Aurélien Alberge, « l’outsider »


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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 09/10/2020 PAR Romain Béteille

« Quand je serai grand, je veux être danseur quatre étoiles, comme les hôtels ». Avant même de savoir conjuguer le verbe être correctement et de connaître la définition du terme « arabesque », Aurélien Alberge voulait déjà devenir danseur professionnel. C’est son histoire qu’on a voulu vous raconter aujourd’hui, parce que le chemin bossu qui l’accompagne explique en grande partie ce qui l’a mené entre nos murs. On investit donc la scène, lumière tamisée à l’appui, et on commence par le début.

Un pas (de danse) après l’autre

Déjà hypnotisé par les pas de la troupe d’un spectacle de fin d’année dans lequel évoluait sa sœur aînée, il était ressorti de la salle en étant persuadé d’avoir trouvé sa voie. « Trois mois après, je commençais la danse », confie-t-il. Concours après concours, il passe à l’âge de huit ans à peine l’audition pour intégrer l’école de danse de l’Opéra de Paris. Il restera jusqu’à ses dix-sept ans dans cette institution très traditionnelle, corsetée dans ses ambitions classiques et pas très didactique avec le grand type d’1 mètre 90 qu’il est déjà à 17 ans. « C’était très dur physiquement et mentalement. Il y a des gens pour qui ça marche très bien. Moi, j’ai toujours été un outsider. Quand il y avait trop de règles, ça me bridait un peu, ça me faisait peur. J’étais déjà très grand et on a pas forcément pris le temps de me cadrer, tout le monde était plus petit que moi. Ça m’a aussi motivé parce que je terminais toujours dans les premiers. Ce serait à refaire, je le referais parce que pour passer des auditions, ça ouvre des portes ». 

Si on devait résumer Aurélien en une seule phrase, on dirait probablement qu’il a horreur de rester assis à ne rien faire et qu’il n’aime pas non plus s’installer dans ses petits chaussons de danse pour y faire toujours la même chose. Une fois arrivé quatrième aux auditions de l’Opéra, qui n’a pris que trois candidats (dont un remplaçant), il ne peut se résoudre à refaire une année blanche. On le retrouve donc vadrouillant en Espagne, dans un junior ballet contemporain, autrement dit vraiment très loin de sa formation de base. Il évoque cette prise de risque comme un choix assumé. « À Paris, ils nous mettent vraiment dans la voie du classique et ne nous montrent pas ce qu’il y a autour. Il n’y a pas de places pour tout le monde. D’ailleurs, sur ma classe de dix, on est trois à avoir continué la danse, tous les autres ont arrêté alors qu’ils auraient sûrement eu de belles carrières. Avec du recul, je pense que j’en serais parti assez vite parce que ça n’était pas pour moi. Je n’aurais pas été danseur étoile et je n’aurais pas été comblé ».

Résultat : Aurélien ne reste jamais très longtemps au même endroit. Un an et demie en Espagne, trois ans à Biarritz (une compagnie qu’il a découvert au cours d’un stage de danse et qu’il voulait intégrer) où on le voit faire du néo-classique et étoffer encore son répertoire en interprétant des rôles très différents, à l’image du grand Eunuque de Shéhérazade, un peu engoncé dans un costume au front large. Puis cinq ans au Palais de Monte-Carlo, qui lui fait faire le tour du monde. C’est dans ses années basques que lui vient pour la première fois l’idée de créer ses propres spectacles. Sa sœur, elle aussi itinérante à l’époque, lui fait découvrir les élans traditionnels et populaires du cabaret. Elle l’embauche aussi pour créer des tableaux ou des spectacles entiers pour sa propre compagnie. Aurélien joue les VRP à la recherche de partenaires, un retour aux sources dans sa ville natale d’Albi.

Le goût de l’émancipation

En 2015, trois ans après avoir découvert Monaco et avoir fait, à sa manière, le tour du monde, il crée l’Exception Show, une boîte de production de spectacles, et se lance pour la première fois en autoproduction dans un show baptisé « Femmes », pour un congrès de médecins. Il n’hésite pas à pousser le délire de l’alignement des planètes, de la naissance de la femme à l’intérieur d’un soleil et de son émancipation libératrice. « C’est la seule fois où je me suis mis à l’intérieur d’un de mes spectacles en tant que danseur, pour une question de budget », confesse-t-il. Ses dernières années de danse, il les fera au Lido de Paris où il revisitera, acrobaties à l’appui, le fameux « French Can Can » en tant que soliste. Mais Aurélien a beau continuer sa carrière de danseur, une idée tenace lui trotte toujours dans la tête, comme un refrain populaire qui, malgré tous vos efforts, ne veut pas s’en aller. Après des années à vadrouiller à travers le monde, le voilà avec des envies de se poser dans un lieu fixe, un petit nid douillet qu’il pourrait lui-même diriger. 

C’est à ce moment-là de l’histoire qu’on vous explique son idée un peu dingue de monter un cabaret-bar à Saint-Médard-en-Jalles l’année où la covid-19 est venue chercher des noises au monde de la culture et du spectacle vivant, en plus de tout le reste. À l’entendre, sa volonté ne date pas d’hier. « J’avais ce projet en tête depuis très longtemps. Être itinérant c’est bien, mais il y a beaucoup d’inconvénients. J’ai eu mon lot de voyages : en cinq ans à Monaco j’ai changé quatre fois de passeport parce qu’il était plein. J’avais envie de me poser. En 2020, je fêtais les cinq ans de l’Exception Show. Au Lido, j’ai fait un an et demie en tant que danseur à temps plein, six jours sur sept, douze spectacles par semaine. En janvier 2018 : j’ai refusé un CDI pour la première fois de ma vie et je suis passé intermittent du spectacle et remplaçant. Ça m’a libéré du temps pour créer des shows. Pour moi, si je devais me lancer, c’était cette année. Quand le Lido reprendrait dans des conditions particulières (ce qu’il n’a toujours pas fait à l’heure d’écrire ces lignes), je n’aurais pas spécialement eu de boulot ».

Son local, celui de l’ancien Madison Bar, il l’a trouvé en février 2020, un mois avant le début du confinement, et a signé les papiers en juillet. Entre temps, il a bien été obligé de s’adapter. « J’ai acheté le fonds de commerce et la société qui existait déjà pour aller plus vite. Pour exploiter un lieu et diffuser, il faut des licences d’entrepreneur de spectacles. Il faut aussi plusieurs formations, entre six et huit, pour être gérant : la licence 4 pour les débits de boisson, la licence hygiène alimentaire et celle pour la sécurité des salles de spectacles. J’ai fait tout ça en visioconférence. Il a aussi fallu trouver un architecte, faire les plans, faire des demandes en mairie pour les travaux, le changement de l’enseigne, déposer un nom, une marque. Ça a été la galère parce que tout était en stand-by. Ça l’est encore aujourd’hui, les travaux ne sont pas encore terminés ». En attendant de pouvoir pleinement investir les lieux, Aurélien répète avec sa troupe (dix professionnels divisés en deux formations, pour assurer les remplacements), des intermittents qui avaient, on l’imagine, hâte de remonter sur scène. Il en a rencontré certains au Lido, d’autres ont parcouru les coulisses du Cirque du Soleil, du cirque Bouglione ou du Moulin Rouge. Le gros de la troupe a été déniché dans un grand casting bordelais cet été. 

Éloge de la chimère

Encore en pleine création du spectacle principal baptisé « Chimères », Aurélien sait que, tout nouveau soit-il dans le milieu des gérants d’établissements de revues, il devra s’adapter au contexte. « D’abord, je ne voulais pas faire de restauration. C’est un lieu de spectacle et de boisson, comme au Crazy Horse ou à Madame Arthur. C’était d’abord pour avoir moins de travail mais aussi une volonté d’arriver avec un concept un peu différent. Sur le concept de base, je pourrai accueillir 170 personnes. Avec le covid, c’est rétréci, si j’arrive à en accueillir 90 ou 100, c’est très bien. Si les bars ferment d’ici au 30 octobre, je ne pourrais pas ouvrir de suite. S’ils restent fermés à 22 heures, je pourrais commencer le spectacle plus tôt, à 20h. Si le théâtre le fait, pourquoi pas le cabaret ? ». L’établissement divisera son programme en trois temps forts : deux soirées piano-bar les mercredis et jeudis, le fameux spectacle les vendredis et samedis et une soirée « gay friendly » baptisée « Gars barré » chaque troisième dimanche du mois. Avec ses deux portables, son costume gris cintré, sa barbe taillée au cordeau et le tatouage évolutif qui orne son avant-bras gauche, Aurélien enchaîne les cigarettes. Il confie être nerveux de nature. « Les nuits sont courtes, je ne vais pas mentir. Je suis tout seul à tout gérer, mais c’est aussi ce que je voulais. Au Lido, en raison du covid, je n’ai pas pu faire de dernier spectacle. Je pourrais être aigri de ça mais je ne le suis pas parce que j’avais déjà pris cette décision d’arrêter. Ce projet-là est aussi, inconsciemment, lié au fait que je n’avais pas envie d’arriver au moment où on allait me dire que je ne pouvais plus danser. J’ai pris les devants ».

Avec l’Exception, Aurélien veut garder son rôle d’outsider, en modernisant les codes du cabaret. Si on sait déjà qu’on y verra des plumes, il n’y aura en revanche pas de french can can au menu, il réserve ça à sa troupe itinérante, qu’il espère toujours faire tourner et rendre complémentaire du lieu fixe, histoire que l’un se nourrisse de l’autre et lui fasse espérer plus vite une notoriété de bouche à oreille. « Chimères » touche à la femme mais pas seulement. Tout ce qu’on verra sur scène, ce sont des choses qui ne peuvent pas exister. Il doit durer un an. Si je regarde les cabarets proportionnels à ma taille, les spectacles durent deux ans parce que les costumes coûtent très cher. Si ça marche suffisamment, j’aimerais bien le changer tous les ans, mais je rêve peut-être un peu. En tout cas, c’est un projet d’avenir ».

Le 24 avenue Descartes, situé en face du restaurant le 33 et à côté de celui des « frangins », va donc enfiler bientôt ses plus beaux costumes de scène et rallumer les lumières. Et Aurélien, à 30 ans, deviendra son propre patron, effectuant un peu chaque soir la dernière représentation qu’il aurait tant aimé tenir. Un nouveau défi qu’il pourra rajouter, symboliquement, à son tatouage. « Les quatre étoiles de la danse sont là. Il y a le poing pour la force d’y arriver, les barbelés pour le chemin semé d’embuches, une échelle pour les étapes à gravir, le chapeau haut de forme pour le cabaret, les oiseaux pour l’espoir, le verre parce que j’ai en tout une centaine de points de suture dus à des accidents avec du verre et enfin la clé pour le logo de l’Exception Show. La lettre C, pour le cabaret bar, pourrait venir bientôt ». Plus que jamais en cette période incertaine pour le monde du spectacle, l’histoire de ce néo-bordelais aux alignements décidément très baroques fait figure… d’exception.

L’info en plus : pour en découvrir plus sur le lieu et vous tenir au courant de son ouverture, rendez-vous sur la page Facebook dédiée.

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