Vers quelle PAC après 2020, avec quel budget ?


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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 06/07/2018 PAR Romain Béteille

L’incertitude. C’est le sentiment qui dominait ce vendredi 6 juillet lors de la dernière session de la Chambre d’Agriculture de la Gironde au moment d’évoquer l’épineux dossier de la prochaine Politique Agricole Commune, dont la Commission Européenne a présenté les premières grandes lignes le 2 mai dernier dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel. Globalement, la PAC y apparaît comme étant en net recul : elle représenterait 28% du budget total (FEAGA et FEADER réunis) contre 37% sur la programmation actuelle. En euros courant aussi, la baisse annoncée est de 5%, 11% entre 2018 et 2021 et 19,3% entre 2018 et 2027 en tenant compte de l’inflation, avec des baisses encore plus conséquentes si on examine à la loupe le volet agricole (-1% pour le FEAGA mais -16,9% pour le FEADER).

Et même si d’autres dépenses en lien avec l’agriculture sont promises à une évolution (dix milliards d’euros sur les 86,587 milliards du programme Horizon Europe auront, par exemple, à charge de soutenir la recherche et l’innovation dans l’agriculture, l’alimentation, le développement rural et la bio-économie), le fait que la PAC devienne un projet à soumettre à la Commission par les Etats Membres (impliquant un suivi de performances et d’objectifs) a plutôt tendance à inquiéter la profession. Au moment ou un premier accord est toujours prévu avant mai 2019 (soit avant les élections au Parlement Européen), nous avons interrogé Bertrand Dumas, conseiller spécialisé en économie agricole, sur le contexte et les grandes orientations de cette future PAC.

@qui.fr – La première chose que l’on constate en analysant les chiffres du cadre financier pluriannuel c’est donc ce recul du budget de la PAC, à tel point qu’au niveau national, six Etats dont la France, ont demandé une hausse de la proposition pour que le budget garde son niveau actuel…

Bertrand Dumas, conseiller spécialisé en économie agricole – On a un budget du cadre financier pluriannuel de l’Union Européenne qui augmente, il y a davantage de moyens qui vont être alloués aux politiques de l’UE. Ce que l’on remarque en revanche, c’est que l’agriculture est en perte de position parce que sa part de budget diminue en part globale du CFP et on constate aussi une baisse en euros courants de 5% par rapport à la précédente programmation de la PAC. D’un autre côté, les enveloppes en faveur de la défense, des politiques migratoires et les frais de fonctionnement de l’Union augmentent. L’Europe met donc la priorité sur d’autres politiques.

@qui.fr – En 2016, la Nouvelle Aquitaine a aidé 57 000 exploitants agricoles pour un budget total de 1,2 milliards d’euros. Un dernier baromètre Harris Interactive pour le Salon de l’Agriculture régional montrait de son côté un jugement très dur des professionnels du secteur vis-à-vis de la PAC. Est-ce à dire qu’avec une enveloppe en baisse, les choses vont encore se compliquer ?

B.D – Ca va certaiment êtres plus difficile, en effet. Sur les aides couplées, directement en lien avec la production agricole, on nous annonce une baisse des disponibilités. Si les agriculteurs veulent tenter de maintenir le niveau d’aides qu’ils ont à l’heure actuelle, ça va forcément les obliger à s’engager dans des mesures environnementales plus contraignantes. Il y a une forte environnementalisation de la PAC dans les annonces qui ont été faites, il va vraiment falloir aller chercher les soutiens pour essayer de maintenir le niveau d’aide, ça va être des soutiens à caractères environnementaux.

@qui.fr – On note, en plus d’une forte tendance au renforcement des exigences environnementales, une évolution importante de la conditionnalité dans l’octroi des aides PAC, le « paiement vert » (représentant 30% des paiements directs soit 2,2 milliards d’euros en France) étant fondu parmi les dix règles BCAE (pour Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales) au lieu de rester un complément du paiement de base. Quelles pourraient en être les conséquences pour les agriculteurs ?

B.D – Pour les agriculteurs qui respectent déjà les conditions du verdissement, ces nouvelles règles de conditionnalité ne vont pas changer grand-chose. Sauf qu’en respectant ces conditions aujourd’hui, ils bénéficiaient d’un « paiement vert ». Demain, ils n’auront plus de paiement vert mais devront continuer à respecter toutes ces exigences de verdissement dans la conditionnalité. On ne sait pas ce que la France sera obligée de mettre en volumes financiers sur les futurs paiements environnementaux au sein du premier pilier (soutien des marchés et des revenus agricoles, le deuxième étant la politique de développement rural) et du dispositif ECO-SCHEME. En tout cas, si les agriculteurs veulent y accéder, ils devront s’engager au-delà de leurs pratiques actuelles. La PAC devient aujourd’hui une politique de plus en plus environnementale. Les premiers et deuxième pilliers sont regroupés autour de la thématique « ressources naturelles et environnement », il n’y a plus le mot agriculture. Soit on fait plus d’environnement, soit on est dans une stratégie où l’on essaie de s’autonomiser vis-à-vis des aides PAC en développant son exploitation pour être moins dépendant des soutiens. Ca ne va pas être permis à tout le monde, loin s’en faut. Si on veut toujours maintenir globalement son enveloppe de soutien annuelle qui, pour certaines exploitations, constitue une part non négligeable de l’excédent brut et du revenu, ça passera certainement par de nouveaux engagements environnementaux. On ne peut pas encore dire exactement dans quelles proportions puisque le grand cadre européen n’est pas encore parfaitement établi, mais les propositions actuellement sur la table tendent vers cette direction.

@qui.fr – Au niveau des paiements directs, un plafonnement et des réductions sont prévues (hors salaires et rémunération du travail) et la Commission souhaite les rendre obligatoires. Cela va dans le sens de ce virage vers une obligation de résultats…
B.D – Sur la question du plafonnement, il n’y a pas vraiment d’incertitudes sur les seuils, il y en a bien plus sur les modes de calcul. On est actuellement sur des estimations à la louche se basant sur les historiques de paiement PAC sur les campagnes précédentes. Ce qui est très net, c’est que l’Europe ne voit plus du tout la politique agricole comme une politique pour soutenir le revenu des agriculteurs. Beaucoup d’Etats Membres partagent l’avis que la réponse aux revenus passe également par les marchés : la revalorisation des prix ou des outils de sécurisation liés aux marchés. La justification des soutiens PAC passe avant tout par un engagement une réponse aux objectifs environnementaux. Il est difficile de faire une seule doctrine pour tous, une partie de la profession agricole peut valider cette approche d’une fonction plus environnementale et tournée vers l’aménagement du territoire. Pour ceux qui sont engagés dans des filières longues, certains systèmes d’exploitation où la part des revenus assurée par les aides PAC est très conséquente, c’est une vraie question. Parfois les efforts à faire pour atteindre ces objectifs environnementaux sont vus avant tout comme des contraintes, des freins à la production et à la performance économique. C’est une doctrine qu’il est difficile de faire passer.

@qui.fr – Il y a encore de grandes incertitudes sur la gouvernance et l’échelle à adopter pour permettre aux Etats Membres de construire leurs plans de soutien, or le calendrier, en raison des futures élections, paraît assez serré… Une nouvelle PAC en 2020, vous y croyez ?
B.D – Toutes les options sont ouvertes sur l’élaboration des plans de soutien PAC. Soit on part sur un plan défini par l’Etat, soit il est elaboré en collaboration entre l’Etat et les régions, soit on a des plans régionaux pour lesquels l’Etat s’assure qu’il y ait une cohérence globale. En tant qu’agent de chambre d’agriculture, je suis actuellement incapable de dire vers quoi on s’oriente. La vraie question, c’est comment on décline. Si on le fait à un échelon plutôt régional, il va falloir veiller à une certaine cohérence au niveau national, ce qui demandera beaucoup de temps. Si c’est l’inverse, il va falloir arriver à prendre en compte les spécificités de chaque région. Dans un cas comme dans l’autre, il va falloir mettre beaucoup de moyens à l’élaboration de ces plans de soutien.

Ce dont j’ai peur, fort de l’expérience de la déclinaison de la PAC actuelle (2014-2020), c’est que ça nous amène à des périodes de transition longues qui sont un vrai souci pour les exploitants agricoles. Dans ce genre de période, ils n’ont pas de visibilité, il peut y avoir des retards de paiements, des cahiers des charges pas complètement finalisés… Pour des exploitants agricoles qui dépendent, pour certains de manière conséquente, des aides PAC et qui sont sous la pression permanente des contrôles venant par ruissellement (l’Europe mettant sous pression l’Etat Membre et éventuellement les Conseils Régionaux par rapport à certaines aides qu’ils gèrent), si en plus on n’a pas de règles précises, c’est compliqué. J’ai vraiment peur qu’on prenne du retard et qu’on soit dans une période de transition sans fin. On a une politique agricole qui se renouvelle tous les six ans et des exploitants agricoles qui, lorsqu’ils investissent, empruntent sur huit, douze voire quinze ans. Ce n’est pas compatible. Je pense qu’il va de toute façon y avoir un très fort transfert de complexité vers les Etats Membres, c’est une réponse du berger à la bergère vis à vis de certains Etats Membres dénonçant un diktat de Bruxelles.

Il faudra qu’on soit très vigilants sur nos plans de soutien pour savoir s’ils ne sont pas en complet décalage ne serait-ce qu’au niveau des exigences imposées à nos exploitants par rapport à d’autres pays. Une mise en oeuvre des nouvelles mesures pour 2021, je n’y crois plus vraiment. On aura certainement une période de transition qui sera, espérons le, la moins longue possible. Il nous a fallu quasiment un an et demi pour arriver à mettre en oeuvre ce qui l’a été en 2015 au niveau français. Il faut éviter le flou, la première étape importante sera de décider assez vite qui gère les plans de soutien. C’est nécessaire pour que l’on s’en sorte le moins mal possible à notre niveau.

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