Tout d’abord, le décor est planté : des pavillons de banlieue. Rien de plus anonyme, rien de moins dans la norme d’une époque où le progrès rime avec accession à la propriété, sans pour autant faire de l’esbroufe ou se démarquer franchement de son voisin. Mais c’est compter sans l’esprit de malice de notre auteur. Rien ne va comme on le pense dans cette impasse où le romancier va faire d’ici peu s’affronter Pierre Cordier et Roger Chabassol, tous deux nonagénaires. Folle course, s’il en est, non pas dans la vitesse, mais bien dans l’allure, où l’atypique et l’universel de la nature humaine s’entremêlent à chaque petit pas. Dans cette course, en effet, se joue l’épilogue d’une vieille rancœur, aussi tenace que muette, se règle le débit de lointaines humiliations. Du point D du départ au point A de l’arrivée, se dévoilent les destins des deux athlètes ainsi que ceux de leur voisinage, tout aussi tortueux. « J’étais là, sans y être » nous avoue Jean-Louis Bailly, « comme tous les romanciers, invisible mais témoin de tout ». Il se fait en effet l’écho des grandeurs et des misères de tout un chacun, éclairant celles-ci du brillant de son écriture, ciselée et martelante, tout autant que bienveillante et tendre.
La vengeance est dit-on un plat qui se mange froid. Il se déguste aussi, et en l’occurrence, avec un plaisir vainqueur. « Mathusalem sur le fil » : un nouvel ovni de l’Arbre Vengeur – son 99ème !- et un grand moment de lecture. On en redemande !