« Les médias et la banlieue » de Julie Sedel, aux éditions INA/Bord de l’Eau.


Suite à une longue enquête sur le terrain et dans les rédactions, Julie Sedel explique comment et pourquoi les journalistes construisent une image négative de la banlieue. Tout un ensemble de facteurs économiques et politiques les poussent à privilég

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Temps de lecture 3 min

Publication PUBLIÉ LE 05/05/2009 PAR Vincent Goulet

« Les médias et la banlieue » évite deux écueils : accuser les journalistes de tous les torts, présenter une image misérabiliste des quartiers HLM. En enquêtant dans les rédactions du Monde, du Parisien, de France 2 et France 3, mais aussi en allant rencontrer habitants et élus de Gennevilliers et Pantin, deux villes populaires de la région parisienne, Julie Sedel montre quelles sont les conditions de travail concrètes des journalistes. Premier constat : le caractère « fabriqué » de la vision journalistique des banlieues s’appuie sur des situations bien réelles. Malgré quelques « bidonnages » retentissants (fausses barbes, fausses kalachnikov), les journalistes n’inventent pas les trafics de drogue, la délinquance, le mauvais état des bâtiments et les problèmes sociaux des quartiers. Mais, deuxième constat, ce sont toujours ces informations négatives qui sont mises en avant, au détriment des autres aspects, plus ordinaires ou positifs, de la vie en banlieue. Pourquoi les médias produisent-ils une image déformante des quartiers populaires ?

« La banlieue, c’est quelque chose de lointain »
La phrase est celle d’un ancien journaliste du journal Le Monde. Considérée comme trop pauvre en actualité d’envergure (sauf en cas d’émeute), la banlieue n’est pas un sujet prestigieux pour les médias nationaux. Les quartiers HLM sont difficiles d’accès, éloignés géographiquement et surtout socialement des rédactions parisiennes. Par souci d’économie, les quotidiens et les rédactions télévisées n’ont pas, ou plus, de journalistes spécialisés sur ce thème. Difficile alors de nouer des contacts à long terme, d’être proche du terrain pour faire des enquêtes approfondies. Quand un faits divers survient, on a tendance à y envoyer de jeunes journalistes peu expérimentés, un peu comme l’Education nationale envoie les jeunes professeurs dans les ZEP. Les anciens ne veulent pas y aller : « couvrir la banlieue » à quarante ans passé, est considéré comme un échec pour un journaliste. De plus, les conditions de travail sont rudes. Une journaliste raconte qu’au bout de deux ans, elle en a eu « marre d’aller dans les banlieues » avec son « climat global de violence quotidienne, de stress. Les gens sont pauvres, sans travail, c’est dur ». Bref, très peu de moyens sont mis en oeuvre pour couvrir ces endroits où vivent pourtant plus de 5 millions de personnes.

« Plus un domaine est médiatisé, moins les journalistes sont les producteurs réels de l’information »
Le livre explique clairement ce paradoxe qui est commun à toute production collective, comme l’est le journalisme. L’actualité est un enjeu de lutte entre les différents groupes et acteurs (syndicats, gouvernement, associations, élus locaux, chefs d’entreprises, etc.) qui cherchent à imposer leur vision du monde et de ses problèmes. En ce qui concerne les banlieues, la lutte est particulièrement rude.

L’auteure prend plusieurs exemples, comme celui de la visite de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, à la cité des 4000 de La Courneuve en juin 2005. L’histoire débute par un tragique fait divers : un garçon de 11 ans est tué dans une fusillade entre bandes. Une fois sur les lieux, Nicolas Sarkozy déclare vouloir « nettoyer le quartier » au « kärcher ». Toute l’attention se focalise alors sur le ministre de l’Intérieur, qui peut ainsi développer son argumentation sécuritaire, tandis que les vrais problèmes du quartier passent en second plan. Le livre de Julei Sedel montre ainsi« la faible autonomie du champ journalistique », le peu de marge de manoeuvre des journalistes, qui sont très fortement « invités » à se conformer à l’agenda politique et au vocabulaire dominant. Que peut alors une simple mairie ou une association de quartier quand un reportage présente leur cité de manière extrêmemnt négative ?

Une lutte symbolique inégale
Pas grand chose en fait. Face au rouleau compresseur médiatique, certaines mairies embauchent des professionnels de la com’ pour tenter d’« encadrer » les habitants et les journalistes en cas de reportage sur le quartier. D’autres essayent de faire émerger une parole citoyenne, à partir d’ateliers vidéo avec les jeunes. Les opérations de rénovations urbaines peuvent également être l’occasion de transformer l’image des grands ensembles, en mettant en avant les constructions nouvelles, la venue d’entreprises, la « mixicité sociale ».Objectivement mises en concurrence les unes contre les autres pour attirer les subventions publiques et les entreprises, les mairies cherchent à contrôler étroitement leur image médiatique. Mais réduit à la « tyrannie du positif », ce type de discours perd de sa force et de sa pertinence, tandis que la participation des habitants « ordinaires » à la construction de leur propre image médiatique pose toujours problème.

Le livre se conclut sur le constat d’une certaine dépolitisation des banlieues, mais aussi d’une faible culture spécifique à ces territoires. Dépossédés de leur propre image, les habitants des cités sont réduits à un « problème social » mis en scène par les journalistes, ce qui contribue à leur exclusion symbolique du reste de la société française.

Vincent Goulet

Les médias & la banlieue de Julie Sedel, Collection « Penser les médias » dirigée par Antoine Spire, INA/BDL, avril 2009. 230 pages, 18 €.

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