Jan Lauwers en Aquitaine : retour sur deux spectacles de Needcompany


DR
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 4 min

Publication PUBLIÉ LE 05/02/2009 PAR Joël AUBERT

Pourtant après trois représentations, le bilan semblait contrasté, laissant quelque peu dubitatif quant à l’immense succès rencontré par Needcompany notamment au travers de sa pièce La Chambre d’Isabella. Si en 2004, celle-ci recueillait tous les suffrages, on est en droit de s’interroger cinq ans après sur sa traversée du temps et sur le fait qu’elle ait ou non perdu de sa saveur subversive et jouissive d’origine. Retour sur deux opus pluridisciplinaires de la compagnie, deux visions complémentaires de leur théâtre musical et dansé ou inversement.

The Ballad of Ricky and Ronny: la mélodie de l’horreur

On le sait pourtant, il faut toujours se méfier de ce qui est écrit sur le papier. La réalité du spectacle est souventdifférente, voire à l’opposé de ce qu’on avait pu imaginer. Prenons pour exemple le cas de The ballad of Ricky and Ronny, un opéra pop tragique et édulcoré créé par les inclassables Sophia Bonnema et Hans Petter Dahl. Quelle ne fut pas la (mauvaise) surprise de constater qu’à défaut d’une comédie musicale prometteuse et délicieusement amère, le spectacle s’avèrerait être une lente et longue agonie sur scène et en salle. Après un début pourtant intriguant, une première mélodie séduisante, l’effet du chant des sirènes s’estompe rapidement pour sombrer dans une interminable monotonie teintée d’excentricité hérmétique, hormis pour les amateurs de sensations psychotropiques appréciant les divagations poético-horrifiques d’un William Bourroughs sous acide (pardonnez le pléonasme). De leurs hallucinations autour d’un enfant sperme-gélatineux en passant par leur obsession de la neige humaine ou encore leurs frustrations sexuelles respectives, on comprend que ces deux êtres en quête d’idéal solitaire s’enlisent dans la folie. Alors certes, le thème principal est toujours intéressant à exploiter : comment vivre dans un monde en perpétuel état de crise, si ce n’est en se réfugiant dans cette extrémité consistant à s’exclure de la société pour s’en protéger. Par malchance, il semble que cela ne fonctionnera pas, laissant comme ultime piste de salut une vie meilleure dans un ailleurs… ce qui avouons-le n’est pas très constructif et à la limite de l’appel sectaire. Ajoutons à cela quelques névroses incompréhensibles pour le commun des mortels, des boucles électro répétitives et lassantes et deux corps empêtrés dans leur carapace et vous aurez Ricky and Ronny, un spectacle existant, tournant sur de nombreuses scènes étrangères mais n’ayant pas trouvé beaucoup d’échos en qui résonner.

L’impénétrable chambre d’Isabella

Côté Yang, on trouve dans le spectacle La chambre d’Isabella le pendant positif au spectacle The ballad of Ricky and Ronny. Construit autour de thématiques identiques : l’isolement, la folie, la sexualité, le refus de la maternité, la mort, l’inutilité de la souffrance … Isabella Morandini, 94 ans dans la pièce, répond au jeune couple en bottant le train au fatalisme et à la résignation. Accompagnée des morts-vivants qui ont déterminé son existence et l’ont conduit à cette révélation scénique, elle raconte les épisodes de sa vie familiale et amoureuse avec détachement et ironie. Pourtant l’affaire n’est pas simple : parents alcooliques, menteurs et pervers, amant devenu fou, relation incestueuse … De cette galerie de personnages campée par une dizaine de comédiens, danseurs, chanteurs tous excellents, en sortira un portrait global de cette vieille femme apparemment libre, incarnée par la très enveloppante Vivianne de Muynck. Réunis sur scène dans une énergie collective généreuse, tous entendent communiquer avec humour les péripéties romanesques d’Isabella dans son intimité la plus exhibée jusqu’à la personnification de son hémisphère droit ou de sa zone érogène. Narration, chorégraphie, dérision, chant, engagement, jeunesse, spontanéité, tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce spectacle une oeuvre détonnante, un moment de fraicheur et de théâtre réconfortant et rassénérant à l’instar de ce qui a pu se passer lors de sa création. Et pourtant… finalement peu touché par cette histoire extra-ordinaire, on s’aperçoit que le maître de cérémonie incarné par Jan Lauwers, orchestre sa partition en interdisant toute empathie ou identification avec Isabella. Détachée de son discours ou interrompue dans les moments les plus personnels par son équipée folle, aucun d’eux ne nous autorisent ce rapprochement, cette complicité que l’on attend au détour du texte et des épisodes. Alors nous assistons, extérieurs, à ce défilé d’historiettes amusantes, sans pour autant en rire franchement ou en être émus vraiment. Quel est finalement le mystère de cette chambre si on ne nous y laisse pénétrer comme il se doit ? L’exubérance du spectacle et sa pluridiscinarité ayant aujourd’hui été éprouvés sur de nombreuses scènes et par de nombreuses autres compagnies, que reste-t-il si on y ôte ce supplément d’âme qui fait qu’un discours nous touche ? C’est là tout le trouble dans lequel nous jette ce spectacle, un mélange de réussite technique, d’entertainment efficace et de déception de ne pas avoir ressenti le charme d’un spectacle, d’une voix, d’un fragment de vie même imaginaire. La limite est ténue, bien évidemment subjective mais lorsque l’émotion ne s’opère pas, qu’un spectacle soit parfaitement manoeuvré ne change pas la note finale : une sensation de frustration qui appelle à un « pourquoi ? ».

HF



Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
On en parle ! Nouvelle-Aquitaine
À lire ! CULTURE > Nos derniers articles