C’est qu’il faut connaître un peu sa géographie- et son histoire- pour suivre Frank dans ses pérégrinations : le changement est brutal pour le lecteur, transporté en quelques lignes de la ville à la campagne, et quelle campagne ! Forêts majestueuses et ténébreuses de ce (petit) massif montagneux succèdent à la plaine nivernaise « composée de près dont l’herbe [est] broutée jusqu ‘à la racine ». Surtout, Frank mentionne la présence fantomatique des Éduens, une tribu gauloise qui résista à César. Il les évoque, en termes lyriques et chaleureux à chaque pas qu’il fait dans les endroits les plus ensauvagés de sa région. La vérité historique me doit de préciser que ce peuple-là fut d’abord allié des Romains avant de se ranger sous la bannière de Vercingétorix, mais qu’importe ! Ils sont presque aussi présents dans le roman que le sont les esprits des combattants de la guerre de la guerre de Sécession dans le beau roman de James L. Burke « Dans la brume électrique avec les morts confédérés ». C’est dire la puissance d’évocation réussie du roman.
Et l’intrigue policière dans tout ça ? Elle prend la forme d’un roman de procédure policière, déployant patientes filatures, recoupements et analyse de terrain. Elle montre l’empathie de notre flic avec l’ensemble du genre humain; éducateur sportif au départ de sa vie professionnelle, il a gardé quelques talents pour épater un ado un peu marginal qui l’aide dans son enquête ; mais aussi pour nouer des liens avec un sdf, une jeune « goth » accroc aux substances, un maître-nageur débonnaire…Frank passe de personnage en personnage, d’observation de lieu d’enquête au décor de la scène de crime, avec la même ardente ténacité. C’est enlevé, c’est bien.
Laurent Rivière: Morvan de chien, éditions de l’escargot savant – 195 pages – 2014 – 15 €