Rencontre avec Didier Guillaume : « l’agriculture française est une des plus sûres et durables »


Anne-Lise Durif
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Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 02/07/2019 PAR Anne-Lise Durif

Nous avons en Charente-Maritime des projets de bassines qui ne sont pas adossées à un projet de territoire, et donc sans prise en compte du réchauffement climatique, et qui restent dans l’ancien modèle agricole. Toutes les études disent que la ressource va diminuer dans le futur. Comment va-t-on pouvoir remplir ces bassines dans le futur – sont-elles vraiment les bonnes solutions pour préserve la ressource en eau ?

« Je n’ai pas de réponse à apporter à des choix qui appartiennent aux régions mais je partage votre constat. Il faut avancer sur les questions du changement climatique. Avec ce changement, il faudra toujours de l’eau. En même temps, l’agriculture française d’aujourd’hui utilise déjà 30% d’eau de moins qu’il y a dix ans. Il y a deux modèles possibles : faire de l’OGM qui consomme beaucoup moins d’eau, mais je ne pense pas que ce soit le modèle que nous souhaitions ; mettre en place des retenues d’eau à multi-usage; l’agriculture peut les utiliser à condition que ça n’aille pas au-delà de la substitution et à condition qu’il y ait un projet de territoire derrière. C’est indispensable que tout projet de ce type, que ce soit pour de la retenue d’eau ou du captage, soit adossé à un projet de territoire, sinon ce ne sera pas soutenu par le ministère de la transition écologique. Les Assises de l’eau ont été très claires sur ces deux points.

Nos agriculteurs ont des contraintes sur les produits phytosanitaires, les OGM, etc., or l’accord Mercosur permet d’importer chez nous des produits ne répondant pas à ces normes, tandis que de l’autre notre société incite à consommer en circuit-courts et des produits labellisés. N’est-ce pas un paradoxe pour les consommateurs et pour les agriculteurs ?

C’est une actualité brûlante puisque le texte vient d’être signé. Le mandat de la commission européenne pour signer un accord avec le Mercosur date d’il y a vingt ans et que ça traine. Moi je regarde ça avec beaucoup de circonspection. La France, d’ailleurs, n’a pas encore donné son avis. La Commission européenne a signé l’accord sans interroger les Etats. On est en train de faire analyser ce qu’il contient, car il y a notamment des dizaines de milliers de tonnes de bœufs ou de volailles qui pourraient être importées sur des quotas que nous sommes en train de regarder de près. Soyons objectif, si l’on veut exporter, il n’y a pas de raison que les pays avec lesquels nous avons un accord commercial ne veuillent pas en faire autant. Or, l’agriculture qui fait vivre notre pays aujourd’hui, c’est celle qui s’exporte : la France a une balance commerciale extérieure de 6,5 milliards, qui est dûe en partie aux vins et spiritueux mais aussi en grande partie aux céréales. Importer, c’est bon pour la France, pour pouvoir exporter dans d’autres domaines comme l’aviation. Cette agriculture n’est pas incompatible avec l’agriculture en bio et en circuit-court, ce sont des enjeux locaux, mais qu’on ne se raconte pas d’histoire : l’agriculture de demain ne sera pas entièrement en bio. Par contre, le point sur lequel la France a été claire : nous ne voulons pas importer une agriculture que nous ne voulons pas consommer chez nous. Il y aura impossibilité à faire rentrer sur le sol français des animaux qui seraient aux hormones ou au chlore, car ça ne rentre pas dans les standards français. La difficulté qui se posera, c’est sur les plats cuisinés – là-dessus il y aura un risque. Je ne sais pas où on en est là-dessus puisque nous avons pu obtenir les informations que dimanche soir, elles sont en cours d’analyse. Je pense que le président exprimera bientôt sa position sur le sujet.  En tout cas, nous avons une police de la sécurité alimentaire à toute épreuve : lorsque les Polonais nous ont fait rentrer des barquettes de viande frelatée, en moins de trois jours on les a récupérées. Et je pense que quand les consommateurs auront le choix entre un poulet de Loué et un poulet du Brésil, ils prendront le Français.

Nous continuons d’importer massivement du soja, l’équivalent de plus d’un million d’hectares de terre, uniquement à destination de l’élevage intensif. Que comptez-vous faire pour mettre un terme aux fermes usines et aller vers un élevage plus écologique ?

Nous n’y allons pas aussi vite que vous l’espérez sûrement mais nous avons une vraie volonté de supprimer les fermes usines. La ferme des mille vaches, ce n’est pas la politique que nous voulons mener sous ce gouvernement, c’est clair. Ceci dit, nous sommes pragmatiques, nous constatons ce qui existe sur le terrain et que nous voulons faire muter. Dans la loi EGalim qui a été votée après les Etats généraux de l’alimentation, il y a des mesures qui ont été prises en ce sens. Le modèle que nous voulons, c’est l’élevage où on sort les animaux en extérieur le plus possible. La loi Egalim a bien indiqué un certain nombre de choses pour les élevages en cage, de poules ou autres : nous ne voulons plus 5 à 10 poules dans 1m2 de cage…

Concernant le soja, nous ne pouvons pas continuer à nourrir nos animaux avec du soja OGM importé. Nous avons la volonté de présenter au niveau européen un projet d’autonomie en protéine végétale. C’est indispensable. Mais avant d’arriver à l’équivalent d’un million d’hectares, nous passerons peut-être d’abord par 200 000, puis 300 000 etc. Nous devons en effet arrêter d’importer tout ce soja et produire nous-mêmes, à l’échelle européenne pour atteindre l’autonomie. C’était dans le projet de campagne d’Emmanuel Macron en 2017. Certains aimeraient que nous allions beaucoup plus vite dans la transition, mais c’est compliqué. C’est comme pour l’usage des produits phytosanitaires. Certains voudraient que nous supprimions tout, tout de suite. Si nous le faisions, 40% des exploitations agricoles fermeraient et nous mangerions pour le coup davantage de produits importés, OGM et traités au glyphosate et aux pesticides. C’est toute la difficulté du processus.

« L’agriculture française d’aujourd’hui n’est pas un handicap pour le réchauffement climatique mais une des solutions. »

On oppose souvent l’agriculture bio à l’agriculture conventionnelle. Entre les deux, l’agriculture dite « raisonnée » manque de visibilité. Comment rapprocher ces agricultures et mieux les identifier ?

Au niveau de l’Etat, nous n’opposons absolument pas le bio et le conventionnel, nous avons besoin de concilier les deux. Il n’y a pas de modèle unique mais plusieurs. L’idée générale, c’est de faire changer les pratiques agroenvironnementales. On constate d’ailleurs que toutes les agricultures françaises sont en train d’évoluer, les choses avancent. Aujourd’hui, l’agriculture française est la plus sûre, la plus saine et la plus durable. Le haut conseil pour le climat, qui a rendu son point d’étape il y a de cela quelques jours, a indiqué que la France était en retard sur ses objectifs concernant le climat mais a donné un satisfecit à l’agriculture qui, elle, tient le rythme contre le réchauffement climatique. L’agriculture française d’aujourd’hui n’est pas un handicap pour le réchauffement climatique mais une des solutions. L’élevage français, lorsqu’il est sur prairie, fait du captage de carbone et contribue à la réduction des effets de serre.

Concernant la réduction des produits phytosanitaires, les agriculteurs soulèvent souvent le manque d’alternatives. Que proposez-vous ?

A la fin de la guerre, on a demandé aux agriculteurs de produire massivement pour nourrir la population et on leur a donné des produits chimiques pour ça. Aujourd’hui, il faut passer de la production quantitative du XXe siècle à une production qualitative du XXIe siècle. C’est ça la transition à mener. Nous allons être le premier pays au monde à sortir du glyphosate, et le premier où en 2025, il y aura 50 % de moins de produits phytosanitaires en agriculture. Aucun autre pays que le nôtre, en dehors du Sri Lanka, n’avance aussi vite que nous sur ce point. Ceci-dit, en tant que ministre de l’agriculture et de l’alimentation, mon objectif, ce n’est pas qu’on sorte du glyphosate en 2021, c’est qu’on sorte de la dépendance à tous les produits phytosanitaires.  On sait que ces trois dernières années, il s’est vendu autant de produits phytopharmaceutiques que les trois années d’avant. C’est pour ça qu’on met beaucoup d’argent dans la recherche, celle de l’Inra notamment. 71 millions d’euros ont été rajoutés dernièrement à la recherche publique par Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Il y a également beaucoup de start-up qui innovent et je m’en réjouis. Une commission d’enquête sur les produits phyto s’est mise en place à l’Assemblée, qui va bientôt rendre son rapport et il n’est pas tendre. Il y a des alternatives, la recherche y travaille à marche forcée. Personne n’a envie de rester dans cette situation. Tout le monde veut une agriculture de qualité, compétitive et innovante. Mais on est à la bourre, c’est vrai !

Que fait-on pour dynamiser les circuits-courts ?

Ce n’est pas le rôle de l’Etat de mettre ça en place mais l’initiative des réseaux locaux de mettre ce genre de choses en place. Bien souvent les communautés de communes ou d’agglomération travaillent là-dessus comme c’est le cas à La Rochelle. Si on veut arriver à avoir 50% de produits de qualité en circuits court et 20% de bio dans la restauration collective, il va bien falloir qu’on se bouge ! On ne pourra pas le faire sans les acteurs locaux, les agriculteurs, les maires, les présidents d’agglo et de chambres d’agriculture.

Le sujet, ce n’est pas le mode de consommation, chacun mange comme il veut – vegan, bio, flexitarien, peu importe. L’essentiel, c’est la qualité des  produits proposés. Il ne faut pas que les riches mangent des produits  de bonne qualité et que les plus pauvres ne puissent pas y avoir accès. Aujourd’hui, nous travaillons à l’accès à une bonne alimentation pour tous, tout en faisant en sorte que l’agriculteur puisse vivre de son travail. Je l’ai dit et je le redis, l’industrie agroalimentaire française met aujourd’hui sur le marché des produits de qualité, mais ce n’est pas le même type de produits que l’on peut avoir avec le bio, les circuits-courts, etc.

L’agriculture de proximité soulève souvent la difficulté à trouver du foncier. La tendance est à l’agrandissement et les collectivités locales ne peuvent pas toujours racheter les terres. Comment faire pour réorienter ces terres ? Quelles boîtes à outils pour pouvoir avancer dans ce domaine ?

Aujourd’hui, il y a environ 450 000 agriculteurs en France. 150 000 vont prendre leur retraite dans les dix ans. Ca veut dire que si on voulait retrouver le nombre qu’aujourd’hui, qui a déjà baissé de 200 000 par rapport à il y a trente ans, il faudrait qu’il y ait 15 000 jeunes par an qui s’installent. Or on est entre 5 et 6000, on voit bien que le compte n’y est pas. Qu’est-ce qu’il se passe ? Les exploitations sont de plus en plus grandes. Ce n’est pas le modèle vers lequel on veut aller. C’est pour ça que nous avons lancé une grande concertation sur le foncier avec les élus, les associations, la SAFER pour savoir comment on avance sur la question de l’accès au foncier. Actuellement, nous travaillons sur un texte pour le « zéro artificialisation net » et l’accès des jeunes au foncier, sur la transmission et l’installation. Il faut régler dans les deux ans qui viennent la question, sinon on n’arrivera pas à renouveler notre agriculture. On ne peut plus continuer comme avant à prendre de belles terres pour faire des lotissements à perte de vue. Il faut donner plus de moyens pour empêcher que les sociétés capitalistiques achètent et monopolisent les terres.  Nous avons également lancé au dernier salon de l’agriculture une campagne d’information sur les métiers de l’agriculture car il y a 70 000 postes à pourvoir, et 20 000 places non pourvues dans nos lycées agricoles et centres de formation. Nous avons 180 000 jeunes en formation aujourd’hui, nous voudrions atteindre 200 000.

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