Interview: Pierre Pouget, Directeur Général de la SAFER Aquitaine Atlantique, « En matière de foncier agricole, soyons capables d’anticipation! »


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 21/02/2011 PAR Solène MÉRIC

@qui! : La question de la consommation du foncier agricole est au menu des réflexions portées par la Chambre Régionale d’Agriculture d’Aquitaine dans son projet stratégique, mais quelles sont exactement les menaces qui pèsent sur ces terres en Aquitaine ?
Pierre Pouget
: Tout d’abord, il faut rappeler que la question de la « consommation » des terres agricoles pour tout autre type d’activité n’est pas une question propre à l’Aquitaine, mais bien un problème constaté au niveau national. Il y a trois ans, on a compté 60 000 ha de Surfaces Agricoles Utilisées (SAU) prélevés sur les surfaces agricoles, le record date de 2009 avec 75 000 ha prélevés… En ce qui concerne la SAU en Aquitaine, elle doit faire face à plusieurs difficultés, qui sont par ailleurs des atouts, mais qui expliquent cette consommation des terres. Il y a tout d’abord les départements du littoral, qui ont une extrême attractivité avec ce que ça suppose en équipements consommateurs d’espace. En outre, l’Aquitaine est une région où les flux migratoires sont importants avec un solde positif. Par conséquent, la question du logement va être amenée à empiéter davantage encore sur les espaces agricoles. La région se caractérise aussi par la forte présence de massifs forestiers, fortement consommateurs d’espace, qui grâce à une législation protectrices bénéficient d’une meilleure protection que les espaces agricoles. Par exemple, pour les espaces forestiesr, il y a une obligation de compenser les surfaces prélevées, et parfois même sur des terres agricoles…. A ces trois éléments, il faut enfin rajouter les gros projets d’infrastructure que connaît actuellement la région. Par exemple l’A65, c’est 1500 ha d’artificialisation, et encore sans compter les nombreuses zones d’activités que veulent mettre en place les élus au niveau de chaque bretelle. Quant à la LGV, c’est 3300 ha de surfaces forestières et agricoles qui vont être prélevées sur la partie Aquitaine du projet… Même si ces artificialisations sont nécessaires pour combler le retard de la région en terme de voies de communication, la période est difficile en ce moment pour la préservation des espaces agricoles. Il s’agit de raisonner au mieux, et au plus juste, ces projets pour que l’artificialisation ne se fasse pas de manière « abusive », et encore tout dépend de la lecture que l’on fait de ce mot.

@! : Agriculture, habitations, infrastructures… la question de la destination des terres révèle un vrai problème de concurrence sur les usages que l’on veut en faire… comment, selon vous, parvenir à arbitrer au mieux sans trop coûter aux surfaces agricoles ?
P. P. :
D’abord, il faut être clair sur le fait qu’on ne peut pas opposer le développement agricole au développement économique. Ils ont besoin de se co-construire en se respectant. Je réfute tout dogmatisme visant à considérer que les surfaces agricoles sont un espace disponible sans fin ou, à l’opposé, que pas un seul hectare de terre agricole ne sera cédé au développement économique. Il faut parvenir à un « gentleman agreement » entre les partisans de ces deux extrêmes. Il faut créer une structure de concertation et de programmation pour mettre en place un schéma de cohérence territoriale. C’est-à-dire, permettre une gestion du foncier qui devrait aller au-delà des espaces urbains (comme c’est actuellement le cas, ndlr) et prendre en compte les espaces ruraux dans le cadre d’un schéma prévisionnel. En bref, il faut mettre les gens autour de la table et inventer des formes de souplesse qu’aujourd’hui on n’a pas. Il est, par exemple, certain que des terres agricoles ne conviennent pas à cette usage parce que sans grande valeur agronomique alors qu’à l’opposé, il est tout aussi sûr que des terres forestières ont une valeur agronomique importante. La souplesse serait de pouvoir agir là-dessus. Il faudrait pouvoir réfléchir à une organisation du territoire plus cohérente.

Anticiper et compenser, plutôt qu’exproprier

@! : Cette structure à laquelle vous pensez, pourrait-elle être le comité régional d’orientation foncière qu’évoque le PSAA ?
P. P. : La création de ce comité régional, c’est une bonne chose si ça permet de construire par territoires cette analyse prospective que j’évoquais. Sur ces SCOT territoriaux, cette structure devrait avoir un rôle d’animation d’appui à cette réflexion territorialisée. Pour ça il lui faut des outils techniques que la Safer peut mettre à disposition, puisqu’on a la connaissance et le suivi des marchés, territoire par territoire.
Mais pour pouvoir agir au mieux, il faudrait également mettre en avant une valeur cardinale qui manque à trop d’élus, notamment des collectivités locales : l’anticipation. Dans une région où on a devant nous une quantité d’agriculteurs en fin de carrière, et dont les terres agricoles vont revenir sur le marché, l’anticipation serait d’organiser des modes de stockage de foncier. Et ceci pour pouvoir compenser des agriculteurs dont les terres agricoles risquent d’être prélevées au nom de l’intérêt général. En bref, préférer la compensation à l’expropriation, en cas de projet portant déclaration d’utilité publique; ça n’inversera pas réellement la tendance à l’évasion du foncier agricole mais au moins on perturbera le moins possible l’activité agricole. Soyons capables d’anticipation : pour ça il faut stocker du foncier, comme la Safer l’a fait par exemple sur l’A65. Nous avons stocké 500 ha sur le projet et on s’aperçoit que dans la plupart des communes où on a stocké, il y a une acceptabilité du projet qui est plus facile.

@! : Autre objectif du Projet Stratégique Agricole Aquitain : « renforcer la légitimité de l’expression professionnelle dans les instances de gestion du foncier », comment selon vous y parvenir ?
P.P.:
Il existe des outils de planification que sont les plans locaux d’urbanisme et les schémas de cohérence territoriale; ils concernent les espaces urbains et péri-urbains pour lesquels l’agriculture est un acteur parmi d’autres. Ça suppose donc que les agriculteurs soient présents dans ces instances, et surtout qu’ils soient préparés à cet exercice. Or, actuellement ce n’est pas toujours le cas. Pour défendre au mieux les intérêts des agriculteurs il faut une vision professionnelle du territoire et de ses différentes mesures techniques. Ce serait bien que tous les acteurs professionnels agricoles puissent être préparés à l’exercice et à l’enjeu. Le risque qui guette la profession agricole, c’est le corporatisme, d’autant plus que les agriculteurs sont devenus singulièrement minoritaires, même s’ils sont toujours propriétaires d’une part significative de l’espace. Si la profession agricole n’est pas formée aux débats et aux négociations sur ces questions transversales de territoire, elle risque de se refermer sur elle-même. Au contraire, il faut qu’elle soit offensive et en capacité de négocier avec d’autres acteurs du terrain. Il faut qu’elle puisse susciter une vision partagée du territoire. Une lecture trop « agricolo-agricole » la mettrait hors-jeu.

Propos recueillis par Solène Méric

Photo: Aqui.fr

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