L’Actualité du Roman Noir : La transparence du temps


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Temps de lecture 2 min

Publication PUBLIÉ LE 12/10/2020 PAR Bernard Daguerre

Conde, lui, ne change pas : s’il a démissionné de la police, il y a 25 ans déjà, c’est parce qu’il n’acceptait pas les compromissions exigées avec les crimes et délits de la nomenklatura de son pays. Alors il subsiste, ayant longtemps exercé le métier de brocanteur, vidant les dernières belles bibliothèques privées de l’île, en amoureux de la littérature qui a toujours le désir persistant de se lancer dans l’écriture. Vivre à Cuba n’est pas simple, il a eu souvent l’estomac dans les talons, comme nombre de ses compatriotes et tire toujours le diable par la queue. Que dire encore ? Il est fermement arrimé à Tamara, un amour de jeunesse, qu’il a retrouvée. Et il y a « la fraternité incombustible » de ses amitiés même si le cercle tend à se restreindre, au fur et à mesure des départs vers le continent américain. Il va avoir 60 ans prochainement et ressent les effets de l’âge sur sa forme physique.

Le voilà sollicité par Roberto, un ancien camarade de lycée, pour rechercher une sculpture représentant une mystérieuse Vierge noire. Roberto, devenu un trafiquant d’art solidement établi dans le marché de l’art cubain, s’est fait dérober ce trésor ancien, la statue datant du Moyen Age. L’enquête nous fait voyager dans les strates extrêmes de la société cubaine contemporaine : chez ceux qu’on appelle les « Palestiniens », émigrés venant de l’Oriente, la province est du pays, dans les « implantations » mot qui désigne les bidonvilles de La Havane, alternant avec les brunchs somptueux chez les marchands d’art et leurs belles demeures. Depuis toujours, Conde a été un observateur attentif et malheureux des évolutions de son pays, jamais cynique et désabusé, mais manifestant toujours une empathie auprès des (encore) plus démunis que lui de ses compatriotes. À tel point qu’il peut frôler la dépression, qu’il combat par l’autodérision, mais il reste toujours d’une haute moralité professionnelle, à l’instar du détective Philip Marlowe de Chandler, son modèle.

Comme dans ses tous derniers romans, à la manière d’un Alexandre Dumas, Leonardo Padura explore à nouveau un passé tumultueux pour raconter les origines européennes de cette Vierge Noire : la fresque débute avec les ravages de la guerre civile en Espagne avant de remonter jusqu’aux temps également tourmentés des croisades. Et tout se passe ensuite comme si l’auteur arrivait enfin à transmettre à son personnage, à travers ce que Conde nomme « la patine transparente du temps » la voie vers la réalisation de l’écriture : il y a ainsi une transition entre l’état de réalité (les aventures du Conde) et son passage au récit de fiction qu’il commence à composer – à la fin du roman- comme s’il entrait enfin dans un autre univers, presque contemplatif désormais. On attend avec impatience les nouvelles enquêtes du Cubain pour apprécier l’évolution du désormais écrivain enquêteur.

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