Installation et accès au foncier : Interview croisée de Gaëtan Bodin, Président Jeunes Agriculteurs Nouvelle-Aquitaine et Jonathan Lalondrelle, Secrétaire général JA Nouvelle-Aquitaine


Jonathan Lalondrelle et Gaëtan Bodin
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Temps de lecture 12 min

Publication PUBLIÉ LE 27/11/2020 PAR Solène MÉRIC

@qui! : Jonathan Lalondrelle, vous avez été le premier Président de Jeunes Agriculteurs Nouvelle-Aquitaine, de 2016 à 2020. Quel est votre constat sur la dynamique des installations dans la région ?

Jonathan Lalondrelle : Sur les 4 premières années, on s’est retrouvé avec un double défi. D’abord fusionner 3 syndicats régionaux, pour créer un véritable syndicat régional à taille Nouvelle-Aquitaine et qui soit un vrai support à destination de nos structures départementales car ce sont elles qui font le boulot de terrain et d’accompagnement des jeunes qui s’installent. Il y a 4 ans, on finalisait aussi le travail sur la Dotation Jeunes Agriculteurs (DJA, ndlr) et sur tous les critères que l’on avait à mettre sur la région Nouvelle-Aquitaine.
Depuis 4 ans on a pu remarquer que ce travail d’accompagnement des syndicats départementaux et du syndicat régional vers les gens qui s’installent, en plus d’une DJA vraiment refondée et améliorée, ça a permis de ramener plus de jeunes vers le dispositif installation. Après bien sûr, on sait qu’on a une crise de la vocation, qu’on a en tout cas du mal à remplacer les agriculteurs qui prennent la retraite par des nouveaux jeunes. On est sur un tel niveau d’agriculteurs proches de la retraite que c’est difficile de trouver toutes les solutions pour renouveler les générations en seulement 4 ou 5 ans.
Cela dit, en 2019, on compte 645 installations aidées, c’est 2,7% de plus par rapport à 2018 qui avait connu une augmentation remarquable du nombre de dossiers. A ce chiffre, il faut aussi ajouter les 131 prêts d’honneur accordés à des porteurs de projet en agriculture non éligibles à la DJA; c’est 30% de plus que l’année précédente. La dynamique elle y est, l’envie de faire ce métier je pense que pas mal de personnes l’ont, mais avec des profils, des attentes et des envies qui évoluent. Et là c’est à nous de nous adapter aussi à ce nouveau « public ».


@! : Et justement, Gaëtan Bodin, vous qui êtes désormais le nouveau Président des JA Nouvelle-Aquitaine, ça correspond à quoi ces nouveaux profils et ces nouvelles attentes qu’évoque Jonathan Lalondrelle?

Gaëtan Bodin: Il faut d’abord rappeler qu’en Nouvelle-Aquitaine, on a une grande diversité d’agricultures avec beaucoup de filières et chaque filière a ses nouveaux profils et peut accueillir des profils différents. Ensuite, de manière générale, on voit bien que les jeunes sont de plus en plus formés, et les attentes sont de plus en plus grandes. Il y a des attentes sociétales fortes, des attentes notamment sur l’environnement, sur la production mais aussi sur la viabilité économique des exploitations. Et c’est une donnée qui est très importante quand on parle de dynamique à l’installation. On ne pourra pas conserver une dynamique importante sans que les agriculteurs ne gagnent correctement leur vie, il faut toujours le rappeler… Aujourd’hui il y a des filières qui sont en crise, il ne faut pas avoir peur de le dire, et c’est problématique parce qu’on perçoit, malgré que ce soit un métier de passionnés, que c’est un frein à l’installation.


J.L. : Les nouveaux profils, ce sont des personnes en reconversion professionnelles, surtout des jeunes issus du milieu agricole qui ont fait le choix d’aller travailler ailleurs, d’avoir une autre formation et qui reviennent à l’âge de 30-32 ans sur l’exploitation des parents. Ensuite ce sont des personnes pas du tout issues du milieu agricole, qui ont peut-être une image des fois un peu faussée de notre métier et de ses perspectives… Dans mon département des Landes, en 2020 on a quasiment une installation sur deux qui va se faire en maraîchage, alors que ce n’est pas du tout l’activité économique principale du département. Or, ces activités là, comme les filières volailles de qualité dans laquelle je suis, elles ont du mal à trouver des personnes et des jeunes pour remplacer des agriculteurs qui partent ou vont partir en retraite. C’est là que JA doit s’adapter pour répondre à ce public et le réorienter vers des productions dont on a besoin. Produire pour se faire plaisir c’est bien, mais il faut aussi penser que derrière il y a une alimentation, des consommateurs au bout et si on ne produit pas ce qu’ils attendent, et ce dont ils ont besoin, l’agriculture se trompera de chemin.

« installation-agricole.com, le site vitrine du renouvellement des générations »

@! : Malgré la dynamique que vous décrivez, le défi du renouvellement des générations est donc toujours bien là. Au niveau régional, comme au niveau national, 2 agriculteurs sur 3 de plus de 50 ans, n’ont pas de solution de reprise. Quelles sont les actions des JA pour « booster » plus encore cette dynamique à l’installation ?

GB: Il y a plusieurs choses. Aujourd’hui le syndicat JA par l’intermédiaire de ses départements mais aussi avec l’appui de la structure régionale fait beaucoup de promotion métier dans les collèges et les lycées. Il s’agit d’expliquer ce qu’est le métier d’agriculteur, ce qu’on fait exactement, et parfois encore essayer de changer une image de notre métier qui, à un moment, a été vieillissante… Même si aujourd’hui, ça a évolué dans le bon sens grâce au renouvellement des générations et des jeunes qui communiquent plus facilement sur leur métier avec les réseaux sociaux.
La promotion métier, ça c’est quelque chose que fait JA au quotidien. Il y a les forums installation dans les lycées agricoles auxquels participent des fils et filles d’agriculteurs qui se destinent à reprendre les exploitations, mais aussi des jeunes qui s’intéressent aux métiers de l’agriculture de manière globale en envisageant de travailler dans une coopérative, de devenir technicien, mais qui peuvent aussi être intéressés par l’installation. Et dans ces actions au contact des jeunes, tous les départements en Nouvelle-Aquitaine sont très très dynamiques.
Mais parmi nos actions phare, il y a aussi le site installation-agricole.com qui est complètement dédié à la mise en commun des connaissances et de tout ce qui existe sur le sujet de l’installation en agriculture. Ce site internet pour moi, il a de belles heures devant lui, et il faut absolument qu’on arrive à le développer. Mais je laisse Jonathan en parler puisque c’est lui qui a mené le projet durant son mandat.

JL : En effet, les JA Nouvelle-Aquitaine ont travaillé depuis 3 – 4 ans, sur deux sites internet : stages-agricoles.com et installation-agricole.com. Ce site permet à des jeunes de pouvoir découvrir où se former, comment se former, à quelles aides prétendre, ou encore à découvrir quels sont les partenaires en agriculture, avec notamment toutes les chartes à l’installation disponibles en Nouvelle-Aquitaine. Il y en a plus de 90 ! Bientôt il y aura aussi en ligne une cartographie et un agenda de toutes les structures qui font des actions de communications et de promotions du métier d’agriculteur. C’est un peu le site internet « L’installation pour les nuls » si on peut le dire comme ça! Même si vous ne connaissez rien au métier d’agriculteur, il vous donne quelques clés, quelques outils, un référencement des écoles et des lycées qui gravitent autour du monde agricole, et vous pouvez aussi y peaufiner votre installation.
A l’origine c’est une initiative des JA de Gironde qui est vite remontée au niveau du syndicat régional. Et désormais il est géré par le réseau JA Nouvelle-Aquitaine; c’est un vrai site vitrine du renouvellement des générations. Ce site est tout jeune, il a donc vocation à être amélioré et à évoluer dans le temps pour être encore plus un outil d’accompagnement à l’installation des jeunes.

Le site installation-agricole.com

@! : Qui dit installation dit foncier… Un sujet qui est aussi une des missions premières de la Safer, comment travaillez-vous avec elle et quel regard portez-vous sur cette structure au regard des enjeux que porte l’installation?

J.L : La Safer c’est un outil de régulation du foncier, et beaucoup de pays européens envient notre système français grâce auquel les agriculteurs ont un véritable outil de protection du foncier. Un outil auquel tous les membres du syndicat Jeunes Agriculteurs sont attachés. A travers la Safer on a le système le plus impartial possible pour vendre des terres et pour permettre la transmission, l’installation, ou accompagner les personnes en difficultés ou autres, tout en préservant du foncier agricole pour que ce foncier reste productif. C’est vraiment quelque chose de très important pour nous, et on s’y implique. Au niveau départemental il y a des comités techniques SAFER dans lesquels il y a un membre du syndicat Jeunes Agriculteurs, mais aussi d’autres syndicats agricoles. Au niveau régional, le syndicat est aussi représenté, c’est moi qui ai la chance d’y siéger. On y débat un peu plus des projets et des outils que la Safer peut mettre en œuvre et qui sont déclinés dans les départements.
D’ailleurs, la Safer a beaucoup d’outils qui ne servent pas qu’à l’installation des jeunes. Sur l’installation, on peut par exemple parler du portage foncier qui est un outil très important (un dispositif d’acquisition progressive proche de la location vente, qui permet de différer l’investissement sur le foncier et ainsi d’alléger l’endettement au moment de l’installation, ndlr), il y a aussi toutes les règles liées au schéma des structures qui permettent de toujours mettre en priorité un jeune qui s’installe par rapport à un agrandissement par exemple. On peut aussi citer l’accompagnement pour avoir des baux ruraux et éviter parfois la surenchère et donc protéger le loyer foncier pour que les installations ne se fassent pas hors de prix. Même si bien sûr elle ne peut pas tout contrôler, il est certain que la Safer est un vrai outil d’accompagnement à l’installation des jeunes même si elle pourrait être encore renforcée.

G.B: L’accès au foncier, c’est en effet, une condition sine qua non à l’installation. Même s’il existe des ateliers ou des activités agricoles pour lesquelles le besoin en foncier peut-être moins important, il en faut quand même. Et si on n’a pas de moyens pour laisser les jeunes accéder au foncier, il y a moins d’installations voire pas d’installation du tout. Comme le dit Jonathan, la Safer a un rôle de régulateur et d’arbitre pour définir à qui part tel ou tel champ ou telle ou telle parcelle, avec des jeunes qui sont effectivement prioritaires dans les comités techniques Safer et dans les CDOA pour les autorisations d’exploiter.
Malgré qu’il soit décrié, avec une Safer qui n’a pas toujours une très bonne image, on a un système en France qui fonctionne bien. Pour avoir déjà siégé dans des comités techniques, surtout au niveau départemental, je peux assurer que la Safer et les représentants qui sont autour de la table jouent le jeu. Il y a la loi mais il y a aussi une vraie philosophie pour faciliter l’accès au foncier, et réguler les prix de la terre pour que ceux-ci ne soient pas déconnectés de la rentabilité de l’outil de production. La terre ne doit pas être un produit de spéculation, et la Safer travaille pour que ça n’arrive pas.
En France on a des prix qui restent, entre guillemets, assez faibles par rapport à d’autres pays européens. Même si on peut considérer que c’est déjà bien trop haut dans certains départements, et que c’est un frein à l’installation, on doit réguler cette augmentation du prix du foncier en France et en Nouvelle-Aquitaine parce que sans cela les jeunes ne pourront pas accéder ni aux terres ni au métier d’agriculteur. C’est très clair. En Allemagne ou Belgique, où les prix sont très très élevés, d’autres systèmes sont mis en œuvre ; les jeunes ne sont plus propriétaires du foncier, ils accèdent au métier d’agriculteur par un autre canal, et finalement le nom même d’agriculteur perd un peu de son sens… Il faut quand même que l’agriculteur soit fermier ou propriétaire de son terrain pour pouvoir exploiter pleinement son métier.

« La dynamique de l’installation est liée à l’essor économique de la filière »

@!: Jonathan Lalondrelle, vous disiez que le rôle de la Safer pouvait être renforcé, qu’entendez-vous par là ?

JL : Je pensais particulièrement au portage. Selon moi il n’y a pas assez d’acteurs qui s’impliquent sur le portage, et en même temps on pourrait le pousser plus loin. Je m’explique. Le portage, c’est une solution pour accéder à un peu de foncier mais sur une exploitation il faut qu’il y ait déjà une base solide, et il faudrait que ça aille, au-delà de l’achat de foncier, sur l’achat de bâtiments d’élevage ou de matériels liés à de l’élevage. Il a en effet beaucoup été utilisé sur la partie viticole ou alors purement céréalière, alors que la vraie crise des vocations elle est sur les filières d’élevage. On a certes un problème de revenu sur ces filières-là pour attirer du monde, mais le revenu il est d’autant plus compliqué à aller chercher quand les investissements sont trop lourds. Concrètement, quand vous avez une exploitation de 150ha céréalière, avec un atelier bovin viande ou lait à vendre, les 150ha ils vont être repris, mais plutôt sur de l’agrandissement. Ou, si c’est repris par un jeune, il n’y a sans doute que les 150 ha en agriculture qui seront repris, et pas l’atelier en bovins viande ou en bovins lait. C’est malheureux parce qu’on a vraiment besoin de renforcer ces filières et d’avoir un véritable accompagnement là dessus… Sur ce sujet, la Safer a un rôle à jouer mais je pense aussi aux coopératives, aux banques, aux conseils départementaux, aux conseils régionaux… si tout le monde y met un peu du sien pour pouvoir accompagner la reprise d’exploitations en filières d’élevage notamment, on arrivera à installer un peu plus de jeunes.

G.B : C’est vrai ce que dit Jonathan, mais, j’insiste, on peut mettre tous les dispositifs en place possibles et imaginables, s’il n y a pas de revenu, l’installation est plus difficile de toute façon. Je peux témoigner de mon département et de l’appellation. Ca fonctionne très bien, et la dynamique à l’installation, elle est là sur la partie viticole, avec tous les profils qu’on évoquait au début de l’entretien qui reviennent. Il y a des jeunes qui reviennent sur les exploitations par ce que le métier est intéressant et c’est un métier de passionnés, mais il reviennent aussi parce qu’effectivement à la fin du mois, ils arrivent à se sortir un salaire décent à la hauteur de leur travail. Et clairement les services installation des chambres d’agriculture se rendent bien compte que la dynamique, elle est liée à l’essor économique de la filière.

@! : Avez-vous d’autres travaux en cours, réflexions ou mobilisation sur la question de l’accès au foncier par les jeunes installés et porteurs de projet ?

J.L : Oui deux autres sujets nous tiennent à cœur, et sur lesquelles les sections départementales nous sollicitent aussi : le travail à façon et le photovoltaïque au sol, qui vont nous occuper pour 2021. Le travail à façon on a vraiment commencé le boulot dessus puisque la SAFER justement nous a demandé de réaliser une enquête dont on espère pouvoir faire la restitution tout début d’année 2021. L’objectif aussi c’est que notre syndicat puisse prendre des positions claires sur ce qui est acceptable ou non sur le travail à façon, et ensuite, il en sera de même sur le photovoltaïque au sol, parce qu’on ne pense pas qu’on puisse résumer à « je suis pour » ou « je suis contre ». On n’a jamais raisonné comme ça aux JA, et je suis sûr que Gaëtan est d’accord avec moi, c’est par la concertation, le travail et la réflexion qu’on peut se positionner sur un avis tranché mais qui nous permet à tous d’expliquer pourquoi on a cet avis là et quel argumentaire on peut créer derrière.
Un autre sujet qui nous interpelle, c’est le projet du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine et sa feuille de route Néo Terra. Vouloir d’ici 10 ans 80% de bio ou de HVE niveau 3 alors que il n’y a pas de débouchés ni de filières qui sont capables de l’absorber, je trouve que c’est dangereux… Et pour en revenir au foncier, attention aussi parce qu’à partir du moment où vous avez pris le chemin de convertir un foncier agricole à de nouvelles pratiques, notamment sur le bio ou le HVE 3, faire marche arrière sera très compliqué. Il ne faudrait pas que ça mette en danger la partie accession au foncier pour des jeunes qui voudraient s’installer demain sur d’autres filières.

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