Blanquefort : mildiou et pesticides en débats


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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 06/03/2019 PAR Romain Béteille

Résurgence accélérée

« Mieux vaut prévenir que guérir ». Ce mardi 5 mars, un public majoritairement composé de professionnels de la viticulture et des instances agricoles s’est réuni au sein du lycée agricole de Blanquefort pour faire un « état des lieux » de la pression sanitaire exercée en 2018 par le mildiou. En 2018, cette maladie de la vigne a fait plus de dégâts que les années précédentes : selon le réseau BSV (Bulletin de Santé du Végétal, édité chaque année), 77% des parcelles traitées par des produits phytosanitaires ont été impactées avec des niveaux de dégâts variant entre 1 et 100%. Selon ces mêmes données, la climatologie de 2018 a été marquée par des excès, avec notamment une pluviométrie excédentaire et des températures plutôt douces sur l’hiver et le printemps, favorisant la résurgence de la maladie et des conditions favorables à l’apparition de oeufs. Une période particulièrement critique a eu lieu entre fin et mai et début juillet, avec trois grosses vagues de contamination.

Les données BSV évoquent également une floraison rapide : dix-huit jours contre un mois si l’on prend les données des huit dernières années. La particularité de 2018 pour les viticulteurs confrontés au phénomène, c’est l’accélération de la constance du risque : il a été élevé tout au long de l’année, avec des parcelles particulièrement atteintes au niveau des grappes sur les « témoins non traités », plus encore que sur les feuilles de vigne. Pour BSV, « la très forte pression s’est prolongée tout au long de la saison à cause de longues périodes pluvieuses, localement orageuses et répétées, des températures supérieures à la normale et une hygrométrie permanente élevée. En termes de pression sanitaire, 2018 est ainsi comparée à 2000, 2007 et 2008, soit trois années de forte pression, mais moins constante. « Il y a eu, sur ces années, des séquences de pause dans le niveau du risque qui a baissé, ce qui a permis aux viticuleurs qui se sentaient dépassés de rattraper le coup », ce qui n’a visiblement pas vraiment été le cas pour 2018. Enfin, selon l’UIPP (Union des Industries de la Protection des Plantes), « il s’agit de la première année depuis huit ans où l’on constate une généralisation des symptômes avec des attaques très hétérogènes ».

Programmes et résistances

Dans ce contexte d’une année particulièrement compliquée pour la contamination de cette vigne par le mildiou, la « pression sociétale », comme la nomme Patrick Vasseur, l’un des vice-présidents de la Chambre d’Agriculture de la Gironde (qui a récemment changé de président), n’a pas été oubliée. « Nous allons peut-être devoir travailler dans l’illégalité avec des risques importants, des arrêtés préfectoraux qui se contredisent et des difficultés d’organisation par rapport à la météo mais aussi à la structure de nos entreprises. Nous vivons l’époque des sans : sans CMR, sans glyphosate, sans résidus et ce n’est pas fini ». En plaidant pour sa cause, le viticulteur assure que « beaucoup d’efforts ont été faits mais demain, il faudra poursuivre cet effort car demain nous n’aurons plus le droit à l’erreur. La société demande cette évolution, la législation va nous l’imposer ». La réduction des produits phytosanitaires est en effet dans l’air du temps. En octobre dernier par exemple, une coalition de 120 ONG, institutions et scientifiques a produit un manifeste en faveur d’une réforme de la procédure d’autorisation des pesticides dans l’Union européenne. Des rapports de députés souhaitent, de leur côté, fixer un objectif européen, et des objectifs de réduction pourraient être intégrés dans la future PAC.

Face à cela, le monde viticole s’organise. Au niveau national, on a vu émerger le plan Écophyto 2+, intégrant notamment le plan de sortie du glyphosate et l’objectif de réduire de 25% l’utilisation des produits phytosanitaires en 2020 et de 50% en 2025 toutes cultures confondues. « Ça fait beaucoup de choses en même temps pour les viticulteurs. Le plan Ecophyto, c’est 71 millions d’euros débloqués au niveau national et 30 millions d’euros au niveau régional dont 4,81 millions d’euros en Nouvelle-Aquitaine. Il vise à mettre en œuvre des nouvelles pratiques pour moins et mieux traiter, avoir une performance économique, environnementale et la meilleure efficacité de traitement possible », continue Patrick Vasseur. Le vaste programme VitiREV (faisant partie du dispositif national « Territoires d’Innovation de grande ambition ») et son objectif de respect de l’environnement se conjugue à d’autres actions mis en place, comme le réseau des fermes Dephy, l’une des grandes avancées du premier plan Écophyto. En France, l’objectif est de 30 000 fermes. En Nouvelle-Aquitaine, on compte pour l’intant 13 groupements pour la viticulture composés de dix à quinze viticulteurs par groupe (huit en Aquitaine et cinq en Poitou-Charentes), pour qui les leviers de recherche sont multiples : « la pulvérisation confinée, le biocontrôle, la gestion des sols, les OAD (Outils d’Aide à la Décision), les cépages résistants ou encore la robotique. Dans ces groupes, on a constaté une réduction moyenne de 17% sur l’Indicateur de Fréquence de Traitements phytosanitaires entre 2015 et 2017″, continue Patrick Vasseur. 

« On va nous demander de résoudre les problèmes sanitaires, le mildiou en est un ». En se basant sur les chiffres de la base de données des ventes des distributeurs, une association avait, en novembre dernier, décerné à la Gironde un prix peu flatteur. Selon une récente enquête sur les pratiques phytosanitaires en viticulture en 2016, on constate une présence toujours très marquée des fongicides, ce qui recoupe les données BNV-D sur la quantité de produits vendus (42% sont des fongicides, 34% des herbicides et 12% des insecticides). Au niveau de l’Aquitaine, la Fédération Régionale de Défense contre les Organismes Nuisibles (FREDON) a mis en place un « plan de surveillance des résistances aux traitements des maladies de la vigne, dont le mildiou. En 2018, elle a effectué 89 prélèvements dans la région et effectué des tests très poussés (et une quinzaine programmée en 2019 concernant le mildiou), avec la limite du test en laboratoire « qui ne reflète pas forcément l’efficacité au champ ». On y voit notamment apparaître de forts cas de résistance au Cyazofamide, un fongicide autorisé sur le marché européen depuis 2003 : vingt cas de résistance ont été détectés sur les 25 souches, et il est conseillé d’éviter son utilisation « en cas de forte pression du mildiou ».

Pistes et blocages

Dans une note technique récemment publiée, il est notamment conseillé aux viticulteurs de vérifier la « qualité de pulvérisation pour « améliorer la stratégie de protection ». L’efficacité de la pulvérisation est plus qu’un simple objectif technique : le récent exemple de l’installation d’un collège près des vignes à Parempuyre en est un des exemples, et les avancées sur la pulvérisation font donc partie des enjeux à relever pour les viticulteurs. L’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV) travaille ainsi à une classification des pulvérisateurs pour l’été prochain, avec pour objectif « un estampillage pour orienter les viticulteurs au mieux pour les performances en termes de dérives ». « Des chartes Écophyto sont à venir en Nouvelle-Aquitaine pour éviter de limiter la dérive des pulvérisations chez le voisin. Beaucoup de gens ne tolèrent plus ces dérives, et les pulvérisateurs confinés peuvent rendre des services quand on a des voisins proches. En Charente, on a fait ce choix-là : 500 pulvérisateurs confinés ont été acquis dont 200 cette année. Certes, ils ont les moyens, mais ça répond quand même à une problématique », tempère Patrick Vasseur. Cette journée consacrée au mildiou et à ces problématiques a aussi été l’occasion de relater des témoignages de cas « de réussite et d’échec » face au traitement, en conventionnel comme en bio. Dans un cas d’échec en conventionnel, par exemple, plusieurs raisons sont évoquées : le passage d’un produit inadapté face aux conditions climatiques, des cadences de pulvérisation non adaptées aux risques et globalement une stratégie non conforme aux risques. Dans un autre cas au sein d’une exploitation à Saint-Selve, de réussite celui-là, les experts ont justifié une utilisation de produits en préventif pour lutter contre le mildiou (dont le Folpel faisait partie). Les dégâts constatés sont, on l’a dit, très divers, mais les raisons de réussite sont souvent liées à des traitements optimisés et au choix du « bon produit au bon moment ».

La « révolution lente » milite donc pour des traitements mieux adaptés. Pierre-Henry Cozyns, viticulteur bio en Côtes de Bourg, a lui aussi levé un lièvre en parlant de son expérience personnelle.  » Une grosse partie du parcellaire a été anéanti par la grêle du 26 mai et six autres hectares ont été grêlés le 15 juillet. On a quand même réussi à faire des rendements de cinquante hecto-hectares, en partie parce qu’on a entretenu de façon un peu plus superficielle la grosse partie qui avait subi la grêle pour se concentrer sur les six hectares. Ça nous a permis d’être plus réactifs, plus pointus en termes de pulvérisation et de préparation des bouillies. Concernant la dose de cuivre, on est sur cinq kilos cumulés en 2018. Six kilos, c’est bien mieux. La plupart des bio sont inquiets de la règlementation, même s’il y a des réussites à quatre kilos. Pour débuter ou si on a des petites difficultés systématiques, six kilos ça semble être le mieux ». La nouvelle règlementation sur le cuivre impose en effet le seuil de quatre kilos par hectohectare en moyenne par an sur sept ans. Or, ces produits sont particulièrement utilisés en viticulture biologique.  » En 2016, on était à quatre kilos, en 2017 aussi avec rendements corrects, mais 2018 a été compliquée à gérer », témoigne ainsi ce viticulteur qui partage les regards inquiets tournés vers cette règlementation.

De cette réunion d’information, dans laquelle on a entendu beaucoup de noms de produits phytosanitaires, on retiendra enfin des « préconisations » à destination des viticulteurs pour lutter plus efficacement contre le mildiou et ses fréquences accélérées : « améliorer les données de prévisions météo, anticiper et raccourcir les cadences de traitement, pouvoir intervenir à tout moment, être en capacité de protéger son vignoble en une journée, prévenir des problèmes liés au climat, prévoir des solutions de secours, acquérir de meilleures connaissances sur les produits phytosanitaires ou encore améliorer sa capacité de pulvérisation ». Les avancées sur le biocontrôle et autres solutions alternatives aux produits phytosanitaires dans ces dernières, elles, n’ont clairement pas dominé les débats. Pourtant, cet état des lieux a au moins eu le mérite de confirmer que face à une pression de la maladie qualifiée de « constante » sur un vaste territoire, les recherches continuent et les réunions d’information comme celle de Blanquefort vont se multiplier sur tout le mois de mars : le 14 à Saint-Savin, le 15 à Cadillac, le 19 à Montagne ou encore le 20 mars à Saint-Pierre-de-Mons.

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