La ville oppresse et enserre ici tout particulièrement les personnages : ainsi Richard, le truand rescapé de la nasse policière qui a définitivement happé ses deux complices dans un bar de la place de La Victoire, s’est enfui par les toits ; présentement « il marche doucement sur le dos de la ville » comme s’il s’agissait d’un grand dragon à ne pas réveiller. Plus loin, cette description de la Cité Lumineuse, refuge de Tayeb et Olive, deux modernes robinson des banlieues façon Jules Verne du XXè siècle finissant : « 50 m de haut. Vue de profil, d’où ils arrivent, c’est une grande bitte carrée. Deux cents de long ». C’est dire le monstre qui enferme tous les personnages du récit dans les replis de son grand corps, d’où il se refuse à les recracher. La ville « toute cette vieille pierre orgueilleuse dressée contre eux », comme la décrit justement Tayeb, c’est Bordeaux bien sûr mais ce pourrait être n’importe quelle autre conurbation de notre hexagone national.
Ces héros pitoyables pour beaucoup, émouvants pour les plus jeunes, tournent tous en rond, dans leur tête et dans leur existence : Richard est un « mélange de pulsions élémentaires et de confusion mentale », machine prête à toujours s’emballer dangereusement ; René, le père d’Olive est un receleur alcoolique tout aussi « grave », Olive un doux Popeye qui colle sur son propre corps un stéthoscope volé, à l’écoute de bruits qu’il ne sait, tout comme la réalité qui l’entoure, interpréter. Marion elle-même, bloc de cynisme et de révolte égaré chez les flics, subit à son tour la dure loi qui impose, aux autres comparses de l’histoire, la longue cohorte d’existences malmenées. Hervé Le Corre signait là un roman où la qualité de l’écriture s’harmonisait avec le rythme d’un récit joliment agencé. Lisez – ou relisez- la ronde effarée de frères truands, d’une soeur flic et de quelques jeunes primitifs de la révolte.