Les agriculteurs manifestent à Bordeaux


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 21/02/2018 PAR Romain Béteille

On vous dira qu’ils étaient une centaine, nous on pense qu’ils étaient un peu moins. Plusieurs dizaines, dirons-nous. On a compté le reste aussi : les tracteurs, eux, étaient huit. Les vaches, deux (des blondes d’Aquitaine). Les CRS devant la préfecture de Gironde, plus d’une vingtaine. Mais l’ambiance était moins à la violence de l’affrontement qu’à une colère plus sourde profitant de l’échéance du futur Salon de l’Agriculture pour sortir. Ce mercredi matin, plusieurs dizaines d’éleveurs venus de toute la région se sont donc réunis devant l’Hôtel de Région, à Bordeaux, armés seulement d’un mégaphone et d’une grosse pile de tracts singeant la maquette du journal Libération, une fausse une baptisée « distorsions ». Les raisons de la colère ? Elles sont écrites noir sur blanc en guise de chapô. « D’un côté, l’État contraint, interdit, limite, taxe, freine et fragilise les entreprises agricoles dont dépendent 15% des actifs français; de l’autre, il ouvre les frontières, acceptant les molécules interdites, les pratiques frauduleuses et les relations sociales douteuses » 

Voilà donc le nerf sensible de la mobilisation lancée par la FNSEA (et leurs pendants départementaux) et les Jeunes Agriculteurs, qui ont essaimé plusieurs manifestations de cet ordre à Agen, Périgueux, Poitiers ou encore Angoulème : quatre pays intégrés faisant partie de la communauté économique du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) seraient en passe, après de très longues années ponctuées de négociations et de pauses, de passer un accord commercial avec l’Union Européenne pour favoriser l’importation de quelques 70 000 tonnes de viande sud-américaine en Europe (dont 35 000 tonnes de produits frais et 35 000 autres congelés). Les choses ont eu beau ralentir à plusieurs reprises, le projet de suppression des droits de douane pèse lourd : on parle d’un gain estimé à quatre milliards d’euros pour les exportateurs européens. Le protectionnisme américain est passé par là entre temps et un accord pourrait être passé avant la fin de l’année 2018. Mais le fait que cet accord se joue à une échelle mondiale n’a pas empêché les Jeunes Agriculteurs de décrocher, plus par symbolisme, un drapeau de l’Europe des hampes installées devant l’Hôtel de Région. Où a-t-il fini ? On va vous le dire.

Concurrence déloyale

La circulation de la ligne de tram A a été perturbée en milieu de matinée, deux piles de pneus ont été déversés sur la route par des bennes accrochées à des tracteurs, avant que tout le monde ne se dirige vers la préfecture de Gironde. Sur la route, on interroge un responsable des Jeunes Agriculteurs de Nouvelle Aquitaine, qui ne mâche pas ses mots. « L’ouverture totale du libre-échange entre l’Amérique du Sud et l’Europe, ça signifie demain la mise en concurrence déloyale d’agriculteurs brésiliens ou argentins qui produisent moins chers et ne respectent pas les mêmes normes. On n’est pas contre le libre-échange, on ne veut pas se replier sur nous-mêmes. Par contre, si vous voulez vendre en France, vous devriez respecter les mêmes règles ou garder vos produits. L’origine de la viande est certes obligatoire sur les produits, mais quand vous allez dans un restaurant où dans les cantines, personne ne sait quelle viande on vous met dans l’assiette, alors que plus d’un repas sur deux est pris en restauration collective ». « La production agricole, ça sert surtout à nous nourrir. C’est plus important que des Airbus… ça ne doit pas être commercialisé de la même manière en tout cas parce que ça nous aide à vivre selon les choix qu’on fait. Il y a déjà des distorsions de concurrence entre nous, ce qui ne nous arrange pas. Si en plus il vient de la production d’ailleurs complètement déconnectée de nos règles et dont on sait trop bien comment elle est produite, c’est encore plus déloyal. Les éleveurs disparaissent, beaucoup de jeunes ne s’intéressent plus à l’élevage parce qu’ils ne gagnent pas assez bien leur vie », souligne Michel Amblard, représentant de la FDSEA en Charente-Maritime. 

Marc, éleveur à Saint-Yzan, n’est pas plus tendre. Cet éleveur bovin en limousine est directement concerné par la crise de l’élevage français depuis qu’il a repris l’exploitation de son père, il y a peu. « J’ai 170 mères aujourd’hui, et je peux vous dire que même si j’en avais 300 je ne pourrais pas vivre de mon métier. Ce qui nous intéresse, c’est de vivre, pas de survivre avec les aides. On dit que l’agriculture française est la meilleure du monde, vous l’avez entendu vous aussi… Alors comment ça se fait que la viande française ne se vende pas en France, qu’elle parte en Italie et qu’on veuille importer des viandes d’ailleurs qui vont faire plomber le cours de la viande en France ? Ça fait un an et demi que je suis installé, je suis toujours à zéro. On est obligés de faire de plus en plus de travail pour survivre, on ne peut pas concurrencer des viandes piquées avec des produits qui sont interdits en France. On n’a plus rien à perdre. Si aujourd’hui ce traité passe, on est morts ».  Installés au croisement des rues Marguerite Crauste et François de Sourdis, les manifestants ont attendu, avec quelques invitées surprises venues se joindre à la fête (deux belles blondes d’Aquitaine un peu perturbées par tout ce barouf). Là, le nouveau préfet Didier Lallement a visiblement préféré envoyer l’un de ses délégués pour essayer de parlementer. Près d’une demi-heure plus tard, voici ce qu’il en est ressorti. « On est dans un cycle de négociations qui est assez long. Vos demandes, comme dans toutes les préfectures où vous serez reçus, seront portées à la connaissance du gouvernement. Le préfet de région s’est engagé à vous recevoir de nouveau, l’État est conscient des points que vous soulevez. Des efforts sont demandés à l’agriculture qui est, en même temps, une richesse en termes d’aménagement du territoire, vous êtes un des maillons essentiels, et le gouvernement en est pleinement conscient ».

agriculteurs Mercosur

Satisfaits ? Rassurez vous, les agriculteurs ne l’étaient pas non plus. Alors ils ont déchargé des bottes de paille, ils les ont arrosées et ils y ont mis le feu. C’est là qu’on a retrouvé le drapeau européen dont la symbolique ne vous échappera pas. Pour le reste, les manifestants promettent que ce n’est que partie-remise. « Je ne sais pas si on a les moyens de s’attaquer à un marché mondial. On veut surtout préserver notre agriculture et faire en sorte qu’on puisse vivre de notre travail. Les charges et les unités de production sont très différentes, on ne peut pas supporter cette concurrence », dit un responsable FDSEA de la Creuse. « On a un peu l’impression d’être la variable d’ajustement sur des échanges commerciaux qui ne nous concernent pas », continue Michel Amblard. « On verra en mars ou avril, mais ce qui se passe aujourd’hui ce n’est que le début », promet pour sa part le responsable régional des Jeunes Agriculteurs. Le président de la FNSEA Nouvelle Aquitaine, Philippe Monnard, a l’air un peu moins radical que ceux demandant la suppression de l’accord : pour lui, seuls « les produits agricoles doivent sortir du traité. On compte sur Alain Rousset pour convaincre Emmanuel Macron ». Le Président de la Région Nouvelle Aquitaine ayant récemment fait par de ses inquiétudes, les futurs mouvements attendront sûrement la fin de la 55ème édition du Salon International de l’Agriculture, qui ouvre ses portes ce week-end porte de Versailles à Paris. « On ne va pas manifester au Salon de l’Agriculture, on ne veut pas se tirer une balle dans le pied… ». La grand-messe annuelle pourrait tout de même avoir un goût de torchon brulé…

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