Vilar enquête sur la disparition de la mère de Victor, et voilà que son histoire ancienne va croiser la piste de la disparue. Dire que le livre d’Hervé le Corre est un roman noir est nécessaire, mais pas suffisant. Au delà d’une intrigue policière qui renverse les rôles, bascule dans un cauchemar permanent, celui d’un enquêteur devenu, tout comme le garçon, gibier d’un assassin omniprésent, il y a cette atmosphère d’angoisse pesante, permanente, subtilement rendue par le romancier. Il n’est pas jusqu’au style qui y contribue, avec ces descriptions souvent minutieuses, ces envolées de mots dont le sombre lyrisme est comme une chape qui participe à l’enfermement tragique de nos héros : les mots ne se contentent pas de rendre compte, on dirait qu’ils précédent les mouvements même de Victor et de Vilar comme pour étouffer toute velléité de mouvement, toute tentative de sortir, de s’en sortir.
Du roman noir contemporain, Hervé Le Corre a gardé toute la dimension qui fait de la misère sociale l’étoffe des faits divers policiers. Avec une attention particulière pour les enfances meurtries ; si Victor n’est pas la seule figure de petit malheureux de l’histoire, on n’oubliera pas de sitôt la tendresse du romancier pour son minot de héros. Qu’il s’agisse de son combat permanent pour garder l’urne toujours avec lui, de son monde de lectures adolescentes joliment évoquées ( « il écouta la tristesse mutique du capitaine Nemo chantée par les plaintes de l’orgue », on aura là reconnu un passage de 20 000 lieues sous les mers) et, enfin, de son odyssée fluviale sur la Gironde. Elle se hisse ici au niveau du mythe si bien illustré aux Amériques, mélange de Tom Sawyer remontant le Mississipi et du petit garçon fuyant avec sa soeur le prédicateur fou du film La nuit du chasseur. De manière générale, pour ces personnages que tout espoir a abandonné, l’élément aquatique, qu’il s’agisse de l’Océan ou de l’immensité jaune et limoneuse de l’estuaire exerce sur eux une fascination morbide. Faute d’espérer et de regarder vers le ciel, ils rêvent de se perdre dans l’eau et cela revient comme un mouvement lancinant. On conclura sur la figure de Vilar, qui promène son malheur de nuits cruelles en « aubes navrantes », solitaire en dépit de l’attirance, avérée mais inaccessible, pour la douceur féminine.
Ténèbres, prenez-moi la main.
Hervé Le Corre : Les cœurs déchiquetés – Rivages-Noir – 9782743623838 – 9.65 €