Etre Basque aujourd’hui – La solidarité éonomique


Editions Michalon
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Temps de lecture 9 min

Publication PUBLIÉ LE 06/11/2008 PAR Jean-Baptiste Rey

Paris audacieux donc, mais paris gagnés pour la plupart. Parmi eux, le développement du système coopératif comme réponse à la crise, le choix politique de l’autonomie et donc de la responsabilité financière, la volonté de ressusciter une sidérurgie exsangue quand beaucoup en Europe enterrent cette filière, ou l’ambition d’ériger un musée d’art contemporain en pleine crise économique.
Vingt ans plus tard, le redressement économique est tel qu’il est légitime de parler de miracle économique basque. Communauté la plus riche d’Espagne et classée dans les dix régions les plus prospères d’Europe aux côtés de la Lombardie, du Bade Wurtemberg et de la Bavière, Euskadi s’est hissé en position de leader dans des domaines aussi larges que la métallurgie, la machine-outil, l’équipement automobile, l’aéronautique, la banque ou l’assurance.

Les raisons d’une réussite

Etre Basque aujourd'hui - Jean-Philippe Larramendy
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Comment expliquer une telle réussite ? Visite guidée…
Il était une fois un jeune prêtre qui, après avoir créé un petit atelier de mécanique, se retrouva à la tête du plus grand groupe coopératif mondial.
L’histoire est si belle qu’on la croirait tout droit sortie d’un livre d’images. Et pourtant c’est l’exacte vérité. Nous sommes en 1943 quand débarque à Arrasate-Mondragón le jeune prêtre Don José Maria Arizmendiarrieta. Opposé à Franco, arrêté en 1937, échappé de justesse au peloton d’exécution, il trouve en arrivant une petite ville ruinée par la guerre civile et marquée par le chômage. Le coin est triste, enserré de hautes montagnes et peu avenant.
Borgne depuis l’enfance, peu charismatique, difficile à comprendre, le jeune vicaire n’impressionne pas. Mécontents, certains paroissiens, qui l’ont surnommé le « curé rouge », demandent à l’évêque de le remplacer. Mais le jeune prêtre est déterminé à venir en aide à cette ville sinistrée. Comme bon nombre de prêtres ouvriers et militants de l’Action catholique de l’époque, il s’interroge sur les moyens de concilier Église et travail. Comme eux, il tente de répondre aux grandes questions qui agitent cette période d’après guerre civile. Comment introduire l’Église dans l’usine ? Comment faire cohabiter le travail et la spiritualité, la productivité et les valeurs chrétiennes ? Inventer une nouvelle forme d’entreprise chrétienne, trouver une spiritualité au service du travail et de l’homme sont les grands chantiers de pensée de ce nouvel humanisme chrétien social auquel appartient le père Arizmendiarrieta.
Dès son arrivée en 1943, le jeune prêtre crée une petite école d’apprentissage ouverte aux jeunes de la région avec l’argent récolté auprès des fidèles. Convaincu que la démocratie du pouvoir passe par la socialisation du savoir, Arizmendiarrieta recrute, enseigne et forme de nombreux élèves. En 1956, accompagné de quatre d’entre eux, il saute le pas et décide de monter un atelier coopératif et solidaire où l’on fabrique des fourneaux et des réchauds à pétrole, rien d’autre que le futur Fagor, le mammouth de l’électroménager. L’initiative n’est pas surprenante.
Elle vient s’enraciner sur le terreau des petits métiers de précision qui ont toujours eu cours dans ce coin du Pays basque. La forme coopérative elle-même n’est pas une nouveauté. Les coopératives et les organisations d’aide ont toujours été une tradition ici. Trois ans plus tard, en 1959, le père Arizmendiarrieta crée la Caja Laboral Popular, une banque, elle-même sous forme de coopérative, dédiée aux coopératives et aux coopérateurs.
L’argent faisant souvent défaut, les fondateurs vont taper aux portes. Le pharmacien notable du village, le directeur de la troupe musicale de Mondragón, les commerçants et autres agriculteurs mettent la main à la poche. Les années soixante arrivant, les coopératives se multiplient et se diversifient mais toutes restent liées entre elles par la même éthique : cet impératif de solidarité chrétienne inscrit dans leur statut avec pour fil conducteur les principes humanistes de leur fondateur.

Mondragon : le plus grand groupe coopératif du monde

Aujourd’hui, Mondragón Corporación Cooperativa (MCC), le plus grand groupe coopératif du monde, est un véritable empire industriel rassemblant plus d’une centaine d’entreprises coopératives des secteurs de l’automation, de la construction, des machines-outils ou de l’électroménager, mais aussi de la finance et de la grande distribution (Eroski).
Avec près de cent mille employés travaillant dans 122 coopératives de production, de distribution, de services financiers et sociaux sous l’égide d’un organe de coordination, 38 implantations dans quatorze pays du monde et un chiffre d’affaires de 15 milliards d’euros, elle est aujourd’hui la plus grande entreprise du Pays basque. La maison fabrique de tout. Ou presque. Des vélos, des machines-outils, des autobus, des ascenseurs. Elle possède des élevages de moutons, des supermarchés, des stationsservice, une banque, une mutuelle, une caisse de retraite, une université et Fagor, le numéro 5 de l’électroménager en Europe et leader en France (avec ses sept marques, Brandt, De Dietrich, Sauter, Vedette…). Quant à la petite école de formation professionnelle mécanique créée en 1943, elle est devenue aujourd’hui l’une des universités polytechniques les plus cotées d’Espagne. Mais coopérative aussi!
À elle seule, la coopérative Eroski de grande distribution emploie cinquante mille personnes, pratiquement toutes en Espagne. Elle a réalisé 7,6 milliards d’euros en 2007 avec un bénéfice net de 200 millions d’euros. Pour renforcer sa présence en Catalogne et à Madrid, elle vient de racheter pour 2 milliards d’euros la société Caprabo et ses 324 supermarchés. Au total, Eroski, ce sont 2 443 établissements, franchisés compris : 105 hypermarchés, 1 035 supermarchés, 240 parfumeries (IF), une cinquantaine de magasins de sport à l’enseigne Forum, 50 stations d’essence, 274 agences de voyages, ainsi que 26 plateformes logistiques.
La réussite de MCC a tout pour intriguer. Elle s’appuie en premier lieu sur un mode d’organisation particulièrement original. MCC est, selon les principes de son fondateur, un groupe « coopératif et solidaire », fidèle à ces valeurs depuis plus de cinquante ans. Une durée qui prouve, s’il en est besoin, qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre cette voie économique et les canons de l’efficacité industrielle.

Un homme, une voix

L’un des premiers principes repose sur la démocratie participative, l’égalité entre associés et le respect absolu de la règle « un homme, une voix ». L’application systématique de cette règle vaut pour toutes les décisions de l’entreprise qu’il s’agisse de l’accroissement de la productivité, des orientations stratégiques, des investissements ou des restructurations.
Pour que Fagor puisse racheter Elco-Brandt en mars 2005, la décision a été prise à la majorité d’une assemblée générale de plus de quatre mille personnes pour la décision finale. Cette assemblée générale a été préparée par de multiples réunions organisées avec des groupes de cinquante personnes permettant aux dirigeants d’expliquer le projet à tous et de répondre à chaque question de chaque associé. Certes, c’est long et plus lent. La concertation est chronophage. Mais ça marche. Cette égalité vaut aussi pour l’élection des organes de décision. Ici, c’est l’ensemble des travailleurs qui vote. Chaque coopérative est dirigée par un conseil des recteurs, sorte de conseil d’administration dont les douze membres sont élus pour quatre ans. Le conseil élit ensuite son président pour quatre ans également qui, sitôt son mandat terminé, retournera à son ancien poste.


Cette loi de la majorité a aussi ses revers. En 1994, le conseil des recteurs de Fagor a dû rendre son tablier après un désaccord avec les employés. « La coopérative est redoutable pour un dirigeant, nous explique Fernando Gómez-Acedo, président du conseil de surveillance de Fagor-Brandt. Ce n’est pas tous les jours facile de faire approuver sa politique à des milliers de salariés. » L’inverse est aussi vrai. Vingt ans plus tôt, en 1974, un groupe d’ouvriers qui avait osé s’opposer à la grille de salaires s’est vu remercié sans autre forme de procès. À l’unanimité et sans état d’âme. On ne plaisante pas avec les principes du coopératisme. Autre loi intangible sur laquelle repose le principe même de MCC, chaque coopérative est et reste propriété de ses salariés. Ici, les employés ne sont pas des salariés, mais des travailleurs associés. La différence n’a rien de sémantique. Ces travailleurs sont actionnaires et bénéficient de l’emploi à vie, sauf faute grave. En arrivant, toute nouvelle recrue doit participer à hauteur de dix mille euros au capital de l’entreprise : cette somme est payable en trois ans et remboursable en cas de départ. La Caja Laboral prête l’argent si nécessaire. Sur cette base, l’associé reçoit une part des bénéfices en tant qu’actionnaire. Résultat : 40 % des bénéfices de l’entreprise vont aux associés. Impliqué financièrement dans l’entreprise, le travailleur peut toucher des bénéfices quand tout va bien mais en cas de coup dur pour la coopérative, son pécule peut être réclamé.

Un partage des profits

La ventilation des profits est elle aussi pour le moins originale. Au lieu de se baser sur la participation des associés au capital social qui est structurellement égale pour chacun, elle est calculée par rapport au travail effectué. Chaque employé est donc intéressé au résultat de l’entreprise, rémunéré par une partie fixe liée au poste occupé et par une variable liée à la productivité industrielle. Outre ces 40 % qui profitent directement aux ouvriers, le reste des bénéfices est partagé pour 10 % entre les oeuvres de charité ou de formation (hôpitaux, écoles, centres de recherche) que le groupe subventionne, un fonds de réserve pour les entreprises coopératives en difficulté pour 30 %, le reste est réinvesti dans l’entreprise.
Autre conséquence du système, l’écart de rémunération entre le salarié associé le plus bas de l’échelle et le président se situe entre un à huit en moyenne, là où dans une entreprise classique l’écart peut aller de un à quatre-vingts et audelà. Cette éthique de la démocratie d’entreprise et de
la solidarité qui ne s’est jamais démentie depuis cinquante ans, explique qu’il n’existe ni syndicats ni licenciements. Mieux encore, MCC s’est payé le luxe dans un secteur réputé sinistré de recruter plusieurs dizaines de milliers de personnes supplémentaires en moins de dix ans. Quant aux grèves, il n’y en a jamais eu dans le groupe. MCC a su s’adapter à la mondialisation sans jamais licencier ses travailleurs associés ni sacrifier ses principes d’équité sociale. Il a toujours eu à coeur de ne renier ni sa philosophie ni ses principes, de toujours parier sur sa gestion sociale et sa politique du plein emploi.
Un vrai pied de nez aux fatalités industrielles. L’une des clefs de la puissante et régulière ascension de Mondragón réside dans sa capacité à gérer virages stratégiques et restructurations avec l’assentiment de la majorité de son personnel. Ici, comme dans toute structure coopérative, la viabilité et la sauvegarde de l’entreprise sont plus importantes que le profit personnel. Un défi qui n’est pas simple dans un groupe qui emploie cent mille personnes.
Ce management participatif se révèle particulièrement utile dans les périodes de crise. Le 13 mai 1993, les salariés de Fagor, la branche électroménager de MCC numéro 1 en Espagne, votent à une large majorité le gel de leur propre rémunération. Même chose en 1997. Cette année-là, le coréen Daewoo est en train de faire une percée fracassante sur le marché espagnol de l’électroménager. Avec ses prix défiant toute concurrence, il met gravement en danger la viabilité de Fagor. À la majorité des voix, les travailleurs décident alors de geler leurs salaires afin de faire baisser le coût de leurs produits.
Une décision qui intervient à chaque avis de tempête et ne doit rien à un quelconque idéalisme béat. « Sans profit, pas de social. » Ici, tout le monde l’a compris.
Cette responsabilisation et cette implication exceptionnelles trouvent aussi leur explication dans la confiance. Saisonnalité du travail, préretraites, accroissement de la productivité sont d’autant mieux acceptés que les licenciements sont rejetés par le système coopératif. Quand une chaîne de
montage située en Euskadi doit être fermée pour être déplacée ailleurs, les travailleurs associés sont alors mutés dans une autre branche du groupe. Personne ici ne reste sur le carreau.
Ce climat de confiance explique le peu d’esprit revendicatif des travailleurs associés. Le travailleur associé croit en son entreprise et est prêt à se serrer la ceinture si nécessaire. À défaut de voter le gel de ses salaires, il vote régulièrement des hausses de rémunération mesurées et n’hésite pas à augmenter sa cadence de travail et ses horaires quand les résultats piquent du nez. La maison le lui rend bien. Si le salarié d’une coopérative en difficulté est détaché dans une autre entité du réseau, la perte éventuelle de son salaire est comblée par un fonds de solidarité. « Voir un tel modèle social dans l’industrie internationale est assez unique au monde », résume José Mari Muñoa, délégué pour les relations extérieures au gouvernement basque.

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