Entre les lignes: Rencontre avec Laetitia Bibié, auteure d’une fable moderne sur la condition féminine


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Temps de lecture 8 min

Publication PUBLIÉ LE 07/08/2020 PAR Lucile Bonnin

C’est un monde parallèle que l’on découvre à travers les pages de « L’envasement ». La littérature pour laquelle a opté Laetitia Bibié n’est pas celle qui enjolive à n’importe quel prix le réel mais plutôt celle qui solde les comptes de nos illusions. L’action se passe à Bordeaux, avec des gens normaux, du genre de ceux qui vont boire une bière place Camille Jullian. Pourtant, quelque chose intrigue. Qu’est ce que l’envasement ? C’est une tradition ancienne (mais pas tant que ça) qui consistait à enfermer les femmes enceintes dans un vase pour les protéger pendant leurs grossesses. Loin d’être utopique, l’idée est intéressante. On ouvre alors le livre, et nous faisons connaissance avec les personnages. D’abord, il y a Sonia, qui fait ce choix de l’envasement par ce qu’elle croit être « des convictions », et se retrouve pendant six mois enfermée dans un vase rempli de riz brun. Cécile, sa meilleure amie au caractère bien trempé, désapprouve totalement cette tradition farfelue. Agnès, la belle-mère de Sonia, observe en tant que future grand-mère la grossesse de sa belle-fille, piégée dans ce vase de verre installé en plein milieu de son salon. Grâce à son écriture incisive et rigoureuse, Laetitia Bibié nous ouvre les portes d’un monde où l’invisibilité du patriarcat est matérialisée par ce vase. Enigmatique, drôle et parfois inquiétant, ce roman pousse à la rêverie et parfois même à la réflexion.


Laetitia Bibié


@qui ! : Vous êtes l’auteure du roman « L’envasement » publié chez La P’tite Hélène Editions. Quel a été votre parcours professionnel ?

Laetitia Bibié : J’ai fait une thèse en sciences du langage où j’ai pu travailler sur les réseaux sociaux numériques. Actuellement je travaille pour un site de recherche d’emplois. C’est assez différent de mes études, mais trouver un poste à la fac est assez compliqué en ce moment. J’ai fait toutes mes études à Bordeaux notamment un master d’administration des entreprises en alternance puis je suis partie vivre à Lyon. Pendant ce temps là, j’ai aussi eu un enfant et c’est un peu sur mon expérience de la maternité pendant la rédaction de ma thèse que vient aussi cette idée d’envasement. 

@qui ! : Comment en êtes-vous arrivé à écrire un livre ?

L.B : C’était un fantasme très lointain et inaccessible pour moi. Je sais écrire des articles ou des thèses mais pour moi cela n’a rien à voir. Le livre, et en particulier le roman, était pour moi quelque chose de « trop bien ». Puis un jour, j’ai fait un rêve. J’avais cette image d’une femme enceinte dans un vase. J’en ai parlé à mon compagnon qui m’a répondu que le symbole de ce rêve était trop fort pour ne pas en faire quelque chose. Comme je fais du théâtre d’improvisation, j’ai tout de suite pensé à en faire une pièce. En commençant à écrire la pièce, je me suis rendue compte que j’avais beaucoup de choses à dire à travers cette image. Finalement, je me suis mise à écrire un roman sans faire exprès.

@qui ! : Comment s’est passée la rédaction de « L’envasement » ?

L.B : L’écriture a été très rapide ! L’idée m’est venue en juillet 2018 et six mois plus tard, j’ai commencé à écrire. Trois mois après, le livre était fini. Je l’ai donc envoyé à de nombreuses maisons d’édition. J’ai eu pas mal de réponses encourageantes, mais négatives. Les retours étaient agréables donc j’ai été surprise. Heureusement, j’ai aussi reçu deux réponses positives et j’ai choisi de travailler avec La P’tite Hélène Éditions. J’ai beaucoup aimé le catalogue de cette maison d’édition car je voyais beaucoup de livres que j’avais envie de lire. Il y a eu donc une cinquantaine de précommandes de mon livre « L’envasement » et aujourd’hui le livre est tiré à l’unité.

@qui ! : Comment avez-vous trouvé ce style d’écriture originale qui varie en fonction des chapitres ?

L.B : Etant issue d’une formation de linguiste, la façon de parler et de penser des personnages m’a permis de les construire par l’écriture. Mon inspiration vient aussi de ce que moi j’aime livre et notamment des livres avec un chapitre par personnage car je trouve cela agréable et cela donne envie de continuer. C’était aussi très agréable à écrire car cela permettait de faire des pauses dans l’écriture entre les différents personnages car avec leurs personnalités, ils pouvaient parfois m’énerver… J’ai donc développé des façons d’écrire pour les différents personnages, qui correspondent au point de vue que je souhaitais amener.

@qui ! : Comment avez-vous fait pour, à partir d’un rêve, développer cette idée d’envasement et la faire vivre dans un roman comme si la pratique était réelle ?

L.B : Dans mon rêve, ce n’était pas très détaillé. Je voyais simplement une maison sans façade, avec un grand vase dans le salon. Pour ma part, j’ai un seul vase chez moi qui a une forme un peu atypique parce qu’il est carré. Cela me fait penser à une cage carrée mais sans couvercle. Ce vase est dans mon rêve mais contient une femme enceinte, avec du riz jusqu’à la taille. Avec cette simple image, j’ai développé cette idée en imaginant ce que cela pourrait donner sous forme de théâtre improvisé. Le fait qu’il y ait quelqu’un qui vienne installer ce vase pour la grossesse de Sonia, c’est vraiment une inspiration théâtrale. Il vient de l’extérieur et apporte une sorte d’élément absurde face à la réalité décrite dans le livre.

@qui ! : Il y a plusieurs thèmes qui sont soulevés dans « L’Envasement ». Les trois femmes, qui sont les personnages principaux, abordent notamment la problématique de la légitimité qu’une femme peut ressentir ou non dans l’expérience de la maternité. Pourquoi avoir voulu souligner cela ?

L.B : Je pense que je voulais aborder de nombreux thèmes différents dans ce roman. La question de l’envasement s’applique dans mon livre à la maternité, mais je pense qu’elle pourrait s’appliquer à d’autres choses. Qu’est ce que la société fait aux individus ? Dans quelle mesure sommes-nous libres de nos choix dans une société qui nous conditionne ? Je l’ai ressenti comme ça dans ma vie personnelle. La maternité était quelque chose que je désirais réellement. Une fois mère, je me suis demandée si cette envie n’était pas aussi une réponse à une injonction sociale plus forte que moi.

@qui ! : Ces questions de l’individualité et de l’assujettissement à des injonctions sociales sont abordées par le prisme de la femme dans votre livre. Est-ce possible de dire que votre livre est féministe ?

L.B : Je pense qu’il est difficile d’être une femme et de ne pas être féministe. C’est un livre féministe mais surtout féminin, car les hommes n’ont pas la parole dans ce livre. J’avais envie de parler de femmes car j’en suis une mais ce thème ne concerne pas uniquement les femmes. Le patriarcat en impose autant aux hommes qu’aux femmes. C’est un impensé, quelque chose qu’on ne questionne pas et auquel on ne réfléchit pas toujours.

@qui ! : Il y a t-il un message caché derrière votre fiction ou faut-il prendre l’histoire telle qu’elle est sans forcément aller plus loin ?

L.B : Le vase est la métaphore de l’enfermement des femmes selon moi. En revanche, je voulais absolument que ce livre puisse être un outil de réflexion… ou pas ! Je pense que cela peut être un bon bouquin de plage comme cela peut nous pousser à réfléchir à notre propre condition. Le vase est un symbole. Mais le lecteur a la liberté d’interpréter cela comme il le souhaite.

@qui ! : Qu’est ce qui vous a le plus plu dans l’exercice d’écriture de « L’envasement » ?

L.B : Je me suis rendue compte en écrivant que parfois, au fil de l’écriture, certaines choses commerçaient à me dépasser, ce qui était très plaisant. Je suis une « thésarde » donc j’ai forcément fait un plan très organisé, très scolaire… Mais au bout d’un moment, lors de l’écriture, les personnages ont suivi leurs propres logiques. Je n’avais plus qu’à écrire leurs histoires et j’ai trouvé cela assez magique. L’inspiration a pris le dessus. Même moi, parfois, je me révoltais dans ma tête contre les personnages… Sonia, la jeune femme enceinte envasée, m’a donné du fil à retordre… Elle m’énervait tout simplement, même si je m’identifie beaucoup à elle. Je me suis inspirée pour Cécile d’une de mes amies les plus proches et de ma sœur qui s’appelle Anne-Cécile d’ailleurs. C’est plus dans la façon de parler et dans le verbe que je me suis inspirée que dans le caractère et les idées. C’est un personnage libre, avec un ton incisif et drôle.

@qui ! : L’histoire se passe à Bordeaux. C’était important pour vous de faire vivre votre fiction dans votre ville ?

L.B : C’était important pour moi de placer la fiction dans un endroit que je connais autant émotionnellement que physiquement, car cela relève d’une vérité. Je parle de Bordeaux car je connais bien et cela me permet de mieux situer l’action. Je trouvais ça intéressant de mettre un peu de réalité dans le livre.

@qui ! : Quels ont été les retours que vous avez pu avoir concernant votre histoire ?

L.B : J’ai eu des avis très divers, de personnes différentes, notamment dans leurs habitudes de lecture. Certaines personnes ont choisi de suivre uniquement la partie romancée de l’histoire, sans véritablement entrer dans une réflexion, et qui ont trouvé cela léger et sympathique. D’autres ont trouvé l’histoire angoissante et anxiogène. Ils ont aimé, mais le message derrière a été reçu de manière violente. Certains hommes se sont sentis rejetés par cette histoire qui ne les concerne pas directement mais c’était intéressant d’avoir ce point de vue qui n’était pas forcément conscient pour moi au départ…

@qui ! : Cette expérience vous a t-elle donné l’envie d’aller plus loin dans la création littéraire ? 

L.B : « L’envasement » m’a donné beaucoup d’idées. J’ai pu aussi me rendre compte qu’il y avait des gens autour de moi avec des envies de collaboration. J’ai trois projets qui sont en cours, à long terme. Il y a d’abord une collaboration qui va se faire sur une pièce de théâtre abordant le thème de l’amitié au féminin. L’autre collaboration sera sur un roman qui va parler d’homosexualité et j’ai un projet personnel qui consisterait en l’écriture d’un roman historique, toujours sur le thème des femmes.

–       Laetitia Bibié, L’envasement, La P’tite Hélène Editions, 174p, 20euros.


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