L’Actualité du roman : Histoires de la nuit


La Machine à Lire
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
Temps de lecture 2 min

Publication PUBLIÉ LE 06/01/2021 PAR Bernard Daguerre

Clin d’œil et mise en abîme de son livre par le romancier lui-même, appel au lecteur de s’abandonner au charme (plutôt inquiétant il faut le dire) d’un récit-conte ? C’est tout cela à la fois sans doute, mais reprenons au commencement : voici un « thriller » rural, enchâssé dans un lieu-dit au nom prémonitoire « L’Écart des trois filles », perdu au fin-fonds d’une région « plate et pluvieuse ». Là-bas vit un paysan, Patrice, dont l’activité d’élevage peine à lui permettre de joindre les deux bouts, accélérant la mésestime de soi qu’il porte depuis toujours en bandoulière. L’amour perdu de sa femme l’attriste encore plus, contrebalancé- à peine- par celui qu’il a pour Ida, 9 ans. Christine, artiste- peintre vieillissante, est plus que leur voisine de hameau : elle distribue généreusement son affection à la petite fille et à son père, qu’elle connaît depuis son adolescence, souffrant de le voir se consumer pour cette Marion, salariée à la petite ville voisine, et qu’elle ne porte pas trop dans son cœur. Et voilà qu’au soir du quarantième anniversaire de Marion, cérémonie secrètement préparée par le père, la fille et Christine, trois nouveaux-venus en perturbent gravement l’ordonnancement. Étranges cavaliers d’une apocalypse à venir, ils installent une terreur proprement cinématographique – on pense à des films comme Les chiens de paille de Peckinpah et de Funny Games U.S. de Haneke. On se gardera bien d’en dire d’avantage sur l’intrigue, laissant à chacun le plaisir de dévorer les 637 pages qui distillent un déroulement implacable, impeccable et haletant.

On est immergé dans le contenu, dès les premières lignes, c’est une évidence : le roman débute par un monologue de Christine venue à la gendarmerie locale déposer plainte suite à une lettre de menace ; attendant son tour, elle regarde, avec attachement, par la vitre du bâtiment, Patrice qui l’a amenée et qui l’attend à l’extérieur. Force de la forme, on pénètre dans le livre de Mauvignier comme s’il avait commencé avant même qu’on y accède, comme on prendrait un train déjà en marche, comme on rentrerait sans effraction dans un univers déjà tout constitué de pied en cap, une suite de quelque chose qui fut et qui (presque) continuera à être et à vivre une fois le livre refermé, voilà le message subliminal qu’on se plaît à y trouver.

Comment rendre l’action d’un roman noir ? D’ordinaire par l’enchaînement de l’intrigue, la pulsion du destin de personnages rythmée sur le battement de cœur de la fatalité. Trouve-t-on tout cela chez Mauvignier ? Oui. Et par l’intermédiaire, la médiation de son écriture seule. Ce qui revient à dire aussi que l’auteur aurait pu mettre en scène un autre type d’histoire, le résultat eût été aussi fort pour le lecteur. Au cas présent, dans ce roman, tout passe par un agencement si précis et délicat des mots que leur existence même précède, tout en l’annonçant, l’action à venir. Celle qu’on aperçoit, à peine effleurée, à la chute d’un paragraphe, celle qu’on devine dans l’utilisation des verbes conjuguant dans une même phrase, tant de temps (présent, passé, futur) et plusieurs modes (indicatif et conditionnel) ; et toujours avec une émotivité qui court sous les vagues du récit. Laissons Laurent Mauvignier conclure, dans un entretien récent :« La littérature est possible, au présent, toujours et n’importe où. »

Partagez l'article !
Copier le lien Partager sur FaceBook Partager sur Twitter Partager sur Linkedin Imprimer
On en parle ! Nouvelle-Aquitaine
À lire ! CULTURE > Nos derniers articles