Interview : en toute franchise Pierre Camani, président du conseil général de Lot-et-Garonne


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Temps de lecture 10 min

Publication PUBLIÉ LE 16/06/2008 PAR Joël AUBERT

Aqui! : Ce département vous le connaissez depuis un certain temps; vous y êtes né, vous l’avez défriché dans des responsabilités diverses avant de venir à la politique.
Pierre Camani : J’ai fait une licence d’histoire, l’Institut d’Etudes Politiques, un peu de journalisme; c’était à a Paris à « Libé », en stage. Mais en bon fils de paysan, j’ai passé les concours administratifs; j’ai fait l’Institut d’Administration Régionale de Nantes, avant de me retrouver dans la préfectorale. Premier poste en région parisienne, ensuitesecrétaire général à la sous-préfecture de Marmande de 1984 à 1990. C’est là que je me suis investi en politique. J’ai vécu une expérience de gestion de l’administration préfectorale, certes intéressante, mais j’ai fini par m’y ennuyer un peu; surtout voyant comment Gérard Gouzes, maire de Marmande, dynamisait sa ville j’ai voulu travailler avec lui. D’abord comme directeur de cabinet en 1990, puis comme secrétaire général de la ville, ensuite comme directeur général des services de la communauté de communes du Val de Garonne.

L’envie de porter des projets
@! : Vous avez donc vu naître l’intercommunalité…
P. C. : J’ai connu, en effet, l’intercommunalité auprès de Gérard Gouzes ; il a été rapporteur de la loi en 1992, débouchant sur la mise en place des communautés de communes et d’agglomération. C’était intéressant d’être à la fois gestionnaire et en relation avec le législateur, le député qui m’emmenait à Paris pour discuter avec Chevènement et son cabinet. J’étais attiré par ce travail de développeur local, par l’envie de porter des projets. C’est comme cela que je me suis engagé en politique. On a tellement souffert dans ce département, et le marmandais en particulier : nous voulions développer notre territoire car on voyait bien, à l’époque, que la ruralité se vidait de sa substance. En face de nous, on avait un conseil général et un Jean François-Poncet dont le seul objectif était de faire de la politique, et de couper les têtes là où elles dépassaient.

@! : Vous vouliez donc faire de la politique autrement…
P. C. : Pour moi, faire dela politique c’est, certes, s’engager d’un point de vue idéologique mais c’est aussi travailler pour l’intérêt général, développer des territoires. Cette ambition j’essaiede la réaliser, maintenant. Ce doit être un jeu de gagnant-gagnant . Et ce n’est parce qu’on va couper toutes les têtes qu’on gardera le pouvoir. La conséquence de ce passé c’est qu’aujourd’hui nous avons à gérer un département découpé en cinq pays qui ne correspondent à rien ; les espaces ne sont pas pertinents. Exemple il y a eu des bagarres mémorables sur le pays du Dropt. Au lieu de raccrocher le nord du département à l’agglomération marmandaise, on a fait un pays complètement rural isolé qui traverse le département dans le nord sans consistance et qui s’étiole. Lorsqu’on a voté sur le périmètre en 2001 je me suis retrouvéface à Jean François-Poncet : il avait une cinquantaine de voix; j’en avais cinq ou six…


Notre victoire en mars: modernisation, renouvellement
@! : Est-ce quecette victoire importante de la gauche en mars dernier, cette prise de pouvoir au conseil général, marque un tournant, la fin du « poncétisme » ?
P. C. : Absolument. Il y a une modernisation, un renouvellement de population. Pourtant avant l’élection onpensait que le rapport de forces était encore de 20/20 (conseillers); nous avions les uns les autres autant de chances de gagner ; le système de prégnance de la droite ne semblait pas si facile à faire bouger. Et pourtant, le basculement a eu lieu, assez facilement. Le contexte politique général s’y prêtait mais pas seulement. Michel Diefenbacher, l’ancien prséident, nous a bien aidé aussi, parce quesi Jean François-Poncet avait été là je ne suis pas sur qu’on aurait gagné aussi aisément.

@! : Qu’est-ce qu’il vous a dit après cette victoire ?
P. C. : Je ne l’ai pas vu encore ! mais je vais l’inviter ; d’ailleurs il m’avait invité en 2001, lors de mon élection comme conseiller général; j’avais échangé avec lui sur ma vision du Lot-et-Garonne. On s’était opposé mais je savais, qu’intellectuellement, il partageait mon approche du développement.

L’artère Agen-Villeneuve: un projet majeur
@! : Comment faire exister le Lot-et-Garonne entre Bordeaux et Toulouse,
P. C. : Si on veut exister entre Bordeaux et Toulouse, le projet majeur ce doit être l’organisation territoriale, l’artère interurbaine entre Agen et Villeneuve. Les deux agglomérations se trouvent presque dans un bassin de vie; si on les rapproche à travers cette artère qui fait 15 à 18 km nous disposons d’une petite métropole d’équilibre. Là où il y a de l’urbain dynamique il y a du rural dynamique, sinon le rural se meurt. J’ai eu beau défendre cela devant Jean François-Poncet, il m’a répondu : M.Camanivous n’y pensez pas ! Jamais Agen et Villeneuve ne travailleront ensemble.

@! : C’est l‘histoire cela…
P. C. : Oui, mais c’est aussi un rappel intéressant. Quand on est le Conseil général dans les années 1980-2000, que l’on est la puissance politique et économique dominantesi on fait en sorte qu’ils s’entendent, ils s’entendront… Aujourd’huile paysage et les choses ont changé dans ce département. Existent maintenant la communauté d’agglomération d’Agen,la communauté de communes de Villeneuve qui devrait devenir une communauté d’agglomération, autant de structures collectives fortesqui ont des projets et des moyens.

Avec Jean Dionis du Séjour : des règles claires
@! : Justement est-ce que le changement de municipalité à Agen, l’élection de Jean Dionis du Séjour du Nouveau Centre n’est pas une difficulté ?
P.C. : Non, dans la logique que je défends ce n’est pas un problème. Je pose des règles claires pour contractualiser avec les territoires et éviter de tomber dans le clientélisme. Je le fais déjà avec les contrats de pays. C’est le Lot-et-Garonne qui doit gagner, ce n’est parce que Dionis n’est pas du même bord que moi qu’on ne doit pas développer des projets. On peut avoir des orientations politiques globales pour l’ensemble du département etun affichage clair et transparent.

@! : Quand on regarde l’ économie du Lot-et-Garonne on voit surtout lepoids des emplois tertiaires.
P.C. : Oui,mais il y aussi du développement. Là, au moins, on peut rendre grâce à Jean François-Poncet d’avoir apporté l’Agropole à Agen; c’est une réussite. Quand vous regardez les chiffres en Lot-et-Garonne on a une proportion de population industrielle plus importante qu’en Gironde ; nous ne sommes pas un un département désindustrialisé : il y a l’aéronautique, la chimie et l’agroalimentaire.

@! : Comment maintenir ce tissuindustriel ?Pierre Camani et Joël Aubert
P. C. :
Par l’organisation territoriale et le développement des infrastructures parce qu’on est en retard.Certes, il y a l’autoroute mais nous avons un problème majeur : aucun des contournements des trois agglomérations n’est terminé. Marmande et Villeneuve sont en cours, et pour Agen on va commencer l’année prochaine le dernier tronçon. Tous les gros investissements sont devant nous : 420 millions d’euros d’engagements financiers pour les infrastructures pour les cinq ans à venir dont l’entretien des 8.000 kilomètres de routes départementales. Nous préparons un plan de modernisation des infrastructures pour les 15 ans à venir, à planifier et présenter de façon claire. Je suis d’autant plus furieux par rapport à l’ancienne majoritéque nous devons financer ces investissements maintenant alors que dans les années 85-98 l’endettement du département était pratiquement nul.

Le tourisme fluvial : des sommes colossales mais…
@! : Vous êtes très critique sur l’option importante prise en faveur du tourisme fluvial…
P. C. : Les investissements, sur le fluvial, ont mobilisé des sommes colossales. Même si il y a eu des subventions, plus de 100 millions d’euros ont été investis et il en reste encore20 pour le Lot-et-Garonne à mettre et 40 pour le Lotpour que le projet soit viable. En arrivant aux affaires on découvre que le projet ne le serapas vraiment du moins s’agissant des 200 kilomètres de voie fluviale navigable, de l’abbaye de Flaran jusqu’à Cahors. Le passage en Garonne n’est pas viable. On a dépensé20 millions de francs pour faire un chenal ; il est comblé chaque année et malgré que l’on y mettre 300.000 euros annuels, iln’y a pas assez d’eau et les bateaux ne passent pas. L’ancien président a tablé sur le tourisme il ne croyait pas en l’agriculture mais au tourisme. L’agriculture, chez nous, c’est certes desexploitationscéréalières mais aussi beaucoup de petites exploitations avec la vente à la ferme les marchés fermiers ; je crois à l’agritourisme, je pense que le développement est plus là dans cette convivialité rurale que dans le tourisme fluvial.
Jean François-Poncet avait une politique économique, une vision que je ne partageais pas mais il avait mis en place des structures dont certaines ont réussi et qui permettaient de faire remonter jusqu’à lui tous les projets. Depuis quatre ans, Michel Diefenbacher, ancien président du Conseil Général, a supprimé tous les outils de développement qui ne l’intéressaient pas ; il a supprimé l’agence de développement économique qui valait ce qu’elle valait mais qui avait le mérite d’exister. Même les relations avec la CCI étaient devenues des plus mauvaises.

Renouer avec la Région Aquitaine
@! : Alors votre projet économique quel est-il ?
P. C. : Nous voulons « rebooster » le développement économique. D’abord renouer avec le Conseil régional; l’ancienne majorité s’est coupée, là, de moyens importants. Les Pyrénées-Atlantiques, pourtant à droite, ont très bien tiré leur épingle du jeu avec la Région ; le Lot-et-Garonne non : coupure totale, arrogance… En proximité, avec la région, il y a beaucoup à faire, sur le développement durable notamment.En outre, il nous faut mettre en place un outil véritable de développement pour accueillir les entreprises et faire la promotion du département en liaison avec les chefs d’entreprises et les chambres consulaires. Il faudra aussi utiliser l’outil qu’est l’Agropole.

@! : Et la LGV Tours-Bordeaux, puis Bordeaux-Toulouse…
P. C. : Cela fait partie des dossiers où on va devoir dépenser beaucoup d’argent. Le Bordeaux-Tours, c’est 5 milliards d’euros, la Région sollicite les départements et les communautés d’agglomérations. Nous allons participer ; pour nous il est important que Bordeaux-Tours mette Bordeaux à 2 heures de Paris, Marmande à 2 h 1/2et Agen à 3. Le département s’est engagé à mettre 30 millions d’euros, c’est énorme! Pensez que le budget du département c’est 356 millions d’euros. Sur les infrastructures on suit mais je peste, forcément, car nous, territoire rural, avons peu de moyens et un faible potentiel fiscal : en plus l’Etat se désengage et nous refile les routes nationales : 80 kms de RN 113 mais le pire c’est que dans le cadre des contrats Etat-Régions, l’Etat ne participe plus financièrement. Tout est pour nous, on râle d’avoir, à la fois, des charges supplémentaires pour la gestion des routes et d’être sollicités pour les grandes infrastructures.

@! : Le développement durable c’est un autre axe de votre projet ?
P. C. : Oui et pas seulement parce que c’est dans l’air du temps. En Lot-et-Garonne nous sommes les derniers de la classe. Les départements voisins la Gironde avec l’agenda 21, la Dordogne, les Landes aussi. La Région a un plan climat. Les départements ont intérêt à s’y rattacher. Rien n’a été fait dans ce domaine-là. Pourtant, nous avons été un département précurseur dans l’utilisation des huiles végétales pures même si aujourd’hui il y a un débat mondial… sur les biocarburants.

La gratuité du transport scolaire
@! : Et le social c’est votre grand domaine de compétence
P. C. : Plus les départements sont ruraux et plus l’aide sociale a de l’importance; beaucoup de personnes âgées l’apa, le rmi… nous avons un secteur lourd qui pèse beaucoup mais nous voulons avoir une autre vision que celle de la majorité précédente qui disait : moins on dépense mieux c’est.C’est une vision rétrograde, inefficace socialement et économiquement. Nous allons lancer les « Assises de l’insertion » et faire aussi, de la prévention une de nos priorités.Et là, s’agissant de la nouvelle gouvernance, je veux mettre en place une mission d’inspection, d’auditet d’évaluation des politiques ; On va aussi essayer de mobiliser l’ensemble des acteurs locaux sur les projets.

@! : Et les collèges ?
P. C. : On en a un construction. Une des mesures phares qu’on a mise en avant pendant la campagne électorale c’est la gratuité du transport scolaire. Dans notre domaine de compétences on essaie aussi de jouer sur le pouvoir d’achat il y a deux domaines sur lesquels on peut agir ce sont les transports scolaires pour lesquesl nous préconisons la gratuité car il y a une injustice phénoménale dans ce département. Sur 10 000 enfants transportés il en existe 1 500 pour lesquels c’est la gratuité et ceci pour des raisons diverses. Tous les autres paient entre 50 et 600 euros par an, la moyenne étant autour de 250 euros. Quand vous avez trois enfants voyez ce que ça peut représenter. Et ce sont les gamins dans les territoires les plus éloignés qui paient le plus et ont le trajet le plus long. Voilà dix ans que la gauche se bat sur ce dossier et on n’a pas avancé Pour les transports scolaires, juste avant les élections, l’ancienne majorité a annoncé qu’elle plafonnait la dépense maximum, pour une famille, à 230 euros. Nous on va vers la gratuité : nous assumons, déjà, 85% de ce budget transports ; le coût supplémentaire de la prise en charge totale n’est pas énorme. Et c’est une mesure de justice sociale et territoriale.
L’autre mesure de justice c’est l’Allocation Personnalisée à l’Autonomie, que nous souhaitons transformer en APA Plus. Dans notre département, le seuil actuel de la participation des personnes âgées se situe à 710 euros, nous souhaitons le rapprocherdu seuil de pauvreté. Une telle mesure concernerait 1500 personnes et mobiliserait 500.000 euros sur un budget social qui est à 170 millions d’euros.

Propos recueillis par Joël Aubert et Jean-Baptiste Rey

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