Amnesia, le sens théâtral de l’Histoire de Fadhel Jaïbi et Jalila Baccar


Mohamed
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Temps de lecture 2 min

Publication PUBLIÉ LE 31/01/2011 PAR Hélène Fiszpan

Amnesia, la débacle de l’individu au sein du groupe
Montrer sur scène les mécanismes internes en Tunisie par le biais de la fiction. Témoigner d’une société qui nie l’existence de l’individu souverain et qui le broie sous des notions biaisées de moralité et de droit commun. Tel est le sens de cette nouvelle pièce qui s’ouvre sur une longue introduction silencieuse et onirique. Plein feux sur le choeur de comédiens qui entre en salle et se présente au public ; ils défilent, sourires bienveillants pour certains, regards insistants pour d’autres. On les détaille : onze individus aux physiques différents mais tous tunisiens. Onze personnalités dans un même groupe. Très vite le rêve dérape, on s’y attendait, le silence angoissant ne pouvait durer. La machine se dérègle, les tirs résonnent, fort, les corps criblés de balle s’écroulent en une danse macabre. L’action est donnée, elle sera faite de bruit et de sang, de silences complices et d’actes malveillants. Qui derrière les masques sera un homme bon ou mauvais, dans quel camp le situer ? La malhonnêteté n’est pas une tare reconnaissable, difficile à dire. Une entrée en matière physique et crispante qui place le spectateur dans l’inconfort de la situation, qui force l’attention et traduit la violence du pays. 

Le théâtre comme contre pouvoir essentiel
Limogeage, isolement, emprisonnement des proches, tentative d’homicide … la sanction est lourde pour un homme qui a cru servir son pays toute sa vie. Destitué de ses droits le jour de son anniversaire, Yahia Yaïch, homme politique jusque-là reconnu, est placé ironiquement dans la peau de ses victimes et expérimente une longue descente aux enfers. « Où sont tes amis des droits de l’homme? » crie t-il desespéré à son avocat une fois l’étau resseré, avant de se retracter par fierté. Exsangue, il ne lui reste plus qu’à s’en remettre à Dieu, le seul à tenir les fils, à pouvoir le venger de ses ennemis. Religion, politique et public, le mélange des genres est omniprésent dans cette société déboussolée et meurtrie. Mais lorsqu’une minorité humilie une majorité, la révolte sourde attend patiemment son heure de vérité. « Monsieur après votre limogeage, on a constaté une grande joie dans le pays », annonce une infirmière. Coïncidence narrative avec l’actualité ? « Nous sentions une atmosphère de fin de règne, c’est pour cela que nous avons pu faire ce texte tel quel » confie Fadhel Jaïbi. Un acte de résistance qu’il revendique comme un contre pouvoir indispensable. Créer pour résister en conservant leur intégrité, mettre en scène des pièces sur  » l’homo tunisianus contemporain », sont les valeurs fondamentales qui guident la démarche artistique du duo. Avec et malgré la censure. Dans une langue arabe percutante et poétique, en demandant aux comédiens un investissement total. Alors, malgré quelques longueurs et facilités, et sans aucune complaisance, Amnesia est en passe de devenir un témoin clé de l’histoire théâtrale tunisienne et un repère pour le public étranger, qui ne vit ces évenements qu’à travers le regard des autres. Un instant émouvant, salué par le V de la victoire au moment du salut des comédiens et la désormais célèbre invective « Dégage! », seule expression ajoutée au débotté dans cette pièce hautement visionnaire. 

Crédit photo: Mohamed

Amnesia de Jalila Baccar et Fadel Jaïbi.
En tournée du 2 au 4 février à  Bonlieu Scène nationale, Annecy, le 20 mai à Châteauvallon et en octobre au Théâtre des Célestins de Lyon.

Hélène Fiszpan

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