Développement durable : les vins de Bordeaux veulent du vert


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Temps de lecture 10 min

Publication PUBLIÉ LE 06/12/2018 PAR Romain Béteille

Episode 10 : la filière contre-attaque

C’est à une véritable contre-offensive à laquelle s’est livrée la filière des vins de Bordeaux ce jeudi 6 décembre, à l’occasion de la dixième édition du Forum Environnemental de la filière des Vins de Bordeaux, organisée au Palais des Congrès de Bordeaux Lac. L’occasion de faire un point d’étape important sur les avancées de l’adaptation au changement climatique, mais aussi les efforts communs dans la réduction des produits phytosanitaires. Depuis le premier sujet de l’émission Cash Investigation en 2016, qui a « bousculé les esprits », il est vrai que le sujet revient régulièrement sur la table. Récemment, l’association Génération Futures a encore enfoncé le clou en attribuant à la Gironde la deuxième place des départements les plus acheteurs de pesticides (3154 tonnes), en se basant sur des données de la Banque nationale de vente des distributeurs, dépendant elle même du ministère de la Transition écologique. Elle apparaissait même en quatrième position pour l’utilisation de glyphosate. Ce mercredi, plusieurs associations ont pointé du doigt le château Lafon-Rochet et fait analyser par un laboratoire plusieurs millésimes, en tirant des conclusions plutôt accablantes sur la présence de Folpel (classé CMR), et de plusieurs autres pesticides dans un domaine qui avait eu recours à des indicateurs bio (sans pour autant avoir été certifié).  S’attaquer à des symboles n’est pas vraiment nouveau pour ces associations qui font figure de lanceurs d’alerte : en janvier déjà, elles avaient envoyé en laboratoire une bouteille de château de l’Enclos, propriété de Bernard Farges, ex-président du CIVB et président du Syndicat des AOC Bordeaux et Bordeaux supérieur. Résultat : la présence de seize pesticides, dont 4 CMR. « Nous sommes fatiguées d’entendre le discours du CIVB, à renfort de plusieurs millions d’euros de marketing, expliquant que “tout va bien, la filière fait des efforts”, avançant toujours les mêmes arguments du SME et des cépages résistants, qui ne sont que des cosmétiques. Ils ne se saisissent pas du problème », avaient alors dénoncé les associations.

Qui croire quand on parle de mises au vert ? Face à ces analyses de labo, le forum de ce jeudi a convoqué de très nombreux viticulteurs, scientifiques, chercheurs et décideurs publics pour tenter de montrer que oui, les avancées existaient mais n’étaient pas toujours visibles par le grand public. « C’est une décénnie de transition, même si ce qu’on faisait au début des années 2000 n’avait rien à voir avec ce qu’il se passait dans les années 80. Il y avait déjà de fortes diminutions avec une liste de molécules interdites qui s’agrandissait chaque année, mais on était encore sous cette impulsion de la règlementation », a ainsi affirmé le Président du CIVB , Allan Sichel. « Depuis sept ou huit ans, on est face à une prise de conscience, un effort volontaire dans lequel les opérateurs vont bien plus loin que ce que la règlementation impose. Ce n’est pas parce qu’on veut s’imposer des contraintes mais parce qu’on y croit et que c’est important de préserver les qualités du terroir si on veut continuer à produire des grands vins dans les années à venir. Il y a des enjeux de santé et une pression sociétale indéniable à laquelle il faut répondre », a résumé ce dernier.

Ambition régionale et chiroptères

La communication, il est vrai, est un outil que le CIVB ne se lasse jamais de manier. Dans son rapport de développement durable version 2018, édité récemment, il détaille les « faits marquants » de 2018, dont le dixième forum a amplement profité. Ainsi, les vignobles aquitains font partie des 24 lauréats de l’appel à manifestation d’intérêt national TIGA (Territoires d’Innovation de Grande Ambition) au travers du projet VitiREV, dont la conseillère régionale Lydia Héraud a brièvement présenté le calendrier. « Ca fait partie d’un plan de réduction de l’usage des pesticides signé en 2016. Nous y avons associé 140 partenaires avec l’objectif d’aller plus vite et plus loin sur ces réductions. L’appel à projets définitif de l’Etat, pilote de TIGA, vient de paraître, les 24 candidats devraient passer leur grand oral en juillet prochain et les résultats sont attendus pour septembre 2019. Les financements (450 millions d’euros au total dont un tiers de subventions et deux tiers de fonds propres) devraient être débloqués en 2020. Entre temps, la région veut organiser une plénière spéciale consacrée à la transition agricole en général en 2019 », a affirmé l’élue.

L’exemple de Vitirev n’est pas le seul à avoir bénéficié d’un (court) éclairage. En mars, une étude de la LPO Aquitaine (Ligue de Protection des oiseaux) réalisée avec le CIVB, l’INRA et Eliomys, prouve l’efficacité des chauves-souris contre les papillons ravageurs de la vigne, et réussit à montrer, grâce à des expériences de terrain, la grande diversité d’espèces de chauves-souris présentes. Pour le représentant de la LPO, Yannick Charbonnier, beaucoup de chemin reste encore à faire. « On veut inciter les viticulteurs à faire remonter la présence de colonies de chauves-souris, via une application mobile ou un site internet, pour développer des actions avec eux à partir de leurs infos. On a été en mesure de montrer quelques unes des relations qui pouvaient exister entre les chauves-souris et les ravageurs de la vigne mais il y a encore plein de questions, notamment celle de la quantification de cet effet. En gros : est-ce que le simple fait que les chauves-souris mangent des ravageurs suffit à produire un effet réel sur les vignes ? L’autre relation qu’il faudra arriver à mieux comprendre, c’est celle entre l’organisation locale des parcelles de vigne et la diversité des espèces de chauves-souris. Enfin, on se demande encore comment l’organisation globale du vignoble à une échelle paysagère peut influencer leur activité. Une fois qu’on aura assez de connaissances, on sera en mesure de pouvoir conseiller les viticulteurs à en accueillir plus sur leurs parcelles ».

Méthodes alternatives
Pour Benoît Soulies, viticulteur au château Labrande (AOC Fronsac), certifié bio et HVE (Haute Valeur Environnementale, un label qui peut être inscrit sur les bouteilles et qui concernait en 2018 241 exploitations en Gironde) depuis juillet dernier, installer des nichoirs à chauves-souris dans ses vignes, ce n’est pas nouveau. En revanche, les avancées de la filière sur la réduction des pesticides, il les juge moins sévèrement que les lanceurs d’alerte. « On a beaucoup évolué sur les propriétés, il y a eu des changements à tous les niveaux, en culture conventionnelle comme en bio mais les gens ne le voient pas forcément. Je souhaitais être certifié HVE pour pouvoir montrer qu’il y avait une traçabilité totale sur le fonctionnement de mon exploitation. C’est un processus d’éco-responsabilité. Je conçois qu’il y ait des exploitations qui ne soient pas en bio et qui n’aient pas envie d’y aller. J’espère qu’avec les études et les avancées dans le domaine, on arrivera à supprimer un maximum de pesticides et d’intrants chimiques. C’est vrai que passer en bio a réduit mon rendement de manière significative et ça a un vrai impact financier. Si on a de gros investissements à amortir, c’est compliqué. Nous, on les limite, on essaie de faire un peu chaque année au lieu de faire tout d’un seul coup », témoigne le professionnel.

Récemment, il a été confronté au débat sur la réduction de l’utilisation du cuivre pour le traitement de la vigne. Pour lui, la limitation quantitative récemment votée « n’est pas un frein, il faudra faire plus attention. Sur mon exploitation sur les cinq dernières années, on est à 3,8 kilos de cuivre par hectare et par an. Il ne faudra pas descendre en dessous de quatre kilos, parce que sinon ça risque d’être compliqué pour avoir des propriétés viables ». Pour un autre viticulteur, « l’évolution climatique est importante mais bien plus faible que la variabilité climatique annuelle. L’effet millésime à Bordeaux est très important. Pour la tendance globale, on ne sait pas vraiment mais ce que nous craignons en termes de changements climatiques, c’est une implantation de pathogènes nouveaux ». Et donc, potentiellement, l’arrivée de nouveaux pesticides sur le marché pour y faire face… Dans une présentation détaillée, Laurent Charlier qui officie au service technique du CIVB a apporté des nuances au « palmarès » dressé par Générations futures. Si le tonnage des produits phytosanitaires n’a pas été remis en cause, sa répartition tend à prouver la réduction, d’année en année, de l’utilisation des produits les plus dangereux (CMR) avec une division par deux entre 2014 et 2016 selon la DRAAF, de la nette augmentation de l’utilisation du souffre (de 20% du tonnage en 2008 à 50% en 2018), d’un cuivre qui reste stable mais des produits de biocontrôle qui ont tendance, même si leur part reste très marginale, à être de plus en plus identifiés par les amateurs de méthodes alternatives en conventionnel.

Nicolas Aveline, de l’IFV (Institut Français de la Vigne et du Vin), précise que sur la question encore confidentielle du biocontrôle, la recherche est active. « On a un pôle de recherche très important avec l’INRA et l’IFV sur la plante, l’environnement et les micro-organismes. On travaille aussi sur le terrain avec la Chambre d’Agriculture de la Gironde pour mettre en place des parcelles d’essai pour tester des produits et différentes stratégies et montrer aux viticulteurs les résultats concrets. Enfin, des chercheurs de l’IFV travaillent, avec les viticulteurs, sur de grandes parcelles à l’échelle de l’exploitation pour tester toutes les solutions dans l’itinéraire technique et utiliser au maximum le biocontrôle pour essayer de réduire de façon significative l’utilisation des intrants chimiques classiques ». Ce que le spécialiste a également mentionné, c’est que toutes les solutions de biocontrôle n’ont pas la même efficacité d’un domaine à un autre, sans compter que certaines sont bien plus récentes que d’autres sur un marché qui se développe. « Des solutions fonctionnent déjà (confusion sexuelle, soufre, insecticides), elles sont bien connues. En face, on a de nouveaux produits plus récents, par exemple des produits utilisant des modes d’actions de stimulation des défenses ou des micro-organismes (bactéries, champignons) compétiteurs que l’on va appliquer sur les baies en espérant qu’ils empêchent la pourriture de se développer. Ces modes d’action sont très complexes et difficiles à appréhender pour les viticulteurs parce que des facteurs environnementaux au niveau de la parcelle, de la physiologie de la vigne, vont influencer leur efficacité. Quand on fait nos essais, parfois d’une année sur l’autre, on n’a pas toujours le même degré d’efficacité ».

Feux verts

En avril dernier, la filière des vins de Bordeaux a établi un plan Ambition 2025, dont l’un des axes identifiés est de doter les viticulteurs d’une politique RSE (pour Responsabilité Sociale des entreprises) collective, et ce pour compléter le SME (Système de Management Environnemental) mis en place en 2010 censé, là aussi, « accompagner le changement de pratiques ». En 2018, 800 entreprises du secteur viticole bordelais étaient engagées dans cette démarche, dont le président du CIVB décrit le RSE comme un continuité. « Le SME est en place depuis longtemps, ça nous donne confiance dans le dispositif que l’on met en place : un animateur autour d’une vingtaine d’entreprises, beaucoup de dialogues et d’échanges pour progresser. Les groupes ne sont pas homogènes et c’est fait exprès pour qu’il y ait quelques leaders qui inspirent ceux qui sont moins avancés. Notre rôle, c’est de donner la ligne directrice, de montrer les enjeux, d’anticiper sur les évolutions des attentes sociétales et d’accompagner les acteurs. On n’a aucun pouvoir d’interdire ou de rendre obligatoire puisqu’on est dans un cadre règlementaire, mais on peut inciter à aller plus loin que le cadre juridique légal obligatoire. On a six axes stratégiques dans le Plan Ambition 2025 et la RSE en fait partie. On va mettre en place notre propre référentiel qui ne fera pas cependant pas l’objet d’une certification ». Il faut souligner ici que le SME accompagne les viticulteurs jusqu’à la présentation à la certification mais que cette dernière reste un acte volontaire. A ce jour, la SME inclue deux type de certification : la certification HVE de niveau 3 et la certification collective ISO 14001, norme établissant des préoccupations environnementales dans la démarche de l’entreprise au moyen d’un cahier des charges comportant des obligations de moyens. En 2018, on compte 246 entreprises dans la SME du Vin de Bordeaux certifiées par l’une ou l’autre (25 en ISO 140001, 76 en HVE et 145 ayant les deux).

L’objectif pour 2025, c’est donc que 100% de la filière soit engagée dans une démarche RSE, dont « la transformation » fait partie des piliers. Pour cela (et aussi pour faire passer le message de la contre-offensive évoquée plus haut auprès du grand public), le CIVB ne va pas lésiner sur la communication : campagne ciblée sur les réseaux sociaux et le web, trophées « Bordeaux Vignoble Engagé » dont les candidatures seront lancées dans quelques jours et qui prévoit de récompenser les viticulteurs les plus vertueux en avril à l’occasion d’une cérémonie à la Cité du Vin, arrivée du site Bordeaux Vignoble Engagé en onglet sur le site de la ville de Bordeaux…  Le CIVB a même récemment commandé une étude à l’institut BVA : en questionnant 1000 « consommateurs de vin et les professionnels de la filière », elle  a cherché à connaître les perceptions des deux dans les engagements potentiels en matière de RSE. Les premiers résultats montrent « un ressenti globalement en phase sur les engagements prioritaires », à savoir l’engagement environnemental (prioritaire à 50% pour les consommateurs, à 52% pour les professionnels), l’engagement sur la santé (49%/52%), le commerce équitable (33%/51%), le social et le management (25%/19%), le développement local (19%/27%) et enfin les relations avec le voisinage (12%/30%). Bilan des courses après toutes ces démonstrations et recherches de pistes :  le vignoble bordelais veut voir plus vert, et, visiblement, a une grande envie de le faire savoir…

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