Vignoble girondin : grêle et inquiétudes


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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 23/04/2020 PAR Romain Béteille, Clément Bordenave

La Chambre d’agriculture de Gironde, qui a établi un premier bilan territorial (provisoire), précise dans une note datant du 21 avril que les dégâts les plus importants ont été relevés sur une trentaine de communes : Targon, La Sauve, Daignac, Grézillac, Branne, Tizac de Curton, Moulon, Sainte Radegonde, Juillac, Flaujagues, Doulezon, Ruch, Vignonet, Saint Etienne de Lisse, Saint-Emilion, Saint Christophe des Bardes, Saint-Sulpice-de-Faleyrens, Saint Philippe d’Aiguille, Monbadon, Puisseguin, Francs, Saint-Cibard, Tayac, Pellegrue, Massugas, Caplong, Eynesse et Saint Avit de Soulège.

Mesures de crise

Un numéro vert (0800 002 220) a été mis en place pour répondre aux questions des sinistrés et une page internet ouverte pour permettre à ces derniers d’évaluer l’étendue des dégâts. Dans ce contexte, la CA 33 a réactivé sa « cellule de crise ». À sa tête, Philippe Abadie, directeur du service entreprises à la Chambre, assure que, si trois gros épisodes de grêle se sont succédés entre la fin d’après-midi du vendredi et samedi matin, « le plus gros des dégâts a eu lieu vendredi après-midi avec un train de nuage qui a suivi un couloir que l’on connaît depuis 2003 qui part du centre l’Entre-Deux-Mers, qui va dans le secteur de Branne, passe en travers du Saint-Émilionnais jusqu’au nord du Castillonais et termine en Dordogne ». L’expert l’assure : « cet épisode n’est pas de même échelle que ceux qu’on a pu connaître en 2018 (plus de 17 000 hectares endommagés), 2013, 2009 ou 2003. « D’une part, c’est beaucoup moins large et puis ça n’a pas été un phénomène en continu. L’orage n’a pas été destructeur à la même intensité de manière continue tout le long de son passage ».

L’évènement intervient toutefois dans un contexte particulièrement précoce pour la vigne. « La semaine dernière, les viticulteurs ont commencé à traiter. L’apparition du mildiou est, elle aussi, précoce, tout comme l’orage de grêle. Ça tombe très tôt. Un orage de cette importance là à cette période de l’année, c’est vraiment exceptionnel. La vigne a dix à quinze jours d’avance sur une saison normale, essentiellement due à la période douce depuis février. La Gironde est habituée à des orages de grêle en mai-juin, mais pas en avril », ajoute Philippe Abadie. Sur la page dédiée à la « cellule de crise grêle », on recommande aux viticulteurs de ne « pas traiter systématiquement suite à la grêle. L’application de produit de contact pour lutter contre le rot-blanc est inutile. Aucun produit n’a montré d’effet cicatrisant suite à des orages de grêle ». Elle ne préconise aucune intervention pour les parcelles sans feuilles mais de garder une protection contre le mildiou, l’oïdium et le black rot « pour assurer un minimum de production ». Pour ce qui est des mesures mobilisables, elles restent les mêmes que lors des précédents épisodes de grêle : essentiellement des mesures fiscales (lissage de la fiscalisation des indemnités d’assurances, dégrèvement de la taxe sur le foncier non-bâti ou encore mobilisation de la DPA (Déduction Pour Aléas) ou de l’épargne de précaution. La MSA peut également mettre en place plusieurs mesures : « échéanciers de paiement des cotisations, examen des demandes de remise de majorations de retard, prise en charge partielle éventuelle des cotisations dans le cadre du dispositif des crises agricoles ». 

« Environ 1800 viticulteurs touchés »

 « On incite les professionnels à s’assurer. On met en place une note pour rappeler à ceux qui sont pas assurés que ça existe », ajoute Philippe Abadie en évoquant les assurances et le fonds de calamité agricole. « La chambre d’agriculture va mettre en place une mission d’enquête avec la DDTM (Direction Départementale des Territoires et de la Mer) pour, d’ici trois semaines, constater de visu officiellement l’étendue des dégâts, ce qui permettra d’officialiser le zonage et les taux de pertes ainsi que de prendre date pour des mesures éventuelles qui viendraient s’ajouter (comme l’allègement de cotisations sociales) et pour l’année prochaine. Si le végétal a été trop secoué cette année, c’est possible que le niveau de récolte soit affecté. Or la perte de l’année prochaine n’est pas assurable. Un fonds de calamité publique peut se mettre en place dans ce cas, mais il faut que l’État ait constaté la réalité du sinistre ». Selon les premières estimations, environ 1800 viticulteurs auraient été touchés par cet épisode, à des degrés divers.

Premier bilan contrasté

Sur le domaine de La Fleur de Boüard à Néac (33500) les cultures sont certes impactées, mais pas dans des proportions considérables, « on a la chance de ne pas avoir été très touchés, nous avons eu seulement quatre hectares sur trente qui ont subi des dégâts », rassure Stephan Poirier, chef de culture sur le domaine. « Malheureusement, on va perdre en qualité, on va travailler là-dessus pour essayer de sortir quelque chose de bien, mais c’est encore un peu tôt pour connaitre l’ampleur des dégâts », concède Stephan, malgré tout persuadé que la vigne va repartir. « On est sûr qu’on aura de la végétation, est-ce que la qualité du raisin sera au rendez-vous ? Ça, malheureusement, on ne le sait pas. C’était de jolies parcelles dont on espérait vraiment sortir un produit très beau parce que la sortie de vigne était particulièrement belle et très homogène. Mais on ne choisit pas la météo », regrette-t-il. Pourtant le chef de culture garde espoir en un impact limité sur le rendement final. « Il reste quand même quelques mannes, mais on ne peut pas encore savoir si elles vont avoir suffisamment de végétation pour faire leur photosynthèse correctement. On espère aussi avoir peut-être une deuxième sortie qui va arriver plus tard, mais il faudra alors faire avec l’hétérogénéité et c’est compliqué », termine Stéphan.

D’autres viticulteurs sont plus touchés encore. À la frontière entre la Gironde et la Dordogne, dans le Bergeracois, les viticulteurs de l’appellation Montravel ont eu eux aussi à subir de grosses pertes, notamment du côté de Saint-Méard-de-Gurçon. Sur les 1000 hectares que compte l’appellation Montravel, près de 200 ont été durement touchés. « Sur les secteurs touchés, les dégâts sont de l’ordre de 70 à 100% de pertes précise Quentin Deffarge, président du syndicat des viticulteurs de Montravel et associé-gérant au Chateau Moulin Caresse. C’est aussi le cas pour Patrick Dugrand, dont les vignes situées à Saint-Cibard (Gironde) ont été détruites à 100% sur près de 17ha sur les 31 que compte l’exploitation. Malgré tout, le viticulteur souhaite voir le bon côté de cet orage, qui a eu lieu tôt. « Dans notre malheur on a malgré tout une chance qui est que la grêle a frappé très tôt et donc qu’il y a beaucoup de contre-bourgeons qui n’avaient pas démarré qui sont en train de sortir ! On sait aussi que lorsque la vigne réagit très vite, c’est meilleur signe que lorsqu’elle met du temps, et avec les températures annoncées ce week-end il faut espérer que ça reparte bien », relativise le viticulteur. Des motifs d’espoir pour une récolte déjà en partie compromise, « je garde espoir sur le fait que cela puisse repartir, de là à dire que la récolte va être bonne… c’est impossible. D’ici quinze jours, on sera fixés ».

Espoirs européens

Cet épisode intervient dans un contexte plus qu’incertain pour le vignoble bordelais et le monde du vin en général : exportations en berne, ventes à l’arrêt en hôtellerie-restauration… Résultat : les chais sont pleins et l’écoulement difficile. À tel point que les cinq grandes organisations professionnelles et syndicats de la filière, en Languedoc-Roussillon, ont alerté. « La vigne n’attend pas et même sans recettes financières, l’activité doit continuer. C’est pourquoi nous demandons de mettre au plus vite en place des mesures d’accompagnement spécifiques, notamment une mesure de distillation volontaire permettant de dégager avant les vendanges les volumes accumulés ». Les coopératives viticoles françaises, italiennes et espagnoles demandent l’ouverture d’une distillation de crise de 10 millions d’hectolitres dotée d’un budget de 350 millions d’euros, à 35 euros par hectolitre, base d’une aide apportée « au cas par cas » par chaque État-Membre.

La France, elle, table plutôt sur « au moins trois millions d’hectolitres » (65€/hl pour les VSIG, 80€/hl pour les AOP) et le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume en a appelé à l’Europe pour participer à la démarche. La Commission Européenne a indiqué qu’elle allait proposer d’ici fin avril des « mesures additionnelles pour soutenir les marchés les plus touchés ». Pour les vins, ce serait une autorisation à distiller et stocker les vins excédentaires, aux frais des États-Membres, mais pas de financement européen ni de budget spécifique. Localement aussi, on s’inquiète de ces échanges européens. Chantal Thierry-Saussereau, viticultrice au domaine La Renommée à Saint-Laurent-des-Combes, dans le Saint-Émilionnais, attend de nouvelles pistes à explorer. « Ce qui est pour moi le plus grave, c’est que les chais sont pleins et les comptes en banque vides. Pour un futur proche, c’est très inquiétant. Les suisses ont choisi une méthode intéressante pour écouler les stocks : ils achètent l’hectolitre de vin pour ensuite en faire du gel hydroalcoolique après distillation ». Dans l’Aude, l’eurodéputé Éric Andrieu plaidait déjà, début avril, pour ce type de mesure. On estime à un milliard le nombre de litres de vin en excédent sur le marché européen. Si nouvel orage il y a, espérons qu’il soit politique…

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