Evento 2009 : une première avec ombres et lumières


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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 11/11/2009 PAR Joël AUBERT

Sortir les oeuvres des musées pour les exposer dans l’espace public : l’intention est louable mais l’aventure parfois risquée. « Les objets d’art ne sont pas autonomes du contexte où ils sont montrés. Lorsqu’ils sont isolés dans la rue, il est difficile d’établir un lien avec le public », rappelle Anne-Laure Boyer, plasticienne bordelaise qui travaille depuis plusieurs années sur la relation entre l’espace urbain et ses habitants. On a pu juger sur pièces : si la concentration des oeuvres sur les quais avait un réel impact sur les visiteurs, celles-ci se sont souvent trouvés bien seulettes lors de leur perégrination dans les quartiers. Ainsi le « Haut parleur » à bulles de Kristina Solomoukha est resté inaperçu devant le Simply Market des Aubiers tandis que la boutique politico-sportive de Democratia a fait chou blanc au marché des Capucins : constatant que ce n’étaient pas de « vraies » écharpes des Girondins qui étaient en vente, les curieux tournaient simplement les talons, sans rien demander de plus.

Une « itinérance » insuffisamment préparée
La présence des médiateurs, méritants mais bien mal gratifiés n’a pas suffi à créer le lien et susciter la curiosité. « Pour qu’une oeuvre rencontre un quartier et ses habitants, il faut un travail dans la durée, une immersion de l’artiste dans l’environnement et surtout quelque chose qui fasse écho avec le lieu. A défaut, cela risque de sembler trop « plaqué » », estime Anne-Laure Boyer à la lumière de sa propre expérience. Le principe de la « dissémination » des oeuvres dans la ville semblant être gardé pour laprochaine édition d’Evento, il faudra mieux faire. Les propositions ne manquent pas. Mieux informer les habitants des quartiers sur la prochaine venue des oeuvres, créer du désir, de l’attente, les laisser plus longtemps sur place, ou encore, comme le propose Juliette, médiatrice, « les faire voyager groupées, cela aurait eu peut-être plus de sens ». Victor, lui aussi médiateur, aurait voulu que les oeuvres reviennent à la fin de leur périple sur leur lieu de départ, ce qui aurait peut être drainé quelques habitants des quartiers vers les quais. On peut également s’interroger sur le choix des emplacements. Pourquoi avoir placé les automobiles transformées d’Olivier Peyricot le long de la chaussée empêchant les enfants d’en faire un espace public de jeux ? La « Barricade » de Fernando Sanchez Castillo n’était-elle pas un peu perdue au milieu de l’allée Serr ? Pourquoi la « Plateia » de Pedro Barateiro était-elle si près de la porte d’entrée de la gare Saint-Jean, au détriment d’un véritable déploiement du regard ? Les exemples abondent d’une itinérance un peu bâclée, qui fait sens sur le papier mais beaucoup moins sur le terrain.

Le succès des oeuvres qui jouent l’interaction
Si certaines oeuvres sont restées quasiment muettes et difficiles d’accès pour le grand public, les propositions qui offraient une véritable interaction avec le public ont rencontré un vrai succès. On pense à la passerelle Kawamata, l’installation d’Amos Gitaï à la base sous-marine, les « Auditory Objects » de Florian Hecker, les performances du collectif Berlin ou la Travelling Music réalisée par les élèves du Conservatoire. Le joyeux bric à brac d’Insiders au CAPC, qui laisse également une large place à l’interactivité, au jeu, à l’appropriation physique et sensorielle est aussi un beau moment de la manifestation. Le bus transformé de Seulgi Lee avait également un impact fort, comme une irruption incongrue et dérangeante d’une masse poilue dans l’espace public, le travestissement d’un objet quotidien comme un bus de ville. Performances et interactions sont particulièrement bien adaptées à l’aspect événementiel et ludique d’Evento, certainement une piste à travailler à l’avenir.

Une délicate démocratisation culturelle durable
De l’avis général, la manifestation, après un premier week-end réussi, s’est rapidement essouflée. Ce qui pose, une nouvelle fois, la difficile question de la démocratisation culturelle et de l’accès d’un large public à l’art contemporain, véritable quadrature du cercle des politiques publiques, toujours tiraillée entre exigence artistique et vulgarisation. Malgré les ambitions affichées, « l’irrigation culturelle des territoires, des coeurs et des esprits », Evento semblait beaucoup plus dirigé vers l’extérieur et la promotion de l’image de la ville que vers les Bordelais ordinaires. 

On peut également s’interroger sur la durabilité de « l’intime collectif », quand les aménagements urbains de Raphaël Zarka sont détruits à Bacalan contre l’avis des habitants de la place Buscaillet. A part la passerrelle Kamawata, en sursis pour quelques mois, rien ne vient symboliquement marquer l’espace bordelais et rappeler ce temps fort partagé. Joli coup de projecteur sur la ville et l’art contemporain, Evento n’a pas été une entreprise dedéveloppement artistique durable. Il faudrait pour cela préparer plus longuement l’interaction entre les artistes, l’espace urbain et les habitants. Impliquer plus largement les créateurs bordelais permettrait également, à partir de ce terreau artistique permanent, de mener une véritable politique culturelle au long cours..

Vincent Goulet

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