Innovation agricole : tendances néo-aquitaines


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Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 21/10/2019 PAR Romain Béteille

« Il se dégage de ces innovations trois tendances. Plus de la moitié des dossiers sont des innovations numériques : pilotage des machines, outils d’aide à la décision, robotisation des équipements fixes… La deuxième tendance, c’est les alternatives ou la réduction de l’utilisation des intrants chimiques. Enfin, la différenciation commerciale est elle aussi majeure, à la fois pour positionner des produits existants ou conquérir de nouveaux marchés » a ainsi souligné Gilbert Grenier, professeur d’automatique et génie des équipements à Bordeaux Sciences agro, lors d’une présentation localisée du salon montpelliérain. Si le français Sun’Agri et l’italien New Holland Agriculture (pour, respectivement, une solution d’agrivoltaïsme dynamique et une « polyvalence à la demande » pour machine à vendanger) raflent les deux médailles d’or des Sitevi Innovation Awards cette année, comme pour mieux souligner cette tendance, quelques régionaux de l’étape se cachent encore dans le reste du palmarès.

Des tracteurs toujours plus autonomes

C’est le cas pour le groupe SDF (SAME Deutz-Fahr), troisième plus important constructeur de tracteurs au monde. L’antenne française de la multinationale est basée à Châteaubernard, près de Cognac en Charente. Et cette année, elle repart avec une médaille de bronze pour le « Frutteto CVT Activesteer« . Derrière ce nom un brin barbare se cache un tracteur spécialement adapté aux vignerons avec un système de direction adapté aux quatres roues. Nicolas Bedrune, responsable chez SDF France, donne quelques précisions sur « l’aboutissement d’un projet qui a nécessité plus de vingt ans de recherche et développement ». En plus d’une transmission à variation continue (une boîte de vitesse automatique, pour faire simple), c’est surtout sur son système de braquage des quatre roues en simultané que la machine se distingue. « On va vouloir amener à nos viticulteurs plus de rentabilité : elle passe par le confort et la rapidité. Le confort, c’est la variation continue, les suspensions, et l’homologation de la cabine en termes de filtration qui protège le chauffeur de la diffusion des produits phytosanitaires. L’Active Steer, lui, permet un gain de temps dans les virages : le fait de braquer le tracteur sur les quatre roues va permettre de réduire de 28% le rayon de braquage, donnée importante dans les vignes où l’espace entre chaque rang est de 1,60 m. C’est un système géré électroniquement avec quatre modes de conduite (dont le mode « crabe » pour protéger les cultures et éviter le tassement des sols ». Le tracteur est également équipé d’un tableau de bord tactile. Autrement dit, les fonctions de la machine tendent de plus en plus vers l’automatisation. « Le chauffeur contrôle les opérations, le tracteur devance quasiment ses attentes ».

Ce tracteur, qui adapte le nombre d’équipements embarqués et le prix pratiqué en fonction de la demande des professionnels, pose aussi la question de l’automatisation complète du travail dans les vignes, dans un secteur en tension et en constante recherche de tractoristes (on estime entre 4 et 5000 la demande d’emplois non-pourvus rien que pour le vignoble bordelais). Demain, les tracteurs se conduiront-ils tous seuls ? « Il y a une tendance qui va vers cette robotisation, ça c’est clair », affirme Nicolas Bedrune. Des propos confirmés par les dernières innovations présentées par l’équipementier John Deer au Fira (Forum international de la robotique agricole) en décembre 2018. « Technologiquement, on pourra y arriver un jour. La législation stoppera ou ralentira peut-être le mouvement. En bureau d’études, on a de tout dont certaines choses ne sortiront jamais mais nos tracteurs sont déjà assez robotisés aujourd’hui. Actuellement, on est en train de travailler sur le guidage pour les vignerons, c’est une forme de robotisation… ». Le contexte est en tout cas favorable et la demande en nouveaux équipements forte : sur les premiers mois de l’année 2019, la production de matériel de travail du sol (dont la France est le premier importateur mondial) a représenté 1,3 milliard d’euros en 2017. Le marché de l’équipement français pourrait même atteindre un niveau record en 2019. Celui des tracteurs étroits réservés à la vigne, en revanche, a connu une forte baisse d’activité en 2018 selon les données Axema : -27,5%. À charge donc pour la dernière innovation d’SDF de se démarquer après la récente vente actée de son premier tracteur « Active Steer ». Il a gagné le prix de la « machine de l’année » au dernier SIMA (Salon International du Machinisme Agricole).

Un processus de vinification toujours plus contrôlé

La deuxième innovation locale est encore plus spécifique aux vignerons, destinée aux les producteurs de vins blanc et rosé. Elle a été imaginée par l’entreprise Michael Paetzold (concepteur et constructeur de solutions oenotechnologiques) dont le siège est basé à Cadaujac, en Gironde, et a reçu elle aussi une médaille de bronze. Il s’agit d’une « unité d’oxydation contrôlée des moûts ». Comme ce n’est pas beaucoup plus clair, on a demandé à Jean-Sébastien Laronche, responsable produit, de nous éclairer sur cette unité mobile capable de lutter contre le phénomène de vieillissement prématuré des vins blancs et rosé en bouteille.

« Le vieillissement prématuré conduit à une perte aromatique et une perte de fraîcheur, en plus d’une modification de la couleur. C’est un phénomène en augmentation qui vient en partie de la modification des pratiques œnologiques : on préserve totalement les vins de l’oxygène depuis qu’on récolte le raisin jusqu’à la mise en bouteille. C’est dû aussi au changement climatique et à une récolte plus tanique aux degrés plus élevés. La capacité d’un vin à bien vieillir est très importante pour le viticulteur. Pour se prémunir de cette problématique, on va souvent ajouter de la colle contenant des intrants chimiques pas très spécifiques dont la dose a besoin d’être contrôlée si on ne veut pas altérer le vin. On utilise aussi parfois la « recette maison » en aérant les cuves, mais cette opération n’est pas répétable d’une cuve et d’une récolte à une autre. L’hyper-oxygénation peut être intéressante pour les fins de presse mais pas pour l’ensemble du moût et va créer un vin plus standard. C’est, en gros, une bombe à retardement ».

Comment l’entreprise girondine compte-t-elle changer ces pratiques et aller vers un contrôle accru du processus d’oxygénation ? Avec une machine qui va « apporter une juste dose d’oxygène au départ dans le moût, ce qui permettra d’en augmenter la stabilité, d’enlever les polyphénols et de garder la typicité des vins. C’est le viticulteur qui a la main sur le curseur, mais l’objectif est bien de ne plus retrouver ces polyphénols sensibles à l’oxygène, responsable du vieillissement prématuré, à l’intérieur de la bouteille ». Indirectement, ce processus qui s’effectue par un outil « compact et mobile » permet aussi de diminuer les doses de sulfites et de limiter les intrants. « Lors de nos processus de tests, on a effectué une trentaine d’essais dans des labos et des chais. Pour une opération qui dure entre 30 minutes et deux heures, on a constaté qu’après traitement, le polyphénol avait été retiré et les doses de sulfites réduites ». Une technique qui répond, évidemment, à une demande commerciale de plus en plus forte (et encore un peu floue) des « vins naturels »

Une irrigation de précision

Le dernier exemple est sans doute le plus politique et stratégique de tous : l’utilisation de l’eau dans l’agriculture. En Nouvelle-Aquitaine, les mesures de restriction s’enchaînent, les responsables publics alertent sur la nécessité de préserver la ressource, les comités locaux s’inquiètent et les complications juridiques chassent dans la même cour que les malaises politiques. Et la pression est forte : en mai dernier par exemple, le tribunal administratif de Poitiers a annulé deux arrêtés préfectoraux (pris en 2016 et 2017) règlementant les prélèvements en eau en ex-Poitou-Charentes. « Pour l’irrigation, il y a une incompréhension entre les agriculteurs et la population », abonde Gilbert Grenier. »Il faut continuer à avoir des cultures pour éviter la désertification des sols, les incendies de forêt et la disparition de l’agriculture. L’irrigation est aussi un moyen de climatiser des secteurs entiers et de protéger l’activité agricole mais aussi les zones urbaines en faisant baisser la température. Il ne s’agit pas nécessairement de puiser dans des nappes, mais il va falloir créer des ressources ou faire de nouveaux barrages ». L’agriculture tend de plus en plus vers le « raisonné », l’irrigation suit-elle le mouvement ?

C’est en tout cas dans ce couloir assez large que s’est immiscée l’entreprise TCSD originaire de Montauban, depuis 2012. Elle suit, grâce à des stations connectées, l’état hydrique des sols en temps réel et récolte des données permettant de calculer l’ETP (ÉvapoTranspiration Potentielle) l’état hydrique, la pluviométrie et utilise la dendrométrie pour mesurer le flux de sève circulant dans le végétal, et donc son « ressenti » face à l’irrigation mise en place par l’agriculteur. Ça permet d’éviter les risques de sécheresse au niveau du sol et l’asphyxie par le trop-plein d’irrigation », affirme Michel Contardo, directeur de TCSD. « En gros, on associe tous ces capteurs sur une seule plateforme et on calcule de manière automatique les apports en eau à faire. S’il y a une décroissance du végétal, on est capable de déterminer d’où ça vient ». TCSD veut aller plus loin, elle est déjà au travail sur un « outil plus simple qui sortira en 2020 et qui se présentera sous la forme de drapeaux. S’il est rouge, on ne peut rien faire car la décroissance du végétal sera due à la variation de températures ou au vent. S’il est orange, c’est qu’il n’y aura pas assez d’eau ou qu’il y en aura trop. S’il est vert, la croissance sera normale. On a aujourd’hui plus de 120 systèmes connectés au pilotage des vannes dans les champs mais sur concernant les intrants et la fertilisation, on s’est aperçus que les stations étaient mises un peu n’importe-où. Avec une radiographie du sol, on peut mesurer la productivité des parcelles pour mieux implanter les stations par rapport à l’homogénéité du terrain. On est en train d’amener dans l’arboriculture et dans la viticulture les outils qu’on a dans les grandes cultures ». 

Cette agriculture de plus en plus connectée à des capteurs, selon Michel Contardo, trouve avant tout son utilité dans la transparence. « Dans les Deux-Sèvres, sur la Charente et jusqu’au Nord de la région, peu de gens savent les ressources qu’ils récupèrent l’hiver au niveau des vergers. On voit arriver une nouvelle génération d’agriculteurs déjà connectés et qui vont vers la simplicité et la transparence. On s’aperçoit que la transparence vis-à-vis des pouvoirs politiques va nous ouvrir la possibilité d’avoir des forages ou des retenues d’eau. On l’a vécue chez nous avec le barrage de Sivens : sur toute la vallée, seuls deux agriculteurs étaient réellement connectés. Mesurer les consommations et l’efficience d’eau permet de montrer qu’il y a une économie de la ressource et qu’on ne fait pas n’importe quoi », continue-t-il.

Avec des effets concrets ? Oui, à en croire le spécialiste. « En moyenne, un agriculteur qui est équipé réalise la première année 30% d’apport d’eau en moins. On ne veut pas vendre notre système comme une « économie d’eau », c’est un peu facile à dire parce que si l’année d’après il fait très chaud, les données changent. En Charente, on a mis en place chez des agriculteurs en grande culture des mesures de l’état hydrique des sols. On a ensuite équipé toutes les bornes d’irrigation de compteur et on a été mettre des piézomètres sur les nappes phréatiques. Ce qu’on a vu, c’est que l’eau était là, qu’elle se déplaçait. Ces informations sont récoltées à l’instant T, ce qu’on avait pas avant. Le maillage de toutes ces informations nous permet de prendre des décisions plus fines. L’agriculture va devenir un domaine de précision. Lors des fortes chaleurs de cet été, on a mesuré que l’aspersion en pleine journée, dans le kiwi ou la pomme, va faire baisser la température et permettre au végétal de continuer sa croissance. On a vu des gens irriguer en plein après-midi à plus de 33 degrés, ce qui ne servait à rien… L’irrigation est aussi une façon de gérer localement un microclimat, et permettre de la mesurer augmente son efficience ».

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