Interview: Manuel Dias Vaz : « L’absence d’espérance en Europe me frappe »


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 10/05/2013 PAR Elodie Souslikoff

@qui! – Depuis quand vivez-vous en France?
Manuel Dias Vaz –
Je suis arrivé en 1963 en France. Je suis venu pour fuir la guerre coloniale au Portugal avec laquelle j’étais en désaccord, ainsi que le fascisme et retrouver la démocratie et la liberté.

@! – Pour vous, qu’est-ce-que la citoyenneté européenne?
M. D. V. –
Cela doit être l’élément fondateur de l’Europe telle que je la conçois. Aujourd’hui, il y a trois Europe : l’Europe de la finance, l’Europe de l’Etat, des institutions, et puis il devrait y avoir l’Europe des citoyens. L’Europe de la finance et l’Europe de l’Etat ont pris le pas sur l’Europe des citoyens. L’Europe des citoyens, c’est l’Europe de la paix, de la réconciliation. Pour moi, l’Europe a été construite pour cela et progressivement elle a glissé vers la finance, vers l’institutionnel et je le regrette profondément.

@! –  Selon vous, pourquoi l’Europe a évolué vers une union plus monétaire que citoyenne?
M. D. V. –
Parce que le monde s’est profondément monétisé. L’Europe a suivi la logique de la mondialisation des années 1970, essentiellement américaine. Dans les années 1980, Mme Thatcher a amené l’idéologie libérale. D’autres pays d’Europe ont ensuite suivi cette voie. Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est le résultat des choix stratégiques faits par les Américains et les Anglais de Mme Thatcher. Ensuite, dans les années 2000 et 2010, la dérive complètement spéculative a fait que les nations et les populations se sont mises à vivre de manière irrationnelle.

@! – Pourquoi défendez-vous le projet européen?
M. D. V. –
Tout d’abord parce que l’Europe est le continent où je suis né. J’ai donc ce sentiment d’appartenance. Je suis fier de mes origines portugaises et je suis en France depuis 50 ans. Et puis, l’Europe a vécu pendant des siècles des guerres successives et le fait de pouvoir vivre dans un espace de paix (ce qui est le cas depuis 70 ans), c’est quelque chose auquel j’adhère fondamentalement. Ensuite, je pense que la question des droits de l’homme, des valeurs, reste importante pour l’avenir de l’humanité. Il ne peut pas y avoir de progrès sans démocratie. Cette articulation entre progrès, développement, rationalité, est à construire et je pense qu’on a probablement progressé depuis 70 ans. Ce n’est pas parce que depuis dix ans on est dans une situation de crise qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain.

@! – Aujourd’hui, que faudrait-il faire pour rééquilibrer puissance économique et progrès social?
M. D. V. –
Il faut assainir les finances publiques dans tous les pays. Il faut également réinterroger notre projet social, objectivement, sans vouloir tout sacrifier. Troisièmement, il faut industrialiser l’Europe. L’Europe ne peut pas être seulement un « museum ouvert ». Il ne faut pas faire de l’Europe la lumière du monde mais il ne faut pas qu’a contrario l’Europe rase les murs. On doit avoir notre fierté. Et si nous n’avons pas confiance en nous, nous ne pourrons pas créer de richesses car une des grandes richesses du monde, c’est la confiance. Vous ne pouvez rien construire sans la confiance et sans l’adhésion des gens. L’autre problème, c’est qu’aucun grand personnage n’incarne l’Europe. La seule aujourd’hui qui émerge, et Dieu sait si c’est compliqué, c’est Mme Merkel.

@! – Les politiques budgétaires d’austérité ne sont-elles pas aussi une raison qui explique le manque de confiance des Européens?
M. D. V. –
Je suis contre l’austérité. Ce n’est pas parce que je dis qu’il faut assainir les finances publiques qu’il faut de l’austérité. L’Europe s’est reconstruite dans les années 1945 après la guerre, la situation de 1947 était alors beaucoup plus dramatique que celle de 2012. On a pu se reveler grâce à deux choses : d’abord on était un continent qui croyait en son avenir, et la population avait l’espoir de retrouver la paix. Aujourd’hui, la population est en souffrance. Ce qui me frappe le plus, moi qui ai vécu dans un régime fasciste, c’est de voir cette absence d’espérance, d’utopie, de rêve. On ne peut rien faire sans cela.

@! – Comment expliquez-vous cela?
M. D. V. –
On voit très bien aujourd’hui qu’il y a deux populations qui sont sacrifiées : les jeunes et les femmes. On ne peut pas dire que l’Europe brille par sa capacité à faire de la place aux jeunes et aux femmes dans les grands lieux de pouvoir. Pour moi le paradoxe est là, on n’a pas assez fait confiance aux jeunes et peut-être que les jeunes ne se sont pas assez battus pour prendre le pouvoir. Le pouvoir ça ne se donne pas, ça se gagne, il faut le vouloir. Je pense que 68, et les années 60-70 plus généralement, ont vu des mouvements de révoltes souvent portés par des jeunes et cela a permis de créer de la respiration. Aujourd’hui, on est un peu figé, pétrifié, il faut un peu de respiration, d’utopie.

@! – Pensez-vous que les états du sud comme l’Espagne, où il y a de nombreuses manifestations anti-austérité, pourraient créer une sorte de révolution?
M. D. V. – Toute démocratie a besoin de convulsion. Je suis contre tout ce qui peut être destructeur, mais je pense que toute démocratie a besoin de révolte, d’indignation, pas pour casser mais pour construire. J’ai vécu Mai 68, la révolution au Portugal, la démocratisation de l’Espagne, une partie de la construction de l’Union européenne, on a eu des moments de joie immense, des moments où l’utopie était créatrice.

@! – Pensez-vous que le PS a eu raison de critiquer la politique d’austérité budgétaire d’Angela Merkel, qu’il faut aller à l’encontre de ce qu’elle prône?
M. D. V. –
La question n’est pas la critique de Hollande ou Merkel, je n’ai pas du tout envie de rentrer là-dedans. Tous ces êtres qui nous gouvernent sont la plupart du temps dépassés par les événements. Je suis très critique vis-à-vis du système allemand mais il faut leur rendre hommage car ils ont au moins su préserver leur industrie, ce sont des gens pragmatiques. Ma critique de l’Allemagne concerne le système social, le dumping social. Mais ce n’est pas parce que l’Allemagne a cette position de locomotive qu’il faut bénir toutes ses politiques. Je pense que le rôle de tout citoyen responsable est d’avoir un esprit critique. C’est très exigeant d’être critique, de ne pas être conformiste. Après il ne faut pas être dans la dénonciation de tout mais il faut aussi avoir le sens de la responsabilité. Il faut avoir le sens de l’effort. Sans effort, on obtient rien. C’est cela qui nous manque aujourd’hui. Vous parliez de l’Espagne tout à l’heure, les jeunes Espagnols sont dans la révolte mais ils ne sont pas dans la construction.

@! – Vous voulez dire que ces jeunes se révoltent mais ne proposent rien derrière?
M. D. V. – Mais parce qu’ils n’ont pas le pouvoir! Il manque des hommes et des femmes au pouvoir qui ne soient pas une élite coupée du peuple. Donc moi je pense qu’il faut se demander comment faire en sorte que cette révolte qui vient du terrain puisse être plus que l’expression d’une souffrance, d’un ras-le-bol. Cela exige que les hommes et les femmes qui sont porteurs de cela puissent accéder aux postes de responsabilité, et ce n’est pas le cas aujourd’hui.

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