Fées, une rencontre inattendue de la beauté et du dépit au TnBA


TNBA
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Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 10/04/2009 PAR Hélène Fiszpan

Un spectacle générationnel?
Ambiance vert d’eau et énumération OTAN, AI, OPEP, AIEA …deux petites fées adossées au mur en faïence de la salle de bain. Deux elfes issues d’un conte plein d’étrangeté, venues interpeller sur les multiples organisations internationales existantes, les délimitations d’un contexte géo-politique. Face à James, elles ne font qu’une, un front uni pour contrebalancer les vérités, enfoncer les clichés et détourner les états d’âmes. Avec elles, rien ne passe, la plainte est ironisée, le stéréotype amplifié, le discours disséqué. Avocates de la malignité, elle s’amusent et singent dans un second degré irrésistible ou dans une complaisance feinte la détresse et l’inertie de James, symbole d’une génération de pré-trentenaires désabusés et écrasés par la marche du monde. Parasytes geignards pour certains ou êtres en mal de sens pour d’autres, ces hommes et ces femmes sont le fruit d’une histoire collective qui aujourd’hui montre les signes de son aboutissement: une société marchande et individualiste laissant la place à un courant de pensée médiocre car dérisoire. Une vision très marquée politiquement et s’intéressant à un microcosme sociologique mais qui possède les charmes enivrants d’un sentiment d’appartenance à une communauté et d’exutoire bienfaisant pour ceux qui la partagent.

Analyser le rôle d’un individu dans une société post-moderne
« Fées » n’est pas un spectacle détaché. Il est l’extrême inverse, son identité se fonde dans le fait d’être ancré: dans une période, dans un discours, dans une mise en scène, dans un genre.
Il ne s’adresse certainement pas à tous, il en déçoit certains, il en exclut d’autres, mais ceux-là auront eu l’infortune de passer à côté d’une rencontre. Infortune car lorsque l’adhésion se fait, elle est totale et jouissive comme une sensation de « je vous ai compris » aux allures moins guerrières. D’aucuns diront que les dialogues sont faciles, éloignés de la poésie que l’on attend au théâtre, générateurs de frustrations car trop réels. Il n’empêche, pour d’autres il est parfois agréable d’entendre appelé un chat un chat, de rappeler sur scène les excès d’un discours sécuritaire, libéral, oppressant et dans l’air du temps. En questionnant le devenir et la place d’un individu dans une société post-moderne, « Fées » replace le théâtre au coeur du monde et soulève les maux et les détresses de quelques citoyens. Des citoyens tendus à l’excès, en alerte, emmurés…la face sombre de beaucoup, trop conscients du danger de s’interroger sur leur part de responsabilité, gagnés par la révolte mais pétrifiés. L’histoire ne fait rien nous dit le spectacle, l’histoire est faite d’une accumulation de gestes d’hommes et de femmes comme vous et moi, en avons-nous retenu les leçons? Une évidence pour beaucoup mais qu’il n’est jamais vain de rappeler, encore et encore…

« Fées », une intemporelle beauté
Fées possède la beauté irréelle d’une image trafiquée. Filtrée de vert, la scène s’éclaire d’une moiteur angoissante, enveloppant les comédiens d’un halo dramaturgique au même titre que le texte. Fond et forme ont la même valeur pour David Bobee qui prodigue à sa mise en scène un soin rarement égalé. Organisé autour d’un dispositif bi-frontal, cette salle de bain de l’éternel, ce purgatoire aquatique est régi par deux erynnies contemporaines dont la chevelure rousse et le visage mutin se détachent pour mieux nous happer. Une intrigue visuelle qui ne cesse de s’étoffer, pour révéler à chaque mouvement une nouvelle ingéniosité théâtrale, un accomplissement poétique et esthétique. Troublant donc, le spectacle possède le charme supplémentaire d’une fiction maîtrisée. S’inspirant de techniques cinématographiques, il use à bon escient de la bande sonore, de la vidéo et du montage pour maintenir la tension et l’attention. Conquis une première fois par ce décor exigeant, par ces comédiens d’outre-temps, par ces fragments de texte rassénérants, le bienfait est total lorsqu’on mesure le travail accompli et la sincérité de la démarche. Ne pas brader, ne pas vendre, ne pas faire semblant, perfectionner, cogiter, impliquer, partager, proposer « briser l’unitaire, montrer le pluralité, la richesse des personnes, de la pensée, des événements » … ces notions fondent l’écriture des deux auteurs qui possèdent ce talent rare, celui de parvenir à matérialiser leur pensée au bénéfice des autres. Une aubaine pour ces deux hommes dont on perçoit la crispation et l’indignation, l’indispensable besoin de dire… et un réconfort pour les autres, les sans moyens d’expressions, les apathiques, les vaguement conscients, les presque déséspérés, les ceux qui ont envie de, les enfants de l’ombre, militants de coeur et frileux beaux-penseurs. Ceux qui se reconnaîtront dans ce portrait croisé et qui leur en seront, pour un moment, reconnaissants.

Hélène Fiszpan

Fées de Ronan Chéneau, mise en scène David Bobée. Compagnie Rictus,ww.rictus-davidbobee.net
Au TnBA les 8 et 9 avril 2009.


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