Agrivoltaïsme en Nouvelle-Aquitaine : entre craintes et espoirs


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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 07/11/2019 PAR Romain Béteille

Né dans les années 80, l’agrivoltaïsme s’est beaucoup développé en Asie, notamment au Japon. En France, ce procédé consistant à installer des panneaux solaires au-dessus des cultures agricoles est encore une alternative timide mais qui tend à être boostée : environ 20 000 projets solaires sont aujourd’hui installés sur des exploitations agricoles et le « plan solaire » vise notamment à adapter les règles d’urbanisme et à encourager les agriculteurs à investir en augmentant sensiblement le volume des appels d’offres (avec des doutes sur la mise en place) pour répondre à la nouvelle balance du mix énergétique français (32% d’énergie renouvelable). Le contexte est lui aussi favorable au développement de l’agrivoltaïsme : « Le prix du marché est aujourd’hui très bas, en moyenne 20 à 25 centimes du watt pour un panneau. L’industrie a grandi, elle monte en maturité progressivement, elle améliore la productivité sur ses lignes de production, suit les améliorations technologiques et réalise des économies d’échelles en capacité de production », a ainsi contextualisé Franck Barruel, chef de projet à l’Institut National de l’Énergie Solaire (INES) lors du colloque organisé ce mardi 5 novembre à Bordeaux. « En termes de fabrication, la Chine est majoritaire. Dix grands acteurs chinois gèrent 50% de la production mondiale. Aujourd’hui, le coût atteint 45 euros du mètre carré contre 600 en 2008. Le lancement prochain par le Portugal d’un tarif à 20 euros du MW est largement scruté par tous les acteurs énergétiques. En France, les objectifs sont de multiplier par 4 le volume de GW produits d’ici à 2028. Avec la multiplication des installations, on a besoin d’identifier de nouvelles surfaces ». C’est aussi ce que dit la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Énergie), qui s’est fixée des objectifs ambitieux : faire passer la part des capacités du parc solaire à 44,5 GW en 2028. Elle souhaite « poursuivre les appels d’offres pour faire émerger des solutions innovantes, dont l’agrivoltaïsme ». 

Prudence et stratégie

Voilà donc pour le contexte national. Et en Nouvelle-Aquitaine, alors ? Selon les derniers chiffres 2018 fournis par le gestionnaire RTE en avril, l’essor est relatif. S’il est constaté une réelle hausse de production du côté de l’électricité solaire (16,3%) elle est en réalité bien moins importante que pour l’éolien (+40,7%), et la production régionale reste toujours à 80% nucléaire, les 20% restants réunissant tous les autres types de production, dont le solaire. Quelques projets d’envergure ont tout de même pu voir le jour ou sont envisagés. À Sainte-Hélène, dans le Médoc, un parc solaire a été inauguré en 2018 (et touché par un incendie la même année). D’une capacité de 50 GW par an, il peut alimenter 35 000 foyers. Cestas a inauguré en 2015 ce qui était alors le plus grand parc solaire d’Europe (260 hectares, 350 GW de production annuelle). Juste à côté, à Saint-Magne, une nouvelle centrale solaire de 40 000 panneaux a vu le jour en octobre avec une particularité : une convention signée entre Total et un éleveur de Cestas pour faire paître ses ovins dans l’emprise du site de la « centrale ». Dans le Lot-et-Garonne, on voit encore plus gros : en 2018, le président de la communauté de communes des Coteaux et Landes de Gascogne a annoncé que d’ici 2023 (non sans de sérieux doutes) pourrait y être installé un gigantesque parc solaire de 1495 hectares sur neuf fermes (1300 hectares de terres agricoles et 700 hectares de forêt) visant à produire l’équivalent d’une tranche de centrale nucléaire, soit 931 mégawatts.

La feuille de route NéoTerra a permis de fixer un objectif de 45% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique de Nouvelle-Aquitaine en 2030 (23,1% en 2016). Pour y arriver, elle compte notamment « soutenir l’émergence des premiers contrats d’achats directs d’électricité verte entre producteurs et consommateurs industriels ou en collectif » et a déjà conclu un premier contrat de développement pour une centrale photovoltaïque en « Green CPPA » (pour Corporate Power Purchase Agreement), contrat de long terme d’achat d’électricité signés entre le producteur et le consommateur, prévue pour être mise en service en 2021. Pour ce qui est de l’implication du monde agricole néo-aquitain dans le développement du photovoltaïque, en revanche, la collectivité est plus timide. « Nous devons mesurer l’impact sur les territoires ruraux et leur aménagement. Le développement des toitures a ses limites. Nous souhaitons tenir les objectif de la PPE, et nous ne nous interdisons pas d’être plus ambitieux. Le potentiel solaire est très fort, mais nous avons suffisamment de sols artificialisés pour atteindre les objectifs fixés. Ce n’est pas parce qu’une installation est réversible qu’elle n’a pas d’impact sur les sols. Nous avons encore peu de retours sur l’agrivoltaïsme, mais des craintes. Je pense que ce n’est pas la peine de semer la terreur comme sur l’éolien et de tenter le diable. Expérimentons et voyons ce que ça va donner, mais ça ne se fera pas à n’importe quel prix, tout comme le recours à la méthanisation », précise Françoise Coutant, vice-présidente de la région Nouvelle-Aquitaine en charge du climat et de la transition énergétique.

« Globalement, la PPE dit oui sur les sols mais souhaite privilégier plutôt les sols artificialisés. On travaille de manière conjointe avec les territoires sur les documents d’urbanisme pour la généralisation de cette démarche. Il faut avant tout démontrer la compatibilité du parc photovoltaïque avec le projet agricole, qui doit rester prioritaire », ajoute l’élue. C’est toute la limite, encore un peu floue, entre un projet agrivoltaïque refusé et un autre accepté. Au niveau de la jurisprudence, des exemples existent tout de même. L’avocat Paul Elfassi en a présenté quelques-uns avec un point commun : dans les bons comme dans les mauvais exemples, l’exploitation de la surface agricole reste prioritaire et toute réduction de la surface des parcelles cultivées entraîne souvent à un avis négatif auprès d’un juge. « Il y a eu des mauvaises pratiques qui ont marqué la filière et la réflexion sur le sujet, notamment des faux projets de serre « alibi » pour profiter du soutien photovoltaïque. Pourtant, des solutions intéressantes se développent et dans lesquelles on constate parfois une amélioration globale de la production agricole. On est dans une position d’écoute, notre travail est d’explorer et de voir si l’on peut donner des lignes de cadrage communes », profite Stanislas Reizine, représentant du Ministère de la Transition Écologique. Plutôt avancer avec des pincettes que de reproduire l’angélisme consumé de l’Allemagne dans le domaine, donc… 

Valorisation agricole

Qu’en disent les responsables agricoles ? En substance : attention à la course au profit. « Il n’y a aujourd’hui aucune chambre d’agriculturequi ne regarde pas de près la nécessité d’être un des opérateurs territoriaux sur cette production, mais nous avons parfois l’impression que ces projets nous sont soumis et qu’on est pris pour des attardés si on ne les accepte pas », argue Guy Estrade porte-parole de la Chambre Régionale d’Agriculture. « La profession participe au CODERST (Conseil Départemental de l’Environnement et des Risques Sanitaires et Technologiques) qui permet de clarifier l’affectation de foncier. Mais il y a plusieurs fonciers. L’agriculture n’est pas en opposition à une réflexion et une participation à l’effort de transition énergétique, mais il faut définir la place de cette agriculture de production dans cette équation. Ce que nous ne voulons pas, c’est revoir ce qui s’est passé sur la filière laitière française. On l’a cassée : deux tiers des producteurs et près de la moitié de la production ont disparu. Pour plusieurs raisons, dont le cours de la matière qui a intégré d’autres formes de valorisation comme le développement très fort de la méthanisation en Allemagne, et la valorisation de la production énergétique a contraint le prix du lait ». Face à des disponibilités en foncier qui constituent déjà un enjeu majeur face à la raréfaction des terres agricoles (deux tiers des 490 000 hectares de sols artificialisés entre 2006 et 2014 l’ont ainsi été au dépend des espaces agricoles), Guy Estrade met en garde face aux modèles d’installation grandissant avec l’appétit des industriels et de leurs besoins en volumes de production.

« Beaucoup d’enjeux se télescopent : on veut participer à la transition énergétique mais pas sans regarder la valorisation territoriale de cette production. Il est évident que sans ça, l’agriculture ne soutiendra pas. Ne serait-il pas juste que le prix de l’électricité intègre toutes les valorisations de l’agrivoltaïsme ? Il y a récemment eu plusieurs combats, des tracteurs dans les rues pour appeler à une meilleure répartition de la valeur ajoutée. Peut-être qu’il faut que la loi Egalim s’applique dans cette situation aussi. L’agriculture travaille aujourd’hui à la sortie du carbone. La production d’énergies vertes en fait partie. Mais en faire partie, c’est également avoir la possibilité de revoir la répartition de la valeur ajoutée de cette production », termine le responsable, pour qui les promesses de rentabilité établies par Terre Solaire ne font apparemment pas tout. Les serres photovoltaïques, par exemple, ont de bonnes comme de mauvaises application. Près d’Agen, les serres photovoltaïques de Boé (9 hectares) ont vu le jour en septembre 2018 pour produire une variété de kiwi jaune dans trois serres de 30 000 panneaux. De l’autre côté, la Direction Départementale des Territoires et de la Mer des Pyrénées Orientales a récemment pointé du doigt que dans son département : près de deux tiers de ses serres équipées en panneaux photovoltaïques ne fournissent en réalité quasiment aucune activité agricole.

Impacts et coûts externes

L’autre phénomène encore difficilement mesurable, c’est l’impact de l’agrivoltaïsme sur la biodiversité. À Sainte-Hélène, commune composée de 11 700 hectares de forêt, Valorem s’est occupé du chantier de création d’un parc photovoltaïque en 2014. Après cinq ans d’exploitation et un chantier qui a pris en compte la logique du besoin de compensation (14 hectares de destruction permanente sur 168 hectares, 70 hectares de compensation), les résultats sont plutôt encourageants à entendre Baptiste Regnery, chef de projet chez Valorem. « On a constitué le retour d’une zone humide et le développement du Fadet des Laîches » (papillon protégé au niveau européen). Pour ce qui est des serres photovoltaïques à vocation agricole, elles offrent plusieurs promesses, notamment une réduction de 30 à 50% d’économie d’eau et d’engrais, une réduction de l’utilisation des pesticides et une « redynamisation du sol ou des substrats ». Pour Christine Poncet, chercheuse à l’INRA, la richesse des agroécosystèmes sous serre pourraient justifier une vocation agricole. « On n’a pas mesuré d’impact négatif sur la biodiversité, à part d’éventuelles baisses de rendement liées à l’ombrage quand les panneaux sont fixes. Il pourrait y avoir à terme des effets bénéfiques en termes d’augmentation de la diversité des espèces cultivées », peut-on ainsi lire dans sa présentation. Reste que « les connaissances sur les impacts restent à consolider. La durée de suivi est encore insuffisante et la comparabilité est faible, notamment sur les fonctionnalités écologiques de ce genre d’installations » pour Baptiste Regnery, chef de projet à l’Agence Régionale Nouvelle-Aquitaine pour la Biodiversité.

On l’aura donc compris : tous les freins sont encore loin d’être levés quant au développement exponentiel de l’agrivoltaïsme. Damien Ricordeau, fondateur de Finergreen (société de conseil en financement de projets des énergies renouvelables), apporte tout de même une note d’optimisme au discours général. « Le premier niveau de l’agrivoltaïsme, celui qui s’est développé jusqu’à aujourd’hui, a un impact globalement limité sur la production agricole, même si les serres ou ombrières, parce qu’elles sont fixes, sont rentables. Mais on voit émerger une nouvelle tendance vers le pilotage intelligent. Ces projets, encore peu nombreux, ont un impact plus fort sur la production comme l’augmentation des récoltes ou la réduction de la consommation en eau ». L’impact économique des « externalités positives » (préservation des terres arables et des cours d’eau, augmentation des revenus pour les agriculteurs…) et les surcoûts induits par le pilotage et l’installation de panneaux pivotants, « encore non couverts par l’incrément des bénéfices économiques agricoles » seront, selon l’expert financier, deux des principaux enjeux à prendre en compte. Et si, pour l’heure, aucun dispositif national d’aide au photovoltaïque agricole (en dehors de diverses mesures, notamment fiscales) n’existe actuellement en France, nul doute qu’il sera peut-être l’un des enseignements à tirer de toutes ces expérimentations… 

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