Entre les lignes: Claire Mauriac, le roman d’une mère d’Anne Duprez aux éditions du Festin


Le Festin
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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 21/09/2015 PAR Lise Gallitre

Promenade littéraire entre deux Bordeaux …Avant même de découvrir cette mère jusque là assez peu évoquée et de rentrer de fait dans l’intimité de cette famille singulière et dans l’enfance de celui qui obtiendra le Prix Nobel de littérature en 1952, l’un des personnages immédiatement reconnaissables de cette biographie-enquête est incontestablement la ville de Bordeaux. Guide conférencière à Bordeaux depuis 22 ans maintenant, emmenant souvent avec elle les curieux et curieuses « sur les pas de François Mauriac » à Bordeaux mais aussi du côté de Malagar ou de Saint-Symphorien, Anne Duprez sait donc de quoi elle parle, de ce vieux Bordeaux de la fin du 19ème siècle qu’elle décrit comme « un Bordeaux médiéval en sursis », une belle endormie qui « flotte entre deux eaux, dans un fouillis annonciateur ». Au fil des quelques 177 pages de cette biographie-enquête, le lecteur se livre à une expérience bien singulière, une double promenade entre d’un côté un Bordeaux bourgeois du Second Empire appartenant résolument au passé avec ses noms de rues qui n’existent plus et cette ambiance propre à la seconde moitié du 19ème siècle, entre émergence des grands magasins et traditions familiales et, d’un autre côté, un vieux Bordeaux qui vit encore, notamment  dans les quartiers Saint-Pierre et Saint-Paul, avec ses anciens immeubles aujourd’hui encore sur pied et ses rues et lieux autrefois places fortes de la vie de la ville et à ce jour toujours occupés et prisés par les bordelais.

Quand une famille raconte une villeL’un des plaisirs à la lecture de Claire Mauriac, le roman d’une mère est alors bien celui-ci, cette confusion géographique entre deux Bordeaux, celui qui n’existe résolument plus et celui a survécu et va vers l’avenir avec cet immuable morceau de passé. La rue Poitevine, la rue des Trois-Canards, la rue du Mu et les Fossés des Tanneurs répparaissent alors au fil des pages dans ce Bordeaux en transformation où il est bien-sûr aussi question de lieux, de rues et de quartiers phares de la ville  d’aujourd’hui, à l’instar de la Grosse Cloche, de la rue Saint-James où se trouvait  le magasin de nouveautés du père de Claire Mauriac, du « tout nouveau Cours Alsace-et-Lorraine » ou encore de la rue du Pas-Saint-Georges où, au n°86 le 11 octobre 1885, est né François Mauriac, le même François Mauriac qui donnera bien-sûr son nom à une rue non loin du Parc Bordelais.

Claire Mauriac, entre ombre et lumière… A la façon du fameux « derrière chaque grand homme, il y a une femme », Claire Mauriac, le roman d’une mère rappelle, de manière singulière et inédite, que derrière un Prix Nobel de littérature, il y a bien-sûr une mère; dans l’absolu un constat biologique d’une évidence presque enfantine mais, concernant François Mauriac, une donnée qu’on aurait presque jusqu’alors pu perdre de vue tant la figure maternelle de l’auteur de Thérèse Desqueyroux apparaît comme un personnage presque secondaire dans les différentes biographies de l’écrivain, la plupart d’entre elles se focalisant sur la filiation avec le père (pourtant décédé alors que le jeune François Mauriac n’avait pas deux ans) et évoquant souvent cette mère de cinq enfants comme une femme austère et autoritaire. Ici, elle n’est pas « que » ça, loin de là, elle n’est pas uniquement présentée comme Claire Mauriac, femme de Paul Mauriac puis mère de François Mauriac, elle est elle, dans son intégralité, d’abord Claire Coiffard, née en 1853 dans le Quartier de la Grosse Cloche, troisième enfant d’une fratrie de quatre, fille d’Irma Abribat et de Raymond Coiffard, « marchand de nouveautés, voilà une profession qui claque comme une oriflamme! », puis Claire Mauriac, puis Bonne Maman Claire…

« Ce surcroît de tendresse »C’est alors toute une vie que les mots d’Anne Duprez racontent, entre reconstitution et documents familiaux inexploités: son enfance dans ce Bordeaux bourgeois du Second Empire, les vacances au Château Lange, la rencontre avec Paul Mauriac, le mariage dans l’église Saint-Paul, les moments d’intimité du couple où Paul écoute Claire chanter et jouer du piano, la joie de cinq naissances en huit ans, les vacances à Arcachon en Ville de Printemps, la mort de Paul que Claire vit comme « un cataclysme », le chagrin qui envahit cette mère de cinq enfants dont le mari s’en est allé alors que le plus jeune enfant de la fratrie, François Mauriac, n’avait que vingt mois, le deuil, la force, la vie qui reprendra peu à peu le dessus dans « l’imposante maison du 7, rue Duffour Dubergier, le chalet de Saint-Symphorien qui voit le jour par la volonté de Claire, « une maison qui sera la promesse vivante qu’elle a fait à Paul de continuer à vivre »… La rédaction de ce livre s’est par ailleurs en partie faite dans ce même chalet, devenu depuis le Chalet Mauriac, où A.Duprez a bénéficié du soutien de l’agence Ecla pour une résidence d’écriture entre les murs de cette maison que Claire Mauriac souhaitait voir pleine des siens. Une boucle joliment bouclée. Et puis, bien-sûr, au-delà de ce portrait de femme, il y a ce lien particulier qu’elle entretenait avec son dernier né, François Mauriac, « le plus fragile aux yeux de Claire », celui pour qui elle a « ce surcroît de tendresse », cette indéféctible présence, directe ou par des lettres. « La fermeté et la tendresse, le recul et la présence, intimement mêlés », voici donc le portrait tout en nuances qui est ici fait de Claire Mauriac, de la jeune Claire Coiffard à Bonne Maman Claire, Anne Duprez rend ici sa part de vérité et de lumière à celle qui jusqu’alors était trop souvent restée dans l’ombre de son rôle de femme et de mère. Ici, 86 ans après sa mort, la voilà donc héroïne de sa propre vie, cette femme lumineuse qui donnait sens à son prénom.

Claire Mauriac, le roman d’une mère d’Anne Duprez, éditions Le Festin, septembre 2015 – 20 euros


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