Nouvelle-Aquitaine : l’ostréiculture attend un second souffle (mise à jour)


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Temps de lecture 12 min

Publication PUBLIÉ LE 26/05/2020 PAR Romain Béteille

M.A.J du 04/06/2020 : Dans un communiqué, la députée du Bassin d’Arcachon Sophie Panonacle informe de la réponse « favorable » du ministre de l’Économie Bruno Le Maire à la lettre envoyée le 20 mai. « Bruno Le Maire a donné un accord de principe (…) Il est favorable à ce qu’il y ait des dispositifs de soutien pour les ostréiculteurs ». Les détails de ces mesures ne sont pas encore connues. La préfecture de Gironde, de son côté, a annoncé que l’interdiction des activités de pêche et de commercialisation destinées à la consommation humaine des palourdes était levée. Le 4 juin dernier, elle a également confirmé la reprise des activités de pêche et de commercialisation pour l’ensemble des coquillages du bassin d’Arcachon. Pour le banc d’Arguin et les passes, en revanche, elles sont toujours interdites.

Ce mercredi, le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume s’est rendu sur le port de Larros, à Gujan-Mestras, pour confirmer l’assurance apportée par Bruno Le Maire. Il a annoncé le déblocage d’un « dispositif de compensation d’une partie des pertes de chiffre d’affaire « jusqu’au 31 décembre » et « sous conditions en complément des mesures nationales existantes », une aide obtenue au niveau européen grâce à l’activation de l’article 55 du FEAMP (Fonds Européen pour les affaires maritimes et la pêche).

Concernant les exonérations de charges, le ministre a confirmé qu’elles figureraient dans le projet de Loi de finances rectificatif, « au cas par cas en fonction du chiffre d’affaire pour ne pas avoir d’effet d’aubaine », que l’exonération de loyer d’occupation du domaine public était « en discussion » et que le cadre juridique des dégustations allait être précisé dans un nouvel arrêté après la saison estivale. Enfin, Didier Guillaume a annoncé avoir obtenu le déblocage au niveau européen d’un dispositif de compensation d’une partie des pertes du chiffre d’affaires des ostréiculteurs « jusqu’au 31 décembre » grâce à l’activation de l’article 55 du FEAMP (Fonds Européen pour les affaires maritimes et la pêche).

Le 20 mai dernier, la député LREM de la 8ème circonscription de la Gironde, Sophie Panonacle, a adressé une lettre au Premier ministre. Signée par 28 autres députés, cette dernière demande un « plan de sauvetage et de relance de la filière conchylicole », à l’image de ce qui a pu être annoncé le 11 mai dernier au niveau de la filière viticole. La députée, sans vraiment prendre de gants, met en tout cas les formes.

« Vous avez récemment annoncé des plans d’accompagnement pour soutenir des secteurs fortement sinistrés de notre économie. Force est de constater que l’engagement du gouvernement répond à la gravité de la situation économique que traverse de notre pays. (…) Aujourd’hui, la filière conchylicole est en danger. Les entreprises, souvent petites et familiales, sont des acteurs essentiels du maillage socio-économique de nos littoraux. Elles sont également un maillon indispensable du tourisme local. Depuis le début du confinement, les conchyliculteurs ont dû maintenir leurs interventions sur l’eau et à terre, avec souvent la totalité de leurs salariés, sans disposer d’aucune recette. Leurs stocks ont considérablement augmenté et le calibre des huîtres ne correspond plus à la demande standard des consommateurs. L’état de leur trésorerie est alarmant et appelle un soutien indispensable au sauvetage de leurs entreprises. La meilleure réponse serait, au même titre que les entreprises du secteur touristique, l’exonération des cotisations sociales pour une période de 6 mois à compter de mars 2020. De plus, les loyers et redevances d’occupation du domaine public pourraient être annulés ». Elle évoque même un chiffre alarmant : 3000 entreprises et 17 000 emplois « menacés ». 

Dépendant des aléas

Pour Thierry Lafon, Président du comité de la conchyliculture Arcachon-Aquitaine, ces demandes sont « en accord avec les besoins que l’on peut exprimer ». L’ostréiculteur venait à peine de sortir d’un prélèvement d’huîtres. Car au problème des pertes dues au coronavirus s’est rajoutée, depuis le 20 mai, une interdiction temporaire de la pêche et de la consommation des coquillages sur tout le bassin d’Arcachon et le banc d’Arguin. En cause : la contamination des coquillages par des toxines lipophiles contenue dans la micro algue dinophysis, habituée du printemps et des premières chaleurs. « Si on avait un mot pour qualifier le premier trimestre, ce serait « fiasco ». Les zones fermées dues à la présence du norovirus ont un effet délétère sur le comportement du consommateur, parce que notre produit est avant tout gastronomique, l’achat plaisir est un moteur. Ça tombe au plus mauvais moment, même si on a pu faire un peu de commercialisation sur les huîtres en stocks protégés dans des bassins fermés. On a vu l’arrivée progressive de l’algue, certains ont pu anticiper… mais ce n’est pas la majorité », continue le responsable. Les achats plaisir, forcément, n’étaient plus vraiment dans le ton pour les néo-aquitains confinés. Mais les huîtres, elles, ont continué à grossir.

« On est dépendants des cycles naturels, il faut faire le job. Cela dit, étant donné la durée moyenne de notre cycle d’élevage (trois ans et demie), il y a une relative inertie par rapport aux conséquences de ce genre de crise : même si les revenus sont réduits voire tombent à zéro, on doit continuer à bosser. On estime globalement la perte de Chiffre d’Affaires à 80%. Le bassin suit la tendance. Même si traditionnellement, on fonctionne beaucoup de vente directe, tous les bancs de vente n’ont pas pu être tenus et beaucoup étaient en berne ». La fermeture des marchés et des poissonneries de supermarché n’a pas forcément fait de bien non plus. « C’est lié à la fois au changement de comportement des consommateurs et aussi à d’autres produits qui sont priorisés. Une poissonnerie, dans un supermarché, c’est une offre supplémentaire qui coûte cher, et ce n’est pas forcément celle qui rapporte le plus. L’opportunité de la fermer était belle… », poursuit Thierry Lafon, un brin amer.

« Avec ces deux mois d’absence de ventes, nos stocks augmentent mécaniquement. Les huîtres continuent à grossir et ça déséquilibre l’offre. D’où l’effet bradé. On n’hésite pas à le faire, parce qu’un peu de fric qui rentre quand on a la tête sous l’eau, ça fait toujours du bien. À termes, c’est une catastrophe mais à un instant T, c’est moins pire que de ne rien faire. Quand vous êtes soumis à des aléas importants et non maîtrisables, les petites structures vont avoir une résilience supérieure à des entreprises plus structurées avec des frais fixes conséquents. On a un stock qui se génère avec des coûts incompressibles, si on ne met pas en œuvre des mesures pour que la consommation permettre de rétablir l’équilibre offre-demande, l’onde de choc peut s’étaler sur plusieurs années. Les exonérations de charges permettraient d’alléger la pression. Le drive, c’est une petite corde de plus à notre arc, mais ça demande une implication forte pour pouvoir fonctionner », termine l’élu. 


Agathe Bouin, elle, a repris en 2015, avec son mari Yannick, une exploitation au Cap Ferret. Elle avoue avoir « un peu travaillé pendant ces week-ends de déconfinement. On a cherché à commercialiser les huîtres différemment. J’ai une copine maraîchère à Mont-de-Marsan qui fait de la vente directe via un regroupement de producteurs. On y allait une fois par semaine alors que d’habitude, c’est plutôt toutes les trois semaines. Ma sœur a un bar à huîtres à Bordeaux. Même s’il a fermé, elle a beaucoup développé la vente directe et elle a bien travaillé ».

Au moment de tirer un bilan de l’interdiction, heureusement, Agathe avoue avoir anticipé. « On a rentré des huîtres en stock protégé. Cela dit, on espère que ça ne va pas durer trop longtemps ». De nouveaux tests devaient être effectués lundi, les résultats sont attendus dans la semaine. Les conséquences économiques sont tout de même bien présentes pour l’exploitation d’Agathe, qui produit en temps normal 400 à 500 kilos par semaine. Si elle a gardé l’emploi de Rémi, son salarié et avoue « ne pas s’en sortir si mal en trouvant d’autres systèmes », elle l’admet tout de même : « nous, on ne se verse pas un euro. On a pu bénéficier d’un différé de crédit de six mois mais on continue de payer toutes nos charges. Aujourd’hui, on fait 70 à 80% des ventes normales, c’est un peu reparti. On retourne au marché producteurs de Mont-de-Marsan ce jeudi ».

Moins consommées 

En Charente-Maritime, le son de cloche n’est pas si différent, bien que l’arrêté préfectoral ne concerne pas ce secteur (en tout cas pour les huîtres). Le député de la cinquième circonscription de Charente-Maritime, Didier Quentin, a lui aussi envoyé un courrier, adressé au ministre de l’Agriculture qui évoquent le même effondrement (de 80%) des ventes. Il y dénonce des « trésoreries sur le point d’être asphyxiées car sans quasiment aucun revenu depuis deux mois » et va plus loin en demandant également « une mesure d’encadrement du prix des huîtres pour tenir compte de la constitution des stocks », ces derniers ayant connu des fluctuations épisodiques ces dernières semaines. La vice-présidente du comité régional de la conchyliculture de Poitou-Charentes, Annie Aubier, est elle-même une ostréicultrice (depuis cinq générations) installée en GAEC sur la presqu’île d’Arveyres qui emploie, au plus fort de l’année, huit personnes en plus de son frère et de sa sœur. 

« La situation est aussi très tendue chez nous », évoque-t-elle en enfilant sa casquette d’élue. Elle dénonce le déclassement des huîtres en raison d’un stock d’invendus sur les bras. « Elles se sont déclassées elles-mêmes, on sait très bien que les grosses huîtres ont un prix moindre parce qu’elles sont moins consommées. Là, c’était le cas parce que de numéro 3 qui passe partout, elles se sont retrouvées numéro 2 ou numéro 1 avec beaucoup moins de débouchés ». Les demandes formulées par les députés ? C’est un oui, là aussi. « Ça donnerait un souffle pour certain, un petit peu d’oxygène. Certains sont en plus grande difficulté dans le sens où on a eu en début d’année cette mévente d’huîtres avec les norovirus qui nous ont aussi impactés ». Mais est-ce suffisant ? Annie Aubier reste optimiste. « Je pense que si la reprise se fait assez vite et assez fortement, ça ira. Si on traîne jusqu’en septembre, je crains pour certains. Si l’été se fait avec la réouverture des restaurants et des dégustations, si tout le monde joue le jeu, ça ne suffira peut-être pas mais au moins ça va en sauver beaucoup. Aujourd’hui, certains ont un peu repris, quelques enseignes jouent le jeu, les marchés rouvrent tout doucement malgré le nombre de personnes limité. Avec la règle des 100 kilomètres, on a eu un peu de monde qui est revenu même si ça reste limité. Si c’est pour refermer dans quelques temps, je préfère qu’on y aille doucement ». 

Des prix à la baisse, notamment dans la grande distribution, et des pertes importantes malgré les regroupements de producteurs comme cela a pu être le cas pour Agathe et l’ensemble des producteurs de la région. Selon des données Agreste Nouvelle-Aquitaine (datant de 2012), la conchyliculture régionale représentait 1091 entreprises dont 858 spécialisées dans l’élevage des huîtres. Entre 2001 et 2012, un tiers des entreprises conchylicoles ont disparu « contre 16% dans l’ensemble des autres régions métropolitaines ».

En volume, la région est la première en termes de commercialisation d’huîtres creuses : 43 442 tonnes contre 13 588 pour la Bretagne et 6043 pour la Méditerranée, soit 30% des surfaces conchylicoles nationales. 33% des huîtres sont vendues directement au consommateur et un peu plus de 10% au restaurateurs. Le chiffre d’affaires de la filière représente environ 360 millions d’euros par an. « De mon côté, nous avons un marché qui ne s’est pas arrêté, on a organisé un système de drive. C’est une profession qui a une facilité de s’adapter à des circonstances quelquefois surréalistes », termine Annie Aubier dans un élan d’optimisme, « elle arrive à toujours rebondir notamment parce qu’elle travaille avec des éléments naturels qui ne sont pas toujours à son avantage. Il ne faut pas baisser les bras. Si on essaie de redresser la barre avec nos prix et qu’on relève nos manches comme on l’a toujours fait, on sauvera nos entreprises, qui sont en très grandes majorités des petites structures familiales ».

Réflexions économiques 

Les collectivités, elles, tentent aussi de jouer le jeu. La région Nouvelle-Aquitaine, dans une note du 20 mai dernier, a rappelé que jusqu’au 21 juin, les producteurs arcachonnais et charentais reversent cinquante centime pour chaque kilo d’huîtres et chaque douzaine achetée pour soutenir la recherche contre le Covid-19. En plus du fonds de solidarité, du fonds de prêts au TPE/PME et du fonds de soutien d’urgence aux entreprises auxquels les entreprises ostréicoles sont éligibles, la filière bénéficie également d’une forme de soutien européen depuis que le FEAMP (Fonds Européen pour les Affaires Maritimes et la Pêche) a adapté un dispositif d’indemnisation des aquaculteurs en cas de suspension ou de réduction des ventes et/ou de la production. De nouveaux crédits devraient être déployés régionalement pour soutenir cette mesure. Au niveau du gouvernement, la lettre rédigée par la députée Sophie Panonacle a-t-elle reçu une réponse ? « Pas encore, mais le ministre me l’a promise avant la fin de la semaine. On ne m’a pas dit non, donc on ne lâche pas », répond la principale intéressée.

Pour ce qui est de l’encadrement des prix, en revanche, la réponse était déjà ferme avant l’envoi de la lettre. « Didier Guillaume a dit qu’il n’y en aurait pas. Ce sont les consommateurs qui font les prix, le problème c’est qu’il faut que la demande revienne. Le comité régional d’Aquitaine, et sans doute d’autres, sont en train de mettre en place une campagne de communication qui va permettre d’inciter à nouveau le consommateur à se tourner vers les produits de la mer ». Pour l’élue LREM, la priorité était avant tout de s’accoler aux mesures annoncées dans le cadre du plan de soutien à la filière touristique, pour en faire aussi bénéficier les acteurs régionaux de la conchyliculture. « La relance peut se faire dès la rentrée ensuite, mais ce serait un bouffée d’oxygène pour leur trésorerie ». Sophie Panonacle vient de terminer les travaux d’une vaste commission, la « Team Maritime » comme elle s’est elle-même appelée, composée d’une quinzaine de députés, dont le but était d’organiser des auditions de l’ensemble des acteurs de la mer. Cette initiative fait suite au rapport d’information de la loi sur l’économie bleue, qu’elle a co-signé avec la députée de l’Indre-et-Loire Sophie Auconie. « Suite à ce rapport, j’ai été sollicitée par les acteurs publics et privés pour poursuivre ce travail sur l’économie maritime qui concentre actuellement 400 000 emplois et pourrait en représenter un million en 2030 ».

Rapport final

Colloques, tour de France du maritime (stoppé par l’épidémie) et surtout consultation nationale élargie depuis le début du mois d’avril avec les acteurs maritimes, par filières : transports maritimes, activités portuaires régionales mais aussi, évidemment, la filière conchylicole. Ces consultations, qui se sont terminées cette semaine avec le monde de la recherche scientifique, a un « fil conducteur : la transition environnementale et énergétique de l’économie maritime. Il faut que cette économie soit à la pointe du jour d’après, et ils sont déjà tous embarqués dans cette transition vertueuse ». Il doit être posé sur le bureau d’Emmanuel Macron le 15 juin au plus tard, avant des « mesures fortes » promises début juillet au sein desquelles pourrait figurer (c’est en tout cas l’objectif du rapport) le monde maritime. « Je tiens à ce qu’il ait ce rapport avant. Pour moi, l’économie maritime est une économie stratégique au niveau national ».

Le discours présidentiel aux assises de la mer de Montpellier en décembre n’est, à entendre la députée, pas passé inaperçu, reste donc à transformer les promesses en annonces pour une filière ostréicole également suspendue aux annonces d’Édouard Philippe ce jeudi 28 mai, particulièrement pour la réouverture attendue des restaurants, sans doute autant que le regain de santé, sans doute crucial, du commerce des huîtres en cette période estivale. « On avance dans un certain brouillard qui a tendance à se dissiper », termine Thierry Lafon. « On peut espérer que les frustrations soient compensées cet été. Vu la tendance qui se dégage d’aller rechercher des produits avec de l’authenticité, on peut espérer tirer notre épingle du jeu ». 

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