qui motive depuis longtemps Emeline Bentz, ingénieur agronome, qui dès sa sortie de l’école, s’est engagée professionnellement dans divers associations et ONG de protection de l’environnement. Un engagement qui n’a pas été toujours bien compris par ses camarades de classe, dont pourtant la sciences du vivant était au cœur de leur formation. « Les plus sympas d’entre eux m’appelaient parfois en rigolant « La bobo écolo qui compte les papillons »; mais d’autres ont carrément coupé les ponts. » Un témoignage qui démontre bien que les réflexions autour des formations pour sensibiliser plus encore les élèves ingénieurs agronomes ne sont pas inutiles…
Quant à Emeline Bentz, particulièrement convaincue, même son précédent poste au sein de la Fondation Nicolas Hulot, ne lui a pas réellement permis de satisfaire son désir de « vouloir activement changer les choses » elle s’est récemment lancée un nouveau pari : une reconversion professionnelle dans la production bio. Après une formation spécialisée complémentaire, elle est actuellement ouvrière agricole dans un maraîchage bio à Eysines. Signe tout de même que les temps changent, ses camarades ne l’appellent plus « la bobo écolo qui compte les papillons ». La voient-ils sans doute plutôt au service d’une alimentation de qualité, totalement en phase avec les attentes de la société. Elle avait juste un petit temps d’avance.

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