Interview : Michel Prugue, Président de l’INAO et du groupe Maïsadour: trouver un équilibre subtil entre producteurs et consommateurs.


Groupe Maïsadour
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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 25/05/2011 PAR Joël AUBERT

@qui! – Chercher à défendre et promouvoir des produits de qualité comme le sud ouest est capable de le faire tout en répondant aux attentes parfois contradictoires de la société: des aliments sains et de prix abordables: le défi est important… 

Michel Prugue
– Si l’on résume brièvement, c’est souvent derrière les négociations de prix et de volume avec la grande distribution que se dessine l’acte d’achat du consommateur. Le distributeur peut l’influencer par la mise en avant du produit mais, aujourd’hui, on voit que l’impact du débat sociétal sur la façon de produire en respectant les ressources naturelles, sur le bio, est indissociable de l’existence d’un marché. 

A partir du moment où il y a un marché solvable, les entreprises n’ont aucun problème a répondre à ces demandes. Mais une demande sans marché  a peu de chances d’aboutir. Le Bio en est la très belle illustration car pendant longtemps on a parlé du bio mais maintenant que les gens achètent du bio ça ne pose plus de problèmes d’en produire. J’ai connu l’époque où on produisait  du bio ; on en vendait 10%, le reste passait en conventionnel et les producteurs en assumaient la charge…Le producteur, depuis des années, on lui explique qu’il doit produire ce que le marché veut acheter; ce n’est pas aussi  basique. Dans notre région on est très fiers et attachés à nos productions locales traditionnelles. A partir de là on a deux angles d’attaque. Comment faire perdurer ce savoir faire et ces produits qui nous viennent de loin tout en sachant les adapter à des modes de consommation plus modernes? Si on parle du marché local régional, le produit est connu. Quand on l’exporte ce terme est banni  aujourd’hui il faut qu’on réponde à trois niveaux : la sécurité, le plaisir – ça apporte du bien être de la reconnaissance de soi-, l’environnement: « ne faites pas de mal à notre planète ». Quand il s’agit de nos produits sous origine ou signe de qualité, on le fait naturellement mais on ne le dit pas de manière explicite. En effet ces produits ont passé le temps, les époques ; ça veut dire que les ressources naturelles sont protégées. C’est dans la nature des choses.


@! –  Est ce que vous avez conscience qu’il faut, quand même, communiquer, expliquer  plus que jamais ? Et ce d’autant que les représentations qui sont souvent données de l’agriculture, de la production, peuvent être caricaturales et jeter le trouble dans les esprits ?

M.P. – il faut communiquer beaucoup plus. Mais la difficulté vient de ce que nous avons un message complexe à faire passer. Suivant les périodes et les publics, les supports sont différents; il faut choisir des axes spécifiques. Quand on va s’adresser à des journaux gastronomiques on va parler plaisir et qualité du produits ; dans des journaux agricoles on va parler de la performance économique; quand on va s’adresser,  de manière plus générale, au grand public il va falloir parler de l’empreinte écologique de ces productions. Mais, en fer de lance des trois axes différents, qu’est-ce qui va actionner le moteur de l’acte d’achat ? Nous ne sommes pas des philanthropes: on est là pour valoriser des productions agricoles qui s’adaptent aux besoins de nos sociétés mais doivent en même temps dégager un profit que l’on essaie de répartir – c’est notre cas dans les coopératives – le plus équitablement possible, entre les producteurs, les salariés et les besoins d’investissement pour préparer l’avenir. C’est un subtil équilibre mais ce qui est difficile à vivre ce sont des attaques permanentes des bien pensants qui ne connaissent pas forcément les conditions pédo-climatiques dans lesquelles vivent les agriculteurs et les entreprises, conditions pour lesquelles  le rôle de l’agriculteur est de maîtriser la nature. Maîtriser et non pas agresser ; on nous reproche aujourd’hui de l’agresser. Le « deal » à passer c’est, d’un côté la production ne doit pas être dans une logique d’agression mais de l’autre qu’on nous reconnaisse le droit de maîtriser la nature. Car le métier d’agriculteur, dès son origine, a consisté à la maîtriser.

@! – Un salon  de l’agriculture comme celui qui s’ouvre ce 28 mai  c’est l’occasion pour la profession d’aller à la rencontre de la société urbaine. C’est aussi l’occasion de réfléchir avec les collègues européens à cette question de la qualité des produits. Cette année les « Assises de l’origine » ont l’ambition de traiter de « la régulation au service d’une agriculture durable ». Que faut il réguler ?

M.P. –  La régulation on la vivait, la subissait sans s’en rendre compte….  C’était la Politique Agricole Commune qui, depuis son origine, avait construit un cadre qui permettait une régulation globale : les prix n’étaient jamais ni trop hauts ni trop bas; ils étaient dans un tunnel qui protégeait l’agriculteur mais également le consommateur d’une variabilité des prix, telle qu’on la connaît aujourd’hui. Le ministre de l’agriculture et celui du commerce ont reconnu, publiquement, que nous ne pouvions pas tenir des prix d’alimentation qui ne soient pas en cohérence avec le prix réel des produits agricoles ; c’est quelque chose de nouveau. Le Président de la République avait bâti sa campagne de 2007 sur le pouvoir d’achat mais peut-on détruire la production nationale au nom du pouvoir d’achat ? Ou, est-ce permettre aux  consommateurs d’avoir un juste prix pour son alimentation ?

De nouveaux outils de régulation

Aujourd’hui on est face à de la volatilité ; le ministre de l’agriculture a souhaité que la profession s’organise; un accord a été signé le 3 mai entre producteurs, transformateurs, distributeurs pour qu’il y ait des » clauses de revoyure ». Des accords inter-filières se préparent, également, entre monde céréalier et animalier de sorte qu’on puisse trouver des techniques de lissage, non pas pour éviter la hausse ou la baisse des prix mais pour qu’elle soit soutenable, à la fois pour les producteurs et les consommateurs.

Ces outils nouveaux ne sont qu’un palliatif à la destruction des outils européens sous l’ère de Mme Fischer Boel commissaire à l’agriculture; ce sont des outils privés, encouragés en cela par un monde politique qui avait d’ailleurs validé la destruction des outils qui existaient auparavant…

S’agissant des signes d’origine et de qualité nous sommes dans une démarche collective : des producteurs et des opérateurs se regroupent pour développer un produit. Basé sur un cahier des charges et des contrôles indépendants. Au nom de la concurrence, aujourd’hui, il est refusé à ces regroupements d’intérêts particuliers de pouvoir réguler les volumes et les prix sur leurs produits. Le droit de la concurrence l’interdit. Si je suis une entreprise à statut unique les règles de la concurrence, en revanche, ne m’interdisent pas de définir des volumes et des prix. Nous estimons qu’il y a distorsion mais on ne voit pas en quoi permettre à la production de poulet jaune des Landes de s’organiser en son sein, en volume et en prix, cela serait perturbateur pour le consommateur… Dans la mesure, par exemple, où il peut acheter un poulet label rouge venant d’un autre bassin de production. Cependant, les opérateurs du poulet des Landes s’ils s’amusaient… à choisir trop peu de volumes, à des prix trop élevés perdraient des parts de marché. Il faut donc trouver un subtil équilibre entre la réaction du consommateur et la volonté des opérateurs  économiques ; cela permet dans un groupe collectif, d’empêcher qu’il y ait des jeux individuels consistant à trop produire et ainsi à perdre de la valeur.

Lors du colloque sur les outils de régulation on évoquera, par exemple, la question de « la filière vin et des droits de plantation ». Dans une région où la viticulture est essentielle pour notre économie les intervenants vont pouvoir parler des droits de plantation. Imagine-t-on que n’importe qui puisse planter des pieds de vigne sans se soucier de l’état du marché ? La régulation des volumes est importante car la course aux prix entraîne généralement une dégradation de la qualité. Il faut permettre à des produits qui ont accepté de se donner une identité commune le droit de s’organiser face aux marchés. C’est parce que le marché  est organisé qu’il fonctionne.

J.A

 1. « Assises de l’origine 2011: « Signes Officiels de Qualité et d’Origine: des outils de régulation au service d’une agriculture durable » le 31 mai  Parc des Expositions de Bordeaux-Lac (9h30-12h30)

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