Agriculture en Nouvelle-Aquitaine : une année difficile


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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 02/09/2020 PAR Romain Béteille

Compliqué. Voilà l’état de la conjoncture agricole en Nouvelle-Aquitaine à dater d’août 2020 si l’on devait user de l’euphémisme. Bien évidemment, la crise sanitaire n’y est pas étrangère, mais elle n’est pas le seul élément de l’équation. Selon le bilan présenté ce mercredi 2 septembre par la Chambre d’Agriculture régionale, la météo prend aussi sa part de responsabilité avec ses excès d’eau et une période automne-hiver plus douce mais de fortes chaleurs et des sècheresses récurrentes, le manque d’eau se fait cruellement sentir (-90%), particulièrement dans les départements de l’ex Poitou-Charentes et de l’ex-Limousin (jusqu’à -98%). Le résultat, c’est un impact direct très fort sur les grandes cultures. « Les moissons des culture d’hiver sont parmi les plus basses des dernières décennies », écrit ainsi l’organisation consulaire, ajoutant que le rendement des cultures de printemps a lui aussi été impacté par les fortes chaleurs estivales. Ainsi, la production de céréales et d’oléo-protéagineux affiche une baisse de -12% (-1,3 millions de tonnes par rapport à la moyenne quinquennale (2015-2019), principalement causée par la baisse des rendements et la réduction des surfaces (- 100 000 hectares). 

Impact global

Avec un volume de production mondiale en forte hausse et des prix bas, les recettes affichent une perte de 206 millions d’euros (-12%), soit une baisse moyenne de chiffre d’affaires de 14 000 euros dans les 40% d’exploitations régionales spécialisées en grandes cultures ou en polyculture-élevage. Une année jugée par la chambre comme « catastrophique pour la plupart des exploitations », un revenu divisé par deux (d’un tiers en polyculture-élevage) et des pertes très localisées. Ainsi, l’ex-Poitou-Charentes concentre les trois-quarts des pertes régionales alors qu’en termes de surface, la zone ne représente de la moitié du nombre d’exploitations céréalières de la région. En ex-Aquitaine, ce sont les Landes et le Lot-et-Garonne qui décrochent le plus (-34 M€). À l’hectare, les baisses de chiffre d’affaires sont plus fortes en Gironde et dans les Landes (-150 euros et -130 euros/ha). « Les impacts seront également très importants dans les élevages spécialisés de ruminants qui représentent plus des trois quarts des exploitations de l’ex-Limousin », termine la note de conjoncture.

Mais les grandes cultures ne sont pas les seules à avoir subi le contrecoup de la crise et des mauvaises conditions météo. « Globalement, le confinement a créé un désordre énorme sur les marchés. La restauration a joué des tours à la viticulture, les filières foie gras et Cognac ont connu un arrêt quasi complet des ventes et on n’espère pas un retour à la normale avant plusieurs semaines », a estimé ce mercredi Dominique Graciet, président de la Chambre d’Agriculture de Nouvelle-Aquitaine (jusqu’à la fin de l’année, période où il quittera ses fonctions). Pour la viticulture, en effet, la crise sanitaire, comme le révèle la note, a occasionné certaines habitudes de consommation à se confirmer, notamment l’achat de vin en vrac et la baisse des ventes de vins rouges. La distillation de crise est aussi passée par là pour vider quelques chais trop pleins : sur les 781 500 hectolitres demandés (soit 24% de la demande nationale), « seuls 58% des volumes pourront bénéficier du dispositif, dans l’attente d’une enveloppe complémentaire promise à l’automne mais qui risque de ne pas satisfaire tous les besoins ». La chambre consulaire estime ainsi que la fermeture des cafés et restaurants pendant le confinement aurait mis au ban 30 à 35% du marché total du vin. La taxe Trump (et la réponse… timide de la Commission Européenne) n’ont pas non plus aidé, à tel point que l’interprofession, lors de son bilan annuel, n’a pas hésité à évoquer la question de l’arrachage.

Du côté du Cognac, l’une des filières régionales ayant le plus de valeur à l’export (et qui avait connu une année 2019 favorable) c’est aussi la dégringolade : -60% d’expéditions dans l’œil du cyclone et une baisse générale de 11,2% sur la période allant d’août 2019 à juillet 2020. S’il avait un temps été évoqué la plantation de 10 000 hectares supplémentaires dans les trois prochaines années, les prévisions du BNIC (Bureau National Interprofessionnel du Cognac) revoient ses ambitions à la baisse de 30% sur 2021 (2306 ha). Enfin, au rayon des mauvaises nouvelles, la filière des palmipèdes gras est elle aussi dans une situation compliquée et espère évidemment beaucoup des fêtes de fin d’année, avec des abattages de canard actuellement en baisse de 10% par rapport à l’an dernier en volume, et un recul de 14% de janvier à juin. On vous avait déjà parlé de la situation de la fraise et de l’asperge pendant le confinement : sachez qu’au final, l’une s’en sort mieux que l’autre. Malgré un manque de main d’œuvre et une chute de la demande la production nationale de fraises (57 000 tonnes) serait similaire à la production moyenne 2015-2019 mais en baisse de 5% par rapport à l’an dernier, et des prix de ventes « plus ou moins stables dès le mois d’avril ». Dans les aspergeraies, en revanche, la mine doit être un peu moins rose malgré une récolte arrivée en avance. Les volumes des ventes d’asperges ont chuté de 20% en Gironde, les prix ont grimpé (+50 cts du kilo) et les plus grosses exploitations sont plus impactées que les autres. Malgré un « rééquilibrage » fin avril, le coup d’arrêt a été jugé « brutal ». 

Relance locale

L’une des grandes tendances du confinement aura été, du côté du consommateur, un appétit accru pour la « sobriété » de la production locale et les drives fermiers. Pour Dominique Graciet, c’est une preuve supplémentaire que « l’agriculture a sauvé les meubles et s’est adaptée aux circuits de proximité. Les gens avaient plus le temps de discuter, se sont mis à faire leur repas eux-mêmes. Il y a eu une prise de conscience de nos concitoyens qui ont découvert une autre prise de contact avec les agriculteurs. Tous les silencieux se sont retrouvés, ça a remis un peu l’église au centre du village ». Mais les habitudes d’avant ont la vie dure, et tous les nouveaux clients du « local is beautiful » n’ont pas forcément continué leurs nouvelles habitudes. « On estime qu’environ 20% de ces clients-là vont rester », a assuré l’élu. De même, l’attrait pour le local a besoin, selon lui, d’être plus structuré dès lors qu’il s’agit de la restauration collective. « Nous sommes en train de réfléchir à programmer des appels d’offres plus adaptés dans les cantines. Il faut mettre de l’ordre et du professionnalisme dans la vente directe, structurer la débrouille pour être plus en phase avec l’attente du consommateur ». Et lui éviter, sans doute, de multiplier ses points d’achat pour ce qui est des drives fermiers.

Alors que le débat public sur la PAC est reparti, un plan de relance gouvernemental pour l’agriculture doit être présenté ce jeudi. Il devrait insister sur l’adaptation au changement climatique, la modernisation des abattoirs ou le développement des protéines végétales, certainement suite aux mesures envisagées par le Haut conseil pour le climat pour réduire les gaz à effet de serre du secteur. Nous avons déjà identifié ces pistes. Ce que l’on vit, c’est un facteur d’accélération. Aujourd’hui, la modernisation va beaucoup plus vite que le renouvellement des générations. Il reste encore à construire la filière du marché des protéines végétales et à engager de nouveaux investissements pour triturer localement », a ainsi justifié Dominique Graciet. Pour ce qui est de la transition écologique, en revanche, il a évoqué une piste supplémentaire : la réalisation d’un bilan carbone réel des exploitations, à grande échelle. La certification HVE (pour haute valeur environnementale), pour laquelle 250 exploitations ont auditionné l’an dernier, ont montré que la filière viticole en était le principal demandeur. « C’est aussi dû au fait que le HVE ne prend pas en compte l’enrichissement du sol en carbone. Il faudra donc envisager un autodiagnostic aux côtés de techniciens de la chambre formés pour aider les agriculteurs à le réaliser, mais aussi d’avoir un « point zéro » pour voir la progression. Il y a une cinquantaine de filières dans la région, chacune a ses spécificités ». Et dans un délai sûrement largement plus étendu que celui d’un plan de relance…

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