Dracula ou la non-mort: une rentrée en demi-teinte au TnBA


Koen Broos
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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 15/10/2008 PAR Joël AUBERT

La mise en scène pour le moins esthétique semblait oublier, au-delà de la réalisation technologique, les atours irrésistibles du Comte, ce personnage mythique devenu une bête sanguinaire par désespoir amoureux.

Dracula, nouveau chantre de l’évolution génétique ?
Il nous avait pourtant averti Yvan Blanlœil dans ses notes d’intention: ce Dracula là n’aura rien d’effrayant ni même de sanguinolant. Il se voudra plus contemplatif, en proie à une réflexion métaphysique sur l’évolution de l’Homo Sapiens et la conquête de l’arme absolue: l’immortalité. Devenu une figure positive transformée par le biais du mégaphone blanlœillien, à l’inverse des Van Helsing et autres conservateurs du roman, Dracula sortait de son rôle d’éternel seigneur des Ténèbres pour devenir l’homme du XXIe siècle, celui incarnant l’évolution génétique futuriste, menant l’être humain vers sa finition la plus parfaite: la non-mort. Dans ce dessein, il fallait réadapter le mythe jusqu’à sa substantifique moelle, quitte à le modifier génétiquement et faire de Dracula un philosophe plutôt qu’une bête. Ôter les harpies érotiques, les loups, les paysages transylvaniens et ne laisser que des personnages dépossédés de leur tempérament romanesque. Pari osé que cette exsanguination quelque peu blasphématoire et qui bien qu’intéressant n’aura finalement pas su dompter les forces du mythe, trop vivaces pour s’éteindre même sous la plume d’un dialoguiste et l’imagination fertile d’un vidéaste hors pair.

Un début prometteur…
Le postulat de départ était pourtant séduisant: faire de ce roman quasiment épistolaire, une adaptation dialoguée pour le théâtre et s’aider pour simple décor d’un système vidéo élaboré et d’un travail sur le son. Le tout orchestré par le maître des audio-théatre et une troupe de comédiens pour le moins connue avec entre autres, Jean-Luc Terrade (Dracula), Renaud Cojo (Renfield / Seward) et Laurent Rogero (Lord Arthur Holmwood). Et il faut avouer que les premiers instants du spectacle possèdent ce charme envoûtant présent dans le roman. La non-présence évanescente de Dracula, ses apparitions furtives, sa voix et une constante pénombre concourent à installer une atmosphère ambivalente et atemporelle, naviguant entre le monde des vivants et celui des esprits, le 19 siècle et le nôtre. Quelques ingéniosités vidéos telle la mise en espace sur 3 niveaux, le filtre créé par l’écran et l’incrustation de personnages nous guident doucereusement au creux de cette histoire, tentant de nous happer au son des contrebasses, tels des Nosferatu technologiques. En ajoutant à cela des costumes très réussis (particulièrement les robes des demoiselles) et les interprétations convaincantes des personnages masculins, le tour était presque joué…

… mais un mythe trop tenace
Presque, car c’était sans compter sur la ténacité du mythe et ce qui en constitue son essence fascinante: le grand-guignolesque justement, celui là même entièrement rejeté dans le propos de la pièce. A trop vouloir intellectualiser le conte et donner vie à un nouveau Dracula, plus concerné par la nature humaine que par sa soif d’assouvissement, Yvan Blanlœil semble passer à côté de l’essentiel et finit par nous perdre dans son interprétation. Plongé dans une neurasthénie contagieuse, Dracula devient un penseur dont les mots s’évanouissent aussi vite que sa présence. La narration se noie dans le dédale de ses raisonnements, nous abandonnant sur le bord de la scène. Le peu d’actions et la lente agonie de Lucy, devenu le personnage féminin principal, achèveront les belles illusions du départ, ne laissant à défaut de sang qu’un goût de trop peu sur les lèvres. Exit l’histoire d’amour avec Mina, les mésaventures de Jonathan Harker, le redoutable chasseur Van Helsing, le voyage en Transylvanie, reste un Dracula décharné à qui on aurait coupé les ailes et limé les dents. Or n’a-t’on pas appris depuis deux siècles qu’on ne venait pas à bout du vampire sans en crever le cœur. Une simple écorchure ne saurait effacer cette présence si marquante, y compris au plus profond de notre imagination. Peut-être est-ce là la raison pour laquelle l’adaptation théâtrale écrite de la main de Bram Stoker n’a jamais vu le jour. L’impossibilité de représenter l’immontrable sauf à grands coups d’effets spéciaux ou par la puissance des mots et de l’imagination que seules les pages d’un livre peuvent parfois délivrer. Si comme le suggère Yvan Blanlœil, l’adaptation n‘a d’intérêt que lorsqu’on a quelque chose de nouveau à dire, alors il est des romans auxquels il ne faudrait pas s’attaquer, sous peine d’y laisser un jour son art.

Photo : Koen Broos 

Hélène Fiszpan


Dracula ou la non-mort d’après Bram Stoker
Adaptation Yvan Blanlœil et Alain-Julien Rudefoucauld
Du 08 au 16 octobre au TnBA
Renseignements et réservations au 05 56 33 36 80 ou sur www.tnba.org


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