La rumeur qui court dans Panxón évoque la fantomatique réapparition d’un capitaine disparu dans un mystérieux naufrage et des inscriptions menaçantes qui plongeaient Justo, ces derniers temps, dans la dépression. L’inspecteur Leo Caldas, de la police de Vigo pense plutôt à un assassinat. Et le voilà parti à enquêter quasiment jour et nuit, avec son adjoint le rugueux et colossal Rafael Estevez, un Aragonais qui peste contre les Galiciens et leur parole brève. Ce qui ne facilite pas la tâche de Rafael, lequel aurait plutôt la main leste pour « faciliter » les interrogatoires ; et ce qui fâche Leo Caldas. célèbre dans sa ville pour son émission radiophonique « Patrouille sur les ondes » dont l’objectif avoué est de rapprocher la population de la police municipale.
Domingo Villar maîtrise dans ce roman une triple approche avec beaucoup de maestria : un suspens policier, d’abord, soutenu jusqu’à la dernière page ; une plongée dans un milieu social, celui d’une communauté de pêcheurs (et plus largement des habitants d’un village côtier) aussi dense d’informations qu’une enquête sociologique ; et enfin une personnalité attachante, celle de son héros policier, un peu coincé entre un vieux père envahissant et une perte amoureuse dont il ne se remet pas.
On livrera quelques aperçus des trois champs d’investigation de notre auteur : à travers une méthode, celle de la pluralité des sens. Elle s’illustre par les têtes de chapitre qui, à la place du titre, développent les significations multiples d’un mot, comme un article de dictionnaire. On aimera aussi le caractère charnel de l’attachement de l’auteur (et de son personnage) à ce coin de terre et de mer : par exemple dans la description de la pêche acrobatique au pousse-pied, la dégustation des nombreux crustacés (et l’indication de quelques recettes), le tout tempéré par l’absence de pied marin de l’inspecteur, lequel rend tripes et boyaux à peine embarqué sur un bateau. Ou encore sa sensibilité aux belles personnes, manifestée par l’intérêt porté à d’intéressants chemisiers ; et la précision de la description d’un petit village peu à peu vidé de ses habitants, si ce n’est aux périodes estivales, et le travail ingrat des rares pêcheurs. Sans ignorer les conflits du travail au sein de l’institution policière lorsque Rafael mécontent de travailler le samedi, le fait savoir à son chef.
Sans doute est-ce l’amour de ce coin de terre espagnole qui fait donner à Villar les vrais noms des lieux, village, bar et restaurant où évoluent les personnages. Comme dans le Barcelone de Montalban, il est possible de déambuler au cœur d’une fiction toute de chair habillée.