La filière laitière fait le point en Gironde


aqui.fr
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 15/02/2018 PAR Romain Béteille

Diminuer la dépendance

C’est l’éternelle histoire de David contre Goliath. Ce jeudi, le département de la Gironde organisait sa seconde conférence départementale consacrée à la filière lait au Tourne. Objectif : esquisser des pistes d’avenir pour un secteur qui, en monnaie sonnante et trébuchante, s’enfonce dans la crise. Certes, le département ose quelques efforts financiers : s’il a versé 394 000 euros aux élevages en 2016, ce montant a atteint 700 000 euros en 2017. Dans le détail des comptes, on découvre que 133 projets ont été accompagnés dont treize pour des dépenses de fonctionnement. 258 798 euros ont été financés dans un volet de « soutien aux investissements des éleveurs » et 54 012 euros dans les « circuits courts ». Enfin, on apprend qu’en matière de dossiers financiers consacré à l’élevage, l’écrasante majorité (235 000 euros) ont été destinés à une vaste campagne de prophylaxie (mesures d’hygiène et de prévention de maladies) Pour Bernard Castagnet, conseiller départemental du canton Le Réolais et les Bastides, « la filière laitière en Gironde est indispensable dans l’aménagement et l’attractivité du territoire ». La puissance publique, même si elle arrose de subventions (la Région aussi prend sa part) ne fait pas tout et les éleveurs girondins ne sont plus beaucoup à pouvoir en témoigner : de 2500 éleveurs laitiers dans les années 80, ils se retrouvent aujourd’hui à 68 exploitations laitières, la désertification rurale et la pression des géants du lait n’ayant que trop largement joué leur rôle. Le prix du lait appliqué par ces derniers, même s’il a subi de nettes augmentations ces derniers mois, ne parvient toujours pas à faire vivre la plupart des éleveurs témoins présents dans la salle. Alors ces derniers cherchent de nouvelles pistes qui pourraient leur permettre de diversifier leur production. 

C’est, par exemple, le cas de Sébastien Rapin, éleveur à Sigalens. Il y a un mois, il a investi dans la traite robotisée. 182 000 euros d’investissement et de mise en place plus tard, il a témoigné des premiers effets de cette nouvelle transformation au sein de son exploitation comptant une centaine de bêtes. « Une traite robotisée ne fait pas tout. Ce n’est pas non plus les analyses qui vont donner la bonne réponse, c’est avant tout l’oeil de l’éleveur. Les journées sont un peu perturbées, je n’ai pas encore trouvé un bon rythme de travail. Au bout de deux jours, j’étais perdu : finir à cinq ou six heures le soir, on n’est pas habitués. Si le coût de la maintenance (évalué à environ 7000 euros par an tout compris) peut effrayer, la solution de Sébastien semblait le faire gagner au change. Cette « simplification de vie », en apparence, sert surtout à évoquer une piste de sortie pour un métier dont le potentiel d’attractivité ne va pas en s’améliorant, même si quelques petits nouveaux s’installent. Tous les moyens sont bons pour dépendre de moins en moins des grandes laiteries.

Les défis de la transformation

Chez Nadège Peudupin, la centaine de vaches fournissent 924 000 litres de lait par an. Mais depuis quelques temps, c’est la répartition qui a changé : si 714 000 litres finissent toujours dans les cuves de Savencia, les 210 000 litres restants sont écoulés en vente directe et transformés en yaourts vendus à la ferme, sur les marchés où à des pâtissiers pour ce qui est du lait cru. Si cette transformation ne date pas d’hier (elle a commencé à se mettre en place en 2009, au plus fort de la crise laitière), elle évolue au fil des années. Aujourd’hui, elle fait partie des quatre éleveurs d’Ailas, commune plutôt épargnée par ce phénomène de désertification. Cette nouvelle corde à son arc lui a pourtant coûté quelques sacrifices. « J’ai des problèmes pour trouver de la main d’oeuvre, je vois encore moins ma fille qu’avant. Il faut être sur tous les fronts : pour la partie transformation, j’assure toutes les livraisons parce qu’on n’est pas de grosses industries donc on ne fait pas appel à des transporteurs. De toute manière, ils ne veulent pas venir parce que faire les petites épiceries, ça ne les intéresse pas. La vie de famille en pâtit un peu ». Nadège livre aussi la restauration collective. Pour les écoles primaires, depuis les avancées départementales en matière de produits locaux dans les cantines, ça s’est un peu arrangé. Pour les collèges et les lycées, le système d’appel d’offre est beaucoup moins engageant. « Sur les petites cantines regroupées, ça va. Pour les plus grosses communes, c’est plus compliqué sauf si les maires mettent la pression. Les appels d’offre, je ne fais pas parce qu’il faut tenir un prix sur dix-huit mois et gérer une situation variante, c’est beaucoup plus difficile ».

Interrogés, les élus du département présents dans la salle ont promis de se pencher sur le sujet. Nadège, elle, a peu d’espoirs. « Les cantines veulent manger local mais les petites communes commencent à avoir des problèmes pour être approvisionnées par les intermédiaires. D’autant que si les cantiniers du département sont nos contacts directs, ce sont les gestionnaires de l’Éducation Nationale qui ont le dernier mot ». Quand on lui demande si elle referait le même processus aujourd’hui qu’il y a huit ans, c’est un non catégorique. Pourtant, les effets ne sont pas uniquement négatifs, loin de là. « On arrive à se tirer un salaire avec mon mari plus facilement que si on était restés comme on était. Je paye les factures, je peux me regarder dans un miroir quand le fournisseur arrive. On gagne presque plus en vente directe qu’avec la laiterie ». Les perspectives d’évolution sur la partie transformation sont bien là : en plein projet d’un nouveau labo de 400 mètres carrés (dont entre 100 et 120 mètres carrés de stockage, le reste étant réservé à la transformation des produits), elle espère y stocker ses premiers yaourts en 2019. Pour, peut-être, arriver à un équilibre entre le lait livré à la laiterie et son activité de transformation et de vente directe ? Pas si simple. « Ça dépend comment le consommateur va réagir. S’il continue à venir, le volume va augmenter, c’est certain. On ne peut pas continuer à travailler à ce tarif là. La laiterie, on s’en sert parce qu’on a passé des contrats, mais c’est compliqué de les dénoncer, d’autant qu’il faut avoir des raisons valables… ».  

Le bio pour tous (?) 

Autre piste évoquée lors de cette conférence aux allures d’états généraux départementaux : le bio. Ce mot est aujourd’hui sur toutes les lèvres et les produits laitiers sont la deuxième catégorie d’aliments bio les plus consommés derrière les légumes. Le Petit Basque et Biolait étaient là pour témoigner que le bio, c’est possible, à certaines conditions. « Il faut que les contraintes parlent aux consommateur. À priori, chaque département pourrait avoir « son » lait, il faudrait juste savoir s’il y aura des clients en face ». Cinquante centimes, c’est le prix de vente affiché au litre par l’entreprise, un prix qui, se défend Lionel Vasselle, n’a pas bougé depuis les années 2000. Il est de 36 centimes le litre de moyenne annuelle pour le lait de vache « conventionnel ». Les prix de vente des produits finis, assure le responsable, n’ont pas augmenté. « Sauf que les charges elles, entre temps, ont augmenté », dénoncent certains. Du côté de Biolait (180 millions de litres de lait bio en 2017, soit 30% de la collecte nationale), on assure qu’il y a des avantages à passer au bio : frais de collecte mutualisés, aide à la conversion facturée trente euros tous les mille litres, aide spécifique de 6000 euros pour les nouvelles installations en bio… les incitations ont l’air d’être là.

Sauf qu’encore une fois, la collecte de Biolait, pour des soucis évidents de rentabilité, ne passe pas partout, et encore moins dans le Médoc où travaille Alain Duvialard. Ce dernier possède une exploitation de 50 hectares et nourrit ses 70 bêtes à l’herbe. Il vend 10% de sa production de lait directement à la ferme pour un euro le litre en ne fournissant aucun emballage, le reste à la coopérative Sodial, comme deux de ses collègues. Pour l’un d’entre eux, la retraite se prépare : pas facile de peser dans la balance quand on est plus que deux ou trois dans le Médoc, où la main d’oeuvre est mangée par « le tourisme et l’activité viticole ». Il tire 10% de son chiffre d’affaire dans la vente directe (tous les jours sauf le dimanche) et fournit aussi à des restaurants et un boulanger-pâtissier, là encore « avec leur propre emballage ». Le bio, il pourrait s’y mettre, si seulement… « Si je paye un aliment plus cher pour plaire à mes clients journaliers, je ne pourrais pas augmenter mon prix de vente à la ferme indéfiniment. Biolait, Le Petit Basque… je ne suis pas sur leur route, donc ils ne viendront pas, sauf si on est trois ou quatre. Je suis prêt à passer au bio s’ils changent leur fusil d’épaule ». En attendant, « je ne suis ni en bio ni en conventionné. Je produis moins de lait, mes vaches sont moins malades mais je gagne un peu plus ». Pas beaucoup plus d’espoir du côté des laiteries. « Je n’y crois plus depuis longtemps. Quand on sait que la Gironde est en perte d’éleveurs, qu’est ce qu’on veut relancer ? Quand on dépasse 80 litres et 80 kilomètres, il faut acheter un camion frigorifique, mettre un labo aux normes… Je n’ai pas 100 000 euros, même pour faire du lait liquide ». La reconversion dans la viande pourrait être une solution plus rentable, mais radicale, que son expert comptable appelle visiblement de ses voeux. Après plusieurs années de « vache maigre », l’exploitation d’Alain était en déficit de 250 euros en 2017. Celle de Nadège tourne mieux, elle réalise d’importants bénéfices, sans que l’intéressée n’ait souhaité nous les dévoiler. Pour elle, le bio, c’est plus facile à dire qu’à faire : « Peut-être que dans certaines régions, c’est plus facile de faire pâturer, mais ici on n’a pas de surface. Il faut se déplacer systématiquement en tracteur, on ne peut pas mettre les vaches sur la route pour aller les amener au pré… »

Le retour de l’envie…

Ces deux exemples font plutôt partie des épargnés, mais leur scepticisme à l’égard de ces nouvelles normes de consommation est loin d’être isolé. Pourtant, ces pistes ont le mérite d’exister pour François Rauscher, directeur du service élevage à la Chambre d’Agriculture de la Gironde. « Ça leur donne envie de continuer de se lever le matin pour aller travailler, c’est une piste. On a essayé de regrouper les exploitations entre elles, c’est compliqué. Tant qu’ils ont un projet ensembles, tout va bien, mais ensuite quand ils sont à l’équilibre, ca a tendance à se déliter. On a un taux d’échec d’un sur deux à peu près. Toutes les aides faites par le département sont surtout axées pour essayer de simplifier la vie des éleveurs, on lui demande de les aider à chaque fois qu’ils investissent dans quelque chose qui peut leur simplifier la vie : l’électronique, les caméras de surveillance… Dans un département d’élevage, tout le monde est éleveur. Ici, un éleveur laitier, c’est le seul qui va partir d’un mariage un dimanche à 17h parce qu’il doit aller traire ses vaches et tout le monde va aller le regarder de travers. Tout ce qu’on peut trouver comme méthodes (la robotisation par exemple) pour éviter que les gens arrêtent… ».

Empêcher l’abandon des exploitations semble être la meilleure perspective à donner, même si certaines solutions ont plus de mal à être acceptées que d’autres. « On a mis beaucoup l’accent sur le bio cette année. L’assistance a eu beaucoup de mal, ce n’est pas encore rentré dans les moeurs, en particulier en production laitière. C’est une façon de les préparer. Il y a des exploitations où on ne peut pas faire de pâturages, où les vaches sont nourries avec du maïs, le bio va être compliqué à mettre en oeuvre. Pareil sur le circuit court, on a voulu insister sur le fait que ça compliquait le travail : il faut produire, vendre et transformer ». Mais quelques espoirs demeurent : le montant des aides d’investissement, on l’a vu, a sensiblement bondi. Là dessus aussi, François Rauscher a son explication. « L’an dernier, on était vraiment au fond du seau au niveau de la crise de l’élevage. Les éleveurs étaient renfermés sur eux-mêmes et n’investissaient pas. Cette année, on sent, encore plus en voyant la moyenne d’âge qui se renouvelle un peu, qu’il y a une envie ». Du côté de Coutras, plusieurs éleveurs réfléchissent à s’équiper de robots comme celui de Sébastien pour anticiper le départ en retraite d’un associé. Du côté de Biolait, on a déjà pour projet de convertir six productions au bio entre le Béarn, le Gers et le Pays Basque pour novembre 2018. Quant aux géants du lait, on est à priori plus dans la prise d’information que dans les solutions : même si un représentant de Savencia était présent dans la salle, il a, sur ce sujet comme sur les autres, gardé un silence poli. Du côté du département, enfin, on ne compte pas en rester là : « cette séance de travail », prévient-on, « pourrait se poursuivre, dans les mois suivants, par des ateliers thématiques ». Si de nouveaux prés carrés se dessinent, le chemin pour les atteindre semble encore long.

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
On en parle ! Gironde
À lire ! AGRICULTURE > Nos derniers articles