Etre Basque aujourd’hui – L’ouverture au monde


Editions Michalon
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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 06/11/2008 PAR Jean-Baptiste Rey

Qui connaît Juan Sebastian Elcano ?

On connaît tous Magellan. Pour son détroit mais aussi parce que l’on croit souvent qu’il fut le premier à avoir accompli le tour du monde. Erreur. Magellan est mort avant de parvenir au terme de l’expédition qu’il avait initiée et c’est Elcano qui l’achèvera. « Véritablement, écrira en 1601 le Grand Chroniqueur des Indes à la cour d’Espagne, Antonio de Herrera y Tordesillas, ce capitaine Juan Sebastián Elcano est digne d’une éternelle mémoire puisqu’il a été le premier à ceindre le monde et que nul jusqu’alors ni parmi les fameux Anciens ni parmi les Modernes ne peut lui être comparé1.» Vénéré au Pays basque, reconnu unanimement pour son acte historique, l’homme, méconnu en dehors de l’Espagne, mériterait de siéger aux côtés des plus grands noms de la mer comme Christophe Colomb, Vasco de Gama ou Amerigo Vespucci. Né vers 1487 à Guetaria, dans la province basque du Guipúzcoa, Juan Sebastián Elcano, qui est alors capitaine de navire marchand, embarque le 19 septembre 1519 comme intendant sur la Concepción. La flotte se compose d’hommes de toutes nationalités dont une grande part de Basques et d’Espagnols. Ventrus et larges, d’une longueur d’une vingtaine de mètres, ces trois-mâts, tous financés par la couronne d’Espagne, sont parfaits pour ramener les précieuses cargaisons d’épices que la flotte part chercher dans les Moluques en explorant une nouvelle route par l’Ouest. Les traditionnelles routes par l’Est étaient en effet réservées aux Portugais selon un accord entre l’Espagne et le Portugal. Mais les bâtiments ne sont pas en bon état et le départ un peu chaotique.

L’épopée

Etre Basque aujourd'hui - Jean-Philippe Larramendy
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L’expédition tourne vite à l’épopée. Les conditions de vie et de navigation sont éprouvantes. La défiance règne entre les Espagnols et leur commandant Magellan, un Portugais passé à la couronne d’Espagne. Après des mois de cabotage pour trouver un passage le long de la côte américaine du Sud, les bateaux hivernent dans la baie de San Julian, en Patagonie, cinq mois durant. Le voyage est déjà long. La révolte gronde. Une partie de l’équipage se mutine. Elcano, qui a participé à la rébellion, est épargné par Magellan qui fait décapiter certains meneurs et en abandonne deux autres, dont un prêtre, sur une plage déserte avec une épée et une bouteille de vin. On n’en entendra jamais plus parler. Le temps passant, Magellan envoie l’un de ses bateaux, le Santiago, explorer une baie voisine où il fait naufrage. Ses hommes finissent par regagner San Julian par la terre dans des conditions abominables.
Au début de l’automne enfin, les quatre navires restants reprennent leur route vers le Sud. Ils atteignent la pointe sud de l’Amérique et, le 21 octobre 1520, une année et un mois après leur départ d’Espagne, s’engagent dans un étroit passage au décor sinistre. Bordé de falaises abruptes, le détroit est un labyrinthe parsemé d’innombrables écueils et soumis au vent. Les tempêtes de vent et de neige s’y succèdent, les vagues sont démesurées et les courants y sont d’une rare violence. Au cours de la traversée, les marins croisent des feux sur la côte à laquelle ils donnent le nom de Terre de Feu. L’un des bateaux, le San Antonio, profite de l’exploration d’un chenal pour rebrousser chemin vers l’Espagne après que son pilote eut mis son capitaine aux fers pour s’emparer des commandes.
Le 27 novembre enfin, soit trente-sept jours plus tard, les trois navires restants débouchent dans une mer immense et calme, si calme au regard des épreuves traversées que Magellan la baptise aussitôt Pacifique.

Le Basque a toujours traversé les mers

Sans carte, ignorant tout de cette nouvelle mer, les nefs voguent trois mois en diagonale du Sud-Est au Nord-Ouest sans apercevoir une seule terre. L’eau et la nourriture viennent à manquer. « Nous buvions de l’eau infecte, ne mangions que de la sciure de bois et du vieux biscuit tourné en poudre, plein de vers et puant l’urine des rats qui coûtaient un demi-écu l’un1», écrit l’Italien Antonio Pigafetta, le chroniqueur du voyage, l’un des rares rescapés. Le scorbut décime l’équipage. Les cadavres sont jetés par-dessus bord. L’archipel des Mariannes atteint, les explorateurs sont attaqués, dépouillés d’une partie de leur équipement, contraints à remettre le cap sur les Philippines qu’ils atteignent enfin le 16 mars 1521. C’est là, sur l’île de Mactan, que Magellan trouve la mort le 27 avril 1521, tué d’une flèche empoisonnée lors d’un affrontement avec les indigènes. Elcano impose alors son autorité et prend la tête de l’expédition. Les semaines passent. L’un des bateaux, à bout de souffle, doit être abandonné. Pendant huit mois, l’expédition sillonne l’archipel indonésien, vivant de troc et de rapines, à la recherche des Moluques qu’ils découvrent finalement. Ils font alors cargaison d’épices : poivre, clous de girofle et surtout noix de muscade avant de se séparer. L’un repart par le Pacifique où sombrera quelques mois plus tard. L’autre, le Vitoria, piloté par Elcano, poursuit par l’océan Indien, double le cap de Bonne-Espérance, traverse les îles du Cap-Vert et achève près de trois ans après son départ un premier tour du monde de légende avec dix-huit marins épuisés dont sept Basques, qui découvrent avec stupeur (comme Philéas Fogg!) qu’en faisant le tour du monde par l’Ouest, ils avaient gagné un jour « en sorte qu’ils avaient mangé chair le vendredi et célébré Pâques un lundi».
Le Basque a toujours traversé les mers. Par défi, par esprit de conquête mais aussi par nécessité. La démographie forte et le système successoral ont de tout temps conduit les cadets à partir. Pauvre et trop peuplé, doté d’exploitations petites et peu productives, le Pays basque a toujours eu du mal à nourrir une population pour laquelle l’émigration était la seule échappatoire. Une échappatoire qui passait naturellement par la mer. Loin d’être un obstacle, la mer a toujours été pour le Basque la continuité de sa patrie. Elle est l’itsasalde, la « région de la mer », landa lihoa, « le champ de lin » qu’il faut cultiver. L’antichambre des terres promises en Amérique du Sud, Mexique et Californie. Certains s’y sont perdus, d’autres en sont revenus, beaucoup y ont fait souche sans rien perdre de leur identité basque. La diaspora basque est aujourd’hui si nombreuse qu’elle est considérée comme la huitième province du Pays basque. La chose est si vraie que l’on a coutume de dire que quand deux Basques se rencontrent en Amérique, la première occupation consiste à se chercher une parenté, ou tout au moins une connaissance commune, qui bien sûr se trouve être un bon ami! Et forcément, il y en a une… Avec quatre à sept millions de personnes, la diaspora basque pèse environ deux fois plus lourd que le pays lui-même!

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