Installation grandes cultures : pour Aurélie Léger, la passion surpasse les coups durs


A.L.
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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 15/05/2020 PAR Julien Privat - Solène Méric

On peut voir le Futuroscope depuis certaines de ses parcelles. Au total, un peu plus de 300 hectares de surfaces répartis entre « colza, blé, orge, maïs, tournesol, luzerne, et cette année j’ai aussi fait des pois », liste-t-elle. La clef des champs, Aurélie a décidé de s’en saisir, il y a presque 2 ans. Quitter son job et sa vie en Normandie pour « un retour aux sources » comme elle dit. Le déclic : le départ à la retraite de son parrain, cousin de son père, et agriculteur. « Je suis originaire d’ici, ma famille, et mes amis d’enfance sont ici. Mes parents ne travaillaient pas dans le milieu agricole mais mon grand-père était agriculteur. Je me suis installée en hors cadre familial pour prendre la suite de mon parrain, mais ces terres se sont bien les terres familiales », pointe-t-elle.

Passion agronomie
Si cette tentation de « reprendre le flambeau » a participé au déclic, c’est aussi sa passion pour l’agronomie qui l’a poussée à se lancer dans l’aventure. « L’interaction entre la vie agronomique du sol et la vie de la plante, c’est passionnant. Partir d’un mini grain de blé et suivre son évolution, depuis le semis jusqu’à la récolte je trouve ça hyper intéressant », « extraordinaire » appuie-t-elle avec enthousiasme. Aurélie est donc bel et bien de ces passionnés qui tout en reconnaissant « qu’il faut s’accrocher » ou que « c’est un peu dur parfois » – on sent là l’euphémisme d’une première année et demie « qui n’a pas été simple » – décident de ne rien lâcher.

Et pourtant, des difficultés elles en a rencontrées : les oiseaux, le gel l’an dernier qui a détruit une parcelle de maïs, les limaces, qui avec les dernières pluies s’en prennent sérieusement à ses tournesols, les sangliers qui l’ont amenée cette année à déjà resemer une parcelle de maïs… « C’est très rageant de voir que notre travail, notre investissement, peut être détruit en une nuit, en un week-end !». A cela s’ajoutent les difficultés du métier quant au choix « stratégiques » dans la conduite de l’exploitation. « Sur l’ensemble de mon exploitation j’ai une hétérogénéité de sols qui fait sa diversité aussi, car j’ai des groies superficielles très caillouteuses avec une réserve utile très très faible, et à l’inverse, des argiles fortes, difficiles à travailler sur lesquelles il ne faut pas se louper. Il y a forcément une adaptation à faire en fonction de ces types de sols »… mais de la météo aussi. « On s’adapte tout le temps ! ».
Installée selon le dispositif du parrainage auprès de son parrain, qui l’est donc désormais à double titre, c’est le choix des Techniques Culturales Simplifiées (TCS), autrement dit sans labours, à l’exception du maïs, qui a été adopté pour mener les cultures. « J’apprends tout le temps, je ne suis qu’à ma deuxième année et j’ai fait des erreurs. J’en ferai sans doute d’autres mais le but c’est d’apprendre de ces erreurs-là et de ne pas re-faire les mêmes ! », et la passion reprend le dessus sur l’amertume des coups durs. 

Echanges, partage et entraide

Aurélie Léger s'est installée en grandes cultures au nord de Poitiers, à bord de son tracteur

Une passion, une envie d’apprendre, qui amène Aurélie Léger à participer à plusieurs groupes d’échanges et d’informations entre agriculteurs. Tant au sein de la Chambre d’agriculture de la Vienne où elle a rejoint un petit groupe d’agriculteurs « qui échangent sur les techniques culturales et les problématiques pour améliorer ses cultures et pour évoluer », qu’au sein de la coopérative à laquelle elle est adhérente. Là, elle participe au groupe « Capsol ». Celui-ci s’intéresse à l’agriculture de conservation, c’est à dire l’agriculture en semi direct sous couvert ou sous couvert permanent. « L’idée ici est de travailler le moins possible le sol pour moins le perturber. C’est très intéressant ! », s’enthousiasme-t-elle. Intéressant et a priori aussi inspirant pour des évolutions futures sur son exploitation… Mais ces belles ambitions agronomiques ne sont pas encore à l’agenda de la jeune femme : « Je ne suis qu’à la deuxième année d’exploitation, j’ai encore beaucoup de choses à apprendre en termes de connaissance et d’organisation avant de me lancer », assure-t-elle.

Pour celle qui ne semble pas considérer son métier autrement que dans l’échange, le partage et l’entraide, son installation dans le cadre d’une coopérative agricole, celle de la Tricherie, à Beaumont (Vienne) n’est donc pas vraiment une surprise. Et comme elle ne fait pas les choses à moitié, elle a aussi choisi d’en intégrer le conseil d’administration. « En intégrant la coop on sait où vont nos productions. On fait du blé pour tout ce qui est biscuitiers, meuneries, pains de qualité CRC (Cultures Raisonnées Contrôlées, ndlr)… et on sait pourquoi on travaille : des filières courtes et des filières qualités ». Autre atout : « Le blé est analysé régulièrement et les échantillons sont stockés pour pouvoir avoir une traçabilité. » Autrement dit les attentes du consommateurs ne sont pas oubliées, ce qui n’est pas pour déplaire à l’agricultrice, bien au contraire.

Installation, distribution: la coopérative comme alliée
Des cahiers des charges, la coopérative en pose un certain nombre qui se traduisent dans le mode de production d’Aurélie : le conventionnel raisonné, « parce qu’on ne traite pas pour le plaisir de traiter », glisse-t-elle en réponse aux clichés parfois tenaces. Mieux, « la coopérative de la Tricherie est engagée dans tout ce qui est haute valeur environnementale, le HVE niveau 3 », pointe la jeune agricultrice qui précise: « des produits contenant certaines molécules sont interdits d’utilisation au sein de la coopérative, les blés doivent respecter un niveau IFT (Indice de fréquence de traitements) qu’on ne peut pas dépasser. La coopérative est aussi très engagée dans les blés CRC, c’est-à-dire que ces blés doivent respecter certains critères qualité par rapport à la pollution de l’air. Autrement dit, ils ne peuvent pas provenir de parcelles proches de routes passantes. » Autant de précautions auxquelles la céréalière « adhère totalement ».

La coopérative de la Tricherie l’a également accompagnée dans le cadre de son installation, au même titre que de nombreux organismes agricoles, comme la Chambre d’agriculture, les assurances, les banques, son centre de gestion, et bien sûr les aides Jeunes agriculteurs. « C’est assez appréciable pour un jeune installé pour qui il n’est pas toujours facile de faire les avances de semences, d’engrais… » 

« S’installer en tant que femme dans un milieu d’hommes »
Mais, outre le challenge de l’installation en elle-même et de la gestion de 300 ha de cultures avec une conviction agronomique qui n’est plus à démontrer, « s’installer en tant que femmes dans un milieu d’hommes, ça non plus ce n’était pas forcément évident ». Alors, comme elle a l’habitude de le faire, Aurélie s’est tournée vers ses paires : les agricultrices (exploitantes ou salariées) et femmes d’agriculteurs, réunies dans un groupe baptisé « Pause Café ». Son objectif était de « chercher de l’entraide, et pouvoir discuter notamment des difficultés du quotidien ». Mais au delà d’une parole échangée, ce sont des projets très concrets qui naissent désormais au fil des rencontres des membres, une vingtaine au total, de cette commission départementale 100% féminine. Exemples : un calendrier 2020, dont l’édition 2021 va aussi voir le jour « sous un format retravaillé », la création de paniers garnis pour les fêtes de fin d’années « avec des produits locaux du terroir venus d’exploitations tenues par des femmes », des actions contre le cancer du sein, « les bottes roses », une présence sur les événements agricoles, ou encore un projet en cours de création de goodies personnalisés…

Autant de projets et une solidarité féminine, qui sont comme une bouffée d’air pour la jeune agricultrice face à ce qu’elle appelle ses « soucis du quotidien ». D’ailleurs ce soir, comme la veille et l’avant-veille, elle ira éteindre ses canons, en espérant que les piafs ne se soient pas trop habitués aux coups de semonce réguliers.

 

Retrouvez en images l’interview d’Aurélie Léger

 

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