Ainsi Marin Ledun resserre les liens si forts et si consubstantiels entre le polar et le cinéma: sa nouvelle » No more Natalie » donne une version autant tragique que nostalgique de la noyade, jamais élucidée en dépit d’une nouvelle et récente enquête, de l’actrice Natalie Wood, un soir de novembre 1981, dans la baie de Los Angeles.
Ah, Natalie Wood! On se souvient d’elle dévalant dans un angle de l’écran, cachée à la vue de son oncle, une dune de sable dans la Prisonnière du désert (1956), ou bien regardant une dernière fois Warren Beatty, son amour d’adolescence, à jamais perdu, ultime scène de la Fièvre dans le sang(1961).
Sa disparition est ici relatée par son mari, l’acteur de seconde zone Robert Wagner (on se rappelle peut-être, ou pas, ses yeux bleus un peu globuleux et de son piteux jeu de scène) lors d’une partie fine nocturne où figuraient également le déjà célèbre Christopher Walken et une jeune femme de la meilleure société, Marilyn, en fait plutôt une escort girl. Sans compter le garde du corps de Robert, le fidèle Davern. L’action se passe sur son yacht Le Splendour ; Wagner y a embarqué 10 kg de cocaïne et 250 000$ , fruit de trafics illicites, manifestement en complicité avec Christopher.
Marin Ledun imagine ce que fut cette nuit-là, le couple battant de l’aile, Robert sexuellement impuissant et vraiment sans beaucoup de points positifs; pas plus que Christopher « Ronnie » Walken présenté comme l’amant de Natalie ( ils tournaient ensemble à l’époque). Comme à son habitude, Ledun nous propose une action assez mouvementée , puisque successivement les deux femmes tentent de s’emparer de la drogue et de l’argent, avec échanges de coups et multiples rebondissements: » la partie de baise ratée la plus chère de toute la décadence hollywoodienne » dit crument Wagner. Et le personnage de Natalie est le plus positif, gardant son statut d’émouvante icône, jusqu’au plus profond de l’océan.
On retiendra aussi , comme pour illustrer l’ambiguïté fondamentale des héros de Ledun, humains et salopards, cette phrase de Wagner à la fin de son récit : « Mon âme était aussi noire que la mort et chacune de mes larmes était sincère ».
Sébastien Gendron a, quant à lui, imaginé un personnage de truand tout petit, aussi sûr de lui que dépassé par les évènements qui lui dégringolent sur la tête.
Ça démarre à Bordeaux, quai de la Paludade, au sortir de l’une de ces sympathiques boîtes de nuit, ça continue rue de la Faïencerie, avant un petit flash back place Pey Berland. C’est aussi la force d’évocation du polar, de voir comment ces lieux bien communs peuvent être habités et revus par le crime.
Le thème est celui de deux petites frappes locales, dont Tom, le héros de la nouvelle, sans envergure criminelle (« il cherche encore sa voie…tente de trouver des champs d’opération novateurs pour passer du stade de voyou à celui de bandit respectable ») embarquées dans une affaire où s’exprime la toute puissance maléfique d’un nommé Zeus, une force mauvaise qui va, enchaînant les deux pauvres garçons à sa noire enquête.
Sébastien Gendron réussit un petit bijou de récit au ton décalé, avec quelques tonalités gore, frôlant la parodie et l’auto-dérision.
Dominique Manotti aime à faire bouillonner et frémir, sous la linéarité impeccable et ramassée de ses histoires, le chaudron souvent infernal de l’actualité la plus contemporaine.
Condamné à la prison à vie ( en fait à 150 ans), Bernard Madoff, de sa geôle, soliloque sur son présent bien imparfait, récapitule son passé merveilleux et rêve à un futur en gloire…
Voici l’histoire racontée à la première personne de son irrésistible ascension dans le monde trouble de la grande finance américaine: Dominique Manotti s’est livré à un récapitulatif, bien dans sa manière, précis et documenté, qui est aussi une petite somme morale.
Ainsi de cette apologie de la voracité: « la voracité est une vertu. La voracité de vie, d’argent, d’amour… est l’essence de l’esprit de l’évolution. C’est elle qui met le monde en mouvement. Elle est le moteur de la marche en avant de l’humanité.. ».
De ce petit pas pour l’homme Madoff, un grand pas en arrière pour l’humanité…
Marin Ledun: no more Nathalie éditions in8, collection Polaroïd 85 pages, février 2013 , 12 €.
Sébastien Gendron: Zeus, éditions Intervalles, collection one shot, 46 pages, avril 2013, 5 €.
Dominique Manotti: le rêve de Madoff, éditions Allia, 47 pages, juin 2013, 3€.