Un lever de rideau délicat pour les théâtres privés en Nouvelle-Aquitaine


BD Comédie
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Temps de lecture 6 min

Publication PUBLIÉ LE 08/06/2020 PAR Lucile Bonnin

L’Afdas (Assurance formation des activités du spectacle) vient de publier une enquête réalisée auprès de 4000 Français, pour mieux comprendre comment les publics de la culture ont vécu la crise et se projettent dans l’avenir. 91% des Français interrogés soulignent l’importance du rôle des professionnels des divertissements et des loisirs, 90% pour ceux de la culture. Après une longue période de confinement, beaucoup souhaitent retrouver une vie culturelle active. 52% des sondés veulent retrouver les spectacles vivants et notamment remettre un pied dans un lieu de création incontournable : le petit (ou grand) théâtre privé près de chez soi…

Les théâtres privés se sont construits sur l’engagement de fonds privés. Les acteurs de ce secteur particulièrement important en Nouvelle-Aquitaine, et plus largement en France, ne reçoivent pas d’aides directes de l’Etat ou d’autres collectivités publiques, et doivent équilibrer leur activité en fonction des recettes de leurs spectacles. La crise du Covid-19 et les mesures de confinement qui ont été adoptées fin mars, ont donc particulièrement touché les théâtres privés. Frappés de plein fouet par la crise, ces lieux indispensables à la société font face actuellement à une épreuve complexe au niveau de leurs organisations internes.

Un sentiment d’abandon partagé

Julien Boissier-Descombes, directeur général de la BD Comédie, à Gond-Pontouvre, près d’Angoulême, regrette profondément la façon dont la culture a été traitée pendant cette crise sanitaire. « Les théâtres sont un moteur social mais lorsqu’il y a une situation comme celle-ci, nous ne sommes plus rien », explique t-il. Un fonds d’urgence de 22 millions d’euros a été annoncé par Franck Riester, dont 5 millions pour le spectacle vivant, quelques jours après l’annonce du confinement. Pour beaucoup, il est insuffisant. Frédéric Bouchet, directeur du théâtre des Salinières à Bordeaux, considère que « ce montant est énorme mais insuffisant car il a été pensé au tout début de la fermeture des théâtres, là où on ne savait rien encore sur les conséquences à venir ». Si la déception de beaucoup se tourne vers le gouvernement, Frédéric Bouchet dit avoir surtout eu le sentiment d’être abandonné au niveau local : « il faut considérer les entreprises culturelles comme de vrais acteurs économiques. Nous faisons vivre également d’autres activités économiques, et partout, car le théâtre des Salinières représente aujourd’hui 120 dates de tournées en Gironde », indique t-il.

Theatre des Salinières

Une réouverture pas si évidente

Le feu vert d’ouverture donné aux théâtres par le gouvernement lors de l’annonce du 2 juin dernier ne suffit pas. Annuler au fur et à mesure les spectacles, jusqu’à annuler la programmation entière : c’est ce qu’a dû faire Thaïs Testemale, responsable de la communication du café théâtre l’Azile, à La Rochelle. Avec son statut particulier d’association, l’Azile est en danger économiquement et appréhende la réouverture. « Nous avons prévu de reprendre à partir de septembre, mais il reste un énorme point d’interrogation quant aux mesures de distanciation notamment, précise l’employée du café théâtre rochelais. Si on nous demande d’appliquer des règles strictes avec beaucoup d’espace entre les tables, les jauges vont être très petites, et cela ne va pas nous permettre d’être dans un équilibre financier. » Julien Boissier-Descombes envisage, pour sa part, une réouverture au mois de juillet. Après l’obstacle de la fermeture complète, ces lieux doivent surmonter le défi des mesures sanitaires, et ce n’est pas toujours facile. « Je perds moins d’argent à rester fermé que de faire une jauge à 70 places sur 160, confie le directeur de la BD Comédie. Les gens ne peuvent pas être en position debout, donc il faut sacrifier la partie restauration, réaménager et faire des sens de circulation, acheter les produits pour désinfecter… Nous ne sommes pas des boutiques de vêtements : il y a du travail derrière, de l’humain, des répétitions, de la mise en place et cela ne se fait pas comme ça. »

L'Azile

La reconquête du public est aussi un défi que les théâtres privés devront relever. « Retrouver notre public va être compliqué car nos spectateurs ont une moyenne d’âge de plus de 50 ans et nous avons pu voir dès mars qu’il y avait une réelle peur notamment car notre salle est relativement petite, explique la communicante de l’Azile. Etant une association, nous travaillons avec 40 bénévoles qui font vivre la salle, et ce sont aussi des personnes relativement âgées donc cela crée une nouvelle inquiétude pour la reprise en septembre. » Du côté de la BD Comédie, l’appréhension est aussi d’ordre conceptuel. « Je ne sais pas si le public va accepter de venir rire au théâtre pendant une heure et demi avec un masque. Personnellement, c’est quelque chose qui me bloque », confie Julien Boissier-Descombes. Mais le public passionné reviendra forcément. Frédéric Bouchet est moins inquiet concernant le retour des spectateurs dans le théâtre des Salinières. « Nous avons un public fidèle sur la région donc la confiance reprendra sans problème », confie t-il. 

De la solidarité, encore et toujours

Les théâtres privés, pendant cette longue période de fermeture, ont été totalement inactifs économiquement. Pourtant, ils ont dû payer leurs loyers et gérer les différents remboursements des représentations annulées. Si la crise a fait beaucoup de mal à ces structures culturelles, elle a aussi démontré leur importance pour de nombreuses personnes. En signe de soutien, nombreux ont été ceux qui ont renoncé à faire rembourser leurs réservations ou même leurs cartes d’abonnement. « Les remboursements font aussi un manque à gagner, même si la plupart des spectateurs y ont renoncé pour nous soutenir », explique Thaïs Testemale. Autre cas de figure : deux fidèles abonnés ont décidé de mettre en ligne une cagnotte solidaire pour soutenir leur théâtre préféré : la BD Comédie. Plus de 1 300 euros ont été collectés jusqu’ici. Un geste qui donne envie au directeur de se battre pour son projet et qui l’encourage à se projeter dans l’avenir. « J’ai déjà travaillé sur la programmation de septembre à décembre, et je suis en cours d’écriture d’une comédie. Pour moins dépenser, je vais davantage jouer mes propres spectacles, faire venir des comédiens charentais et trouver des solutions pour faire vivre mon théâtre malgré la situation », déclare Julien Boissier-Descombes. Cet élan de solidarité ne semble pas être un cas isolé et a surpris les dirigeants de ces théâtres, comme Frédéric Boucher, qui a trouvé extraordinaire que le propriétaire des murs du théâtre des Salinières offre les loyers. « En plus de ce geste généreux, plus de 75% de nos abonnés ont fait don de leurs places pour soutenir le théâtre », observe le directeur bordelais.

BD Comédie

De cette crise est également née une entraide entre les théâtres, de manière officielle ou officieuse. L’Azile a par exemple pu se rapprocher de différentes structures à La Rochelle pour « faire voix commune » et réfléchir aux réactions à adopter face au défi actuel. « Nous nous sommes notamment rapproché du théâtre Toujours à l’Horizon », précise Thaïs Testemale. De nombreux théâtres privés se sont aussi fédérés au sein d’une toute nouvelle organisation : l’Association des Théâtres Privés en Région, qui compte aujourd’hui plus de 80 adhérents dont la BD Comédie. Le but est d’unir les employeurs du secteur privé des théâtres et café-théâtres, afin de défendre des intérêts communs et mutualiser certaines actions vis à vis des pouvoirs publics.
Frédéric Bouchet, directeur du théâtre des Salinières, appartient, lui, à une autre organisation : l’Association pour le Soutien du Théâtre privé (ASTP). La plupart des théâtres adhérents sont des structures privées parisiennes, mais compte aussi deux théâtres en région (Les Salinières à Bordeaux et Tête d’Or à Lyon). Cette association qui existe depuis 1964 tend à s’ouvrir de plus en plus aux théâtres privés régionaux. « Une rencontre est d’ailleurs prévue avec l’Association des Théâtres Privés en Région avant l’été pour discuter d’une éventuelle union », précise Frédéric Bouchet, membre actif de l’ASTP. Si l’inquiétude est grande, les réactions sont multiples pour sauver ces lieux où le spectacle vivant est à l’honneur. Beaucoup restent positifs et, comme le rappelle le directeur du théâtre des Salinières : « le théâtre a plus de 2 000 ans, donc même avec une épidémie il ne risque pas de disparaître. »

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