Rencontre avec Eva Joly à Sciences Po Bordeaux


David Reverchon
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 18/03/2011 PAR Aymeric Bourlot
Interrogée pendant prêt de 2 heures par des étudiants en sciences politiques Eva Joly n’élude aucun sujet. Elle revient tout d’abord sur son parcours hors normes et son cheminement personnel. Née en Norvège en 1943 dans une famille modeste, elle arrive en France à 19 ans et s’y installe pour étudier le droit. Très tôt, elle rencontre celui qui va devenir son mari et obtient par la même occasion la double nationalité franco-norvégienne. France et Norvège, deux cultures différentes avec lesquelles elle doit composer « La société norvégienne est plus égalitaire, il y a une culture de la modestie et un mépris de l’apparat ; en France la société est plus élitiste, il y a une culture de l’excellence, une magnificence du pouvoir. En France les règles sont explicites, pour réussir une carrière dans un domaine il faut tel diplôme, les choses sont plus claires».

« Je n’ai jamais eu de plan de carrière »
Attirée par ce système méritocratique elle affirme cependant « ne jamais avoir eu de plan de carrière » et révèle être devenue magistrate « par hasard, en ayant vu une affiche pour un concours exceptionnel ». En 1980, elle embrasse donc une carrière juridique qui l’amène jusqu’au poste de juge d’instruction où elle se fait connaitre du grand public via l’affaire Elfoù elle démantèle, de 1994 à 2002, un gigantesque réseau de corruption impliquant des hommes politiques et des grands patrons. Une affaire marquante qui lui fait découvrir « certains fonctionnements ou dysfonctionnements de la société française », des dysfonctionnements qu’elle va combattre sans relâche pendant les longues années que va durer le procès, ne cédant devant aucune menace ni pression.
Après cette affaire, Eva Joly retourne en Norvège et travaille pour le gouvernement norvégien sur les mesures contre la corruption, une période pendant laquelle elle n’a de cesse de constater un malaise « avec la libéralisation croissante des marchés; on ne va pas dans le bon sens en matière d’intégrité et de respect des lois». Devant ce constat alarmant elle se forge « une nouvelle vision » et petit à petit l’évidence d’une nouvelle carrière « s’impose » : la politique. Une entrée en politique qu’elle voit alors comme un moyen de « prendre la parole et de la véhiculer pour convaincre».

Lutter pour une « République irréprochable »

Dès 2007, elle noue des contacts avec François Bayrou mais c’est finalement Daniel Cohn-Bendit qui trouve les mots et parvient à la convaincre de prendre part à l’aventure Europe Ecologie. Une aventure pour l’instant couronnée de succès puisque Joly a été élue Députée Européenne en 2009. Forte de cette nouvelle expérience elle se permet un premier diagnostic sur la politique française qui a selon elle « grandement besoin de renouveau et de plus de transparence », un renouveau dont elle entend bien faire partie « Nous devons aspirer à faire de la politique autrement, à être plus proche et respectueux des citoyens. Aujourd’hui le discrédit de la classe politique actuelle vient d’un manque de propreté et il y a de très bonnes raisons de ne pas faire confiance à certains hommes politiques, cette crise de confiance amène un sentiment de doute, d’injustice et on se dirige alors vers les extrêmes. Cette situation doit entrainer une réaction de la part de la classe politique. Il faut réformer les dysfonctionnements et en revenir à une République irréprochable qui respecte le fonctionnement des institutions prévues dans la Constitution ». Une position très forte pour l’ancienne magistrate, toujours aussi attachée aux principes d’intégrité, de justice et d’équité. Une vision qui l’amène très vite à critiquer le cumul des mandats (« On ne peut pas diriger une grande ville tout en étant à la tête d’un Ministère ») et à dénoncer les conflits internes et les luttes d’egos qui règnent au Parti Socialiste.
Derrière cette idéologie conductrice de « République irréprochable » à laquelle on la limite trop souvent Eva Joly a d’autres idées. Sur les questions de société elle adopte une posture libérale, se déclarant favorable au mariage homosexuel et à l’adoption par des couples homosexuels. Sur les questions économiques en revanche, elle met clairement la barre à gauche et n’hésite pas à souligner les failles du capitalisme, dénonçant en premier lieu, la disparité salariale («C’est une maladie en France aujourd’hui. Certaines rémunérations sont en dehors de toute proportion») et la domination des lobbies financiers et pétroliers. Sur les questions environnementales elle se prononce rapidement pour « une sortie progressive du nucléaire sur vingt à vingt-cinq ans » conformément à la position d’Europe Ecologie et répond aux critiques de Nathalie Kosciusko – Morizet, Ministre de l’Ecologie, qui qualifiait d’ « indécent » une telle proposition, «Où est l’indécence ? Poser le débat comme nous le faisons, ou ne pas tirer les leçons de l’accident au Japon et vouloir continuer à vendre nos centrales nucléaires dans le monde ? Je vous laisse juges de l’indécence » affirme Joly.
 
« Un combat d’idées » pour 2012
Sur le nucléaire, Eva Joly n’en reste pas là. Elle estime que « La France a pris un retard impardonnable en matière d’énergie renouvelable en faisant le choix du tout nucléaire. Aujourd’hui, le mythe de la sécurité absolue a volé en éclats. Il y a un risque, et ce risque est inutile car on sait produire de l’énergie autrement.», appuie-t-elle en évoquant les exemples des éoliennes ou du photovoltaïque qui peuvent générer à l’avenir « des centaines de milliers d’emplois ». Dans l’immédiat elle juge « urgent » de fermer « toutes les centrales construites dans les années 70 » pour éviter les risques.

Dernier grand thèmedéveloppé par Eva Joly, celui de la désignation du candidat d’Europe-Ecologie pour l’élection présidentielle de 2012. « Un combat d’idées et non de personnes » assure-t-elle « ce qui compte c’est le projet qu’on porte et la légitimité qu’on a pour le porter. L’important sera de présenter un projet alternatif pour trouver d’autres façons de vivre ensemble et proposer autre chose aux électeurs que le choix entre le PS et l’UMP». Arrive enfin une question sur la possible « candidature à la candidature » de Nicolas Hulot à laquelle Joly répond que « les parcours différents de chacun enrichissent les débats » et termine en assurant « Il a promis de me soutenir si je gagne. Je le soutiendrai s’il gagne »,

 Crédit image : David Reverchon

Aymeric Bourlot

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
On en parle ! Gironde
À lire ! POLITIQUE > Nos derniers articles