Transmission agricole : « le maître mot, c’est l’anticipation »


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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 29/03/2019 PAR Romain Béteille

Dans un observatoire régional très documenté édité chaque année par les chambres d’agriculture de Nouvelle-Aquitaine et paru en mai dernier, quelques chiffres rendent mieux compte de la réalité des enjeux de la transmission agricole face aux nouvelles installations. En 2017, plus de 600 professionnels ont « concrétisé leur projet dans le cadre d’une installation aidée et accompagnée », majoritairement grâce au dispositif Dotation Jeunes Agriculteurs (ils ont été 573 à en bénéficier) mais aussi grâce au Prêt d’honneur (83 cas). En tout, les chambres ont comptabilisé près de 2000 nouvelles installations accompagnées. Pourtant, la question de la transmission se pose toujours : aujourd’hui, près de la moitié des chefs d’exploitation ont plus de cinquante ans et leur succession « est loin d’être assurée dans les deux tiers des cas ». En 2017, les chambres ont ainsi rencontré un millier de cédants pour les orienter dans ce si difficile renouvellement des générations. On estime en effet qu’en France, la moitié des agriculteurs partiront à la retraite dans cinq ans et qu’une ferme sur trois se trouverait sans repreneur. Les données nationales envisagent ainsi un ratio toujours préoccupant : une installation pour trois départs. Juriste à la FDSEA de Gironde, Céline Gentile connaît bien ces problématiques, pour avoir à gérer très régulièrement des dossiers d’agriculteurs souhaitant partir en retraite et transmettre le plus efficacement possibles (en évitant le plus possible les plus-values) leur terrain. Intervenue ce vendredi dans le cadre du Printemps de la Transmission, elle a bien voulu partager avec nous son retour du terrain entre attentes, inquiétude et espoirs. 

@qui.fr – Globalement, on peut affirmer que le ratio national de transmissions agricoles face aux nouvelles installations est toujours élevé. Pour vous qui devez au quotidien rencontrer des agriculteurs souhaitant transmettre leur exploitation, ce rapport est-il inquiétant ? 

Céline Gentile, juriste à la FDSEA de Gironde –  Ce qui est sûr, c’est que ça va générer encore des questionnements. Les gens en ont déjà beaucoup et sont de plus en plus ouverts sur ces questions-là. Ça fait la quinze ou seizième fois que je participe à ces « journées de la transmission » mais j’ai quand même été marquée cette année par les questions de extrêmement précises des participants parce que c’est un sujet complexe. Là où les arrêts d’activité sont un peu plus gênants, c’est justement sur cette question de la transmission : ces arrêts vont-ils correspondre à des installations nouvelles ou à des agrandissements de ceux qui sont déjà en place ? C’est plutôt ça qui m’inquiète.

@qui.fr – Les chambres d’agriculture ont rencontré 1000 cédants en 2017 en Nouvelle-Aquitaine pour les accompagner dans leur projet de transmission. Les questions juridiques et fiscales, très complexes, effraient parfois même ceux qui sont accompagnés. Quels conseils leur apportez-vous ? 

C.G – Le maître mot, c’est l’anticipation. Il est clair qu’on ne se lève pas un matin en étant soudain décidé à prendre sa retraite. C’est un pas qui est difficile à faire pour les agriculteurs, qui vivent pleinement leur métier, donc ça se prépare. Ça entraîne tout un tas de conséquences juridiques, sociales, fiscales. Il existe, pour les agriculteurs, tout un réseau d’accompagnateurs : les chambres d’agriculture, des juristes, des notaires qui les accompagnent. Ces partenaires là, nous ne les retrouvons pas forcément dans d’autres métiers. J’ai eu l’occasion d’installer des jeunes qui m’ont dit qu’en agriculture, les professionnels étaient quand même entourés. Cela dit, il faut préparer à tous les niveaux cette cessation d’activité.

Les agriculteurs souhaitant engager un projet de transmission sont aujourd’hui, en tout cas de ce que j’ai constaté en Gironde (mais c’est aussi vrai ailleurs), essentiellement confrontés à des problèmes fiscaux, notamment concernant les plus-values et de l’impôt sur la fiscalité immobilière (ancien ISF). Souvent, les gens ne se rendent pas compte qu’ils ne sont plus exploitants, plus professionnels et se retrouvent sous le coup de l’IFI ou décident d’arrêter et ne s’aperçoivent de la plus-value à régler qu’en cas de clôture fiscale. Dans un second temps, le fait de passer de locataire à propriétaire peut engendrer certains problèmes dans les baux, notamment en viticulture. C’est récurrent et ça ne change pas parce que la fiscalité est toujours la même pour eux et que pour les baux ruraux, le statut n’a pas non plus énormément évolué.

@qui.fr – Vous parler d’une problématique importante à gérer autour de la différence entre le droit civil et la fiscalité des exploitations agricoles. Pourquoi, selon vous, est-ce une difficulté supplémentaire ? 

C.G – En matière de droit civil, on peut faire énormément de choses car les règles sont relativement souples. Toutes les matières juridiques se rejoignent et ont toute à peu près la même façon de raisonner. Le droit fiscal, lui, est une matière juridique spécifique qui a sa propre fiscalité souvent contraire aux autres matières juridiques. On a donc des choses qui peuvent très bien marcher en droit civil mais pas en droit fiscal. A un moment donné, le droit fiscal vous rattrape, ça peut donc être potentiellement très lourd surtout qu’on joue sur des fonciers et sur des valeurs (notamment en Gironde sur certains coins comme le Saint-Émilionnais et ses alentours, ou le Médoc et ses communes environnantes) qui sont extrêmement lourdes.

Le foncier a continué d’augmenter : quelqu’un qui a acheté un bien il y a quinze ans et qui le revend aujourd’hui parce qu’il arrête son activité n’est pas exonéré et peut se prendre une énorme plus-value à payer. En réalité, les agriculteurs ont souvent a le nez dans le guidon, ils avancent en se disant que ce sera pour plus tard mais il faut tout de même avoir conscience de ce besoin d’anticipation. Généralement, quand on a des gens avec des enfants qui reprennent, c’est plus facile à deux ou trois ans pour anticiper. Quand c’est quelqu’un qui veut vendre à un tiers, je dirais qu’il faut au moins cinq ans.

On voit de plus en plus d’installations dans le hors-cadre familial. Ca fait vingt ans que je fais ce métier, au départ on avait quand même un schéma plus classique avec presque les deux tiers de transmission familiale. Aujourd’hui, ce tourne à moins d’une sur deux. Des gens arrivent dans le métier à quarante-cinq, cinquante ans, d’autres arrêtent même après une carrière dans un autre domaine et reviennent dans l’agriculture à 65 ans. Ca part dans tous les sens et le hors-cadre prend de plus en plus d’importance, même chez les jeunes agriculteurs. Au fil des années, plus ça va, plus ça s’ouvre. Les enfants qui s’installent chez leurs parents ont vécu avec eux et ont baigné là-dedans depuis tout petits. Les nouveaux, eux, arrivent avec des idées neuves, une nouvelle approche de la chose et le métier peut évoluer.

@qui.fr – Lors du dernier Salon de l’agriculture de Paris, la Fadear (Fédération des associations pour le développement de l’emploi agricole et rural) a organisé un « débat mouvant » auprès des professionnels du monde agricole comme des citoyens pour les questionner sur la portée de la transmission agricole : est-elle citoyenne et donc partagée, ou une affaire purement privée ? Les résultats ont montré une forte division. Face aux attentes sociétales toujours plus fortes et à ce que les professionnels du secteur dénoncent régulièrement comme de l’agri-bashing, ce contexte et ces divisions se ressentent-elles chez les agriculteurs que vous accompagnez ? 

C.G – La fiscaliste n’aura pas d’avis, mais la civiliste vous dira que le foncier agricole est une question privée parce que ce sont des biens privés, souvent familiaux, qui s’inscrivent dans une démarche citoyenne parce que les gens sont bien contents d’avoir des jolis paysages, bien entretenus, mais si les agriculteurs n’étaient pas ou plus là, ce serait sans doute différent. Par rapport aux gens que je reçois et aux nouveaux agriculteurs, toutes ces préoccupations-là sont très présentes. Je rencontre des gens qui sont bien déterminés à faire de l’agriculture, quitte même à la changer.

La Gironde a une forte présence agricole, et elle est sans doute économiquement plus « viable » si l’on considère la forte présence de la viticulture. Les idées médiatiques sont parfois un peu déviées, d’autant qu’on aura aussi besoin des agriculteurs dans cette transition. Cela dit, l’agribashing ne joue pas un rôle majeur dans la transmission sur le département. Personnellement, j’ai toujours les mêmes problématiques avec des gens qui veulent absolument s’installer et poursuivre. Ils ont toujours besoin de nous et ils savent où s’adresser, peut-être même nous sollicitent-ils plus qu’avant, parce qu’ils ont pas mal de monde autour d’eux.

L’index : Pour lire d’autres infos et témoignages sur le Printemps de la Transmission, vous pouvez lire nos articles dans les Deux-Sèvres, en Dordogne ou dans les Landes

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