Les Agron’Hommes d’Opaline Lysiak: S’inspirer d’une ferme Australienne pour faire l’agroécologie en France


Opaline Lysiak
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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 07/01/2019 PAR Opaline Lysiak

Régénérer la situation, pas la maintenir

«On ne fait pas d’agriculture durable; on ne veut pas que ça dure mais que la situation s’améliore». Voilà comment Randal Breen, 37 ans, résume ce qui motive chaque action réalisée sur la ferme. Avec sa compagne Juanita, ils investissent dans la régénération des sols mais cet investissement est peu coûteux car ce sont les animaux qui s’en chargent… Grâce à la créativité humaine, les poules pondeuses, les cochons et les bovins fournissent suffisamment de produits pour la santé économique de la ferme. Et là aussi les choix ne sont pas anodins et le couple a un objectif bien précis dans un futur proche: approvisionner 500 familles en oeufs, viandes, et pourquoi pas produits végétaux à travers un système de type AMAP. Aujourd’hui, les produits sont écoulés sur les marchés et par un système de pré-commande par mail; quand les produits sont disponibles la ferme répond au client. « Notre philosophie est que les clients font partie du processus de production; sans eux nous ne serions pas là. En tant qu’éleveurs nous n’avons pas à dépendre du marché et nous construisons un système qui ramène de la sécurité, du pouvoir aux mains de l’agriculteur ». Le terme anglais pour AMAP est CSA pour Community Supported Agriculture; il montre bien à quel point les consommateurs influencent la production alimentaire.

La poule, couteau suisse des Australiens

« Chez nous les herbicides, insecticides, fertilisants et outils de travail de sol sont remplacés par un outil ultra efficace: les poules ». Juanita et Randal ont créé Echo Valley Farms en 2009, après une formation en gestion holistique (voir plus bas). Les premiers poulaillers mobiles arrivent sur la ferme en 2014, aujourd’hui au nombre de 5 pour 3000 poules pondeuses au total. « Amenés dans les prairies après nos vaches, les poules éparpillent les bouses et mangent les larves de mouches. Les bénéfices sont multiples: des poules pleines de forces, pas d’antiparasites, des terres fertilisées et une flore adventice maîtrisée ». Les volailles préparent le terrain pendant 3 à 7 jours avant l’implantation en direct – sans travail du sol – d’un couvert végétal qui prendra 8 semaines environ pour se développer… et être à son tour pâturé par les vaches. Pour le moment pas de céréale car il faut continuer à régénérer ces sols qui ont connu 100 années de labour intensif. Les 500 poules d’un poulailler laissant derrière elles 30 kilos de déjections, on peut calculer la quantité d’éléments fertilisants apportés. « Nous prévoyons d’implanter des variétés anciennes meunières de blé et de l’avoine, espère Randal. La gestion holistique est un état d’esprit, pas une méthode étape par étape. Elle nous donne une ouverture d’esprit et une aptitude à transformer le négatif en positif en jouant avec une boîte à outils que l’on maîtrise ».

Poulaillers

> Vidéo: l’écosystème vache-poules-cochons des Breen: https://youtu.be/rR8GMafeQcY

C’est quoi la gestion holistique ?

« L’élevage nous sauvera de la désertification, de la faim et de la guerre ». C’est ce dont Alan Savory, qui a développé la philosophie de la gestion holistique depuis 40 ans, , est convaincu. Mais pas n’importe quel élevage: il faut imiter la nature, c’est à dire reproduire à l’échelle de le ferme les migrations des troupeaux sauvages. Au début de sa recherche, Alan Savory a cherché à comprendre pourquoi les écosystèmes desquels on avait « retiré » l’élevage en pensant bien faire se dégradaient encore plus, la végétation ne revenant pas. Il en a conclu que les écosystèmes sains sont ceux où des troupeaux massifs migrent de zone en zone à la recherche de nourriture, comme les 60 millions de bisons qui parcouraient jadis les gigantesques prairies du Sud du Dakota aux Etats-Unis. Comme un grand nombre d’animaux dans un seul endroit consomme beaucoup de fourrage et produit beaucoup de déjections… il doit rapidement migrer pour trouver à nouveau de la nourriture, limitant son impact sur le sol et la flore. Le succès écologique réside donc dans une équation: beaucoup d’animaux sur une surface limitée pendant une très courte période.

Vaches Brangus

> Vidéo : Alan Savory explique les origines de la gestion holistique https://youtu.be/vpTHi7O66pI

Au quotidien on atteint en général nos objectifs mais sur le long terme et à l’échelle de la société, l’être humain obtient toujours des résultats non souhaités à partir des décisions qu’il prend, en témoigne la dégradation des écosystèmes. Pour gérer de manière holistique la première étape est de définir ce que l’on veut dans notre vie en tenant compte de la complexité des systèmes dans lesquels nous vivons. Nous devons aussi connaître la base de ressources que nous gérons pour assurer que nos décisions ne dégradent pas (ou améliorent) ces ressources pour les prochaines générations.

Ainsi, chaque décision prise à Echo Valley Farms est re-située au sein d’une matrice : la situation actuelle et une image du futur que l’on souhaite atteindre. Cela demande un travail préalable d’introspection que peu d’agriculteurs font: quelles sont nos valeurs ? Que veut t’on pour notre vie, notre famille, notre communauté, notre environnement, nos terres ? Et donc, quelles décisions on met en place chaque jour, semaine, mois, année pour aller dans cette direction ? A la fin de la première année de production d’oeufs, Randal n’a pas eu la force d’abattre les 250 poules, qui âgées d’un an n’étaient plus économiquement rentables. Il a donc décidé de créer un programme de « retraite » : les poules sont en liberté ou sont adoptées. Depuis 2014, 7000 poules ont ainsi rejoint les jardins des clients de la ferme. En parallèle, les Breen ont opté pour une race qui produit un peu moins d’oeufs par semaine, mais pendant une période de 18 mois au lieu de 12. « Si on avait continué ainsi sans rien changer, cela n’aurait pas été en accord avec nos valeurs, et aussi celles que l’on souhaite transmettre à nos enfants » ajoute Juanita.

Un jeune Agron’Homme en Australie

« Je ne réalise pas que je pars à l’autre bout du monde » m’écrit Romain Lebas en cette première semaine de janvier. Le projet les Agron’Hommes « Vivre et créer l’Agroécologie dans une ferme du Monde », estime qu’il faut aider les jeunes à sortir de leur zone de confort pour trouver les clés qui leurs permettront de construire un projet de vie qui correspond encore plus à leurs valeurs.

Lors de notre première rencontre en septembre, Romain est étudiant en BTS au lycée agricole Edouard de Chambray (Eure). Après avoir présenté le projet Les Agron’Hommes, je lance le débat: « Est-ce que vous pensez faire de l’agroécologie chez vous ? ». Romain témoigne : lui et son père portent une attention particulière à la fertilité des sols sur la ferme familiale en pratiquant l’agriculture de conservation. Les parcelles ne sont travaillées que lorsque cela est vraiment nécessaire, pour préserver la vie extraordinaire des sols et tendre vers l’auto-fertilité. Romain aide son père à tous les niveaux, de la prise de décision aux interventions sur le terrain, et de l’élevage aux cultures.

La classe de Romain

Six mois et quelques échanges de mails plus tard, Romain s’apprête à partir pour le pays des kangourous, pour s’impliquer dans le projet de Randal et Juanita. Au départ Romain visait une ferme sans élevage, pour approfondir ses connaissances techniques en agriculture de conservation. Il accepte finalement de partir dans une ferme avec 3000 poules et à 17000 km de chez lui. Pour la zone de confort, on est bon. Lors de mon voyage en Australie, j’avais passé juste une demi-journée chez les Breen, le temps de faire une vidéo, récolter des données essentielles, et comprendre qu’ils ont tous les atouts pour partager leur expérience avec un jeune. Romain, avec ses passions et ses talents, complètera ce que j’ai commencé à récolter, pour ramener à la manière d’un boomerang des idées d’ailleurs et mettre à disposition de tous – et surtout de ses camarades de classe qui eux n’ont pas été en Australie – des supports pédagogiques pour catalyser la transmission de connaissances agroécologiques à travers le monde.

« Ma ferme dans 10 ans, je pense qu’elle aura gardé le même esprit, la même taille, avec peut être du maraîchage sur sol vivant et des poules en agroforesterie » imagine Romain. Nous verrons si le voyage en Australie précise les idées de notre jeune agriculteur. Sans apporter de recettes, plutôt en faisant naître encore plus de questions. Mais ça, Romain le sait déjà.

 

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