Artisanat et formation : Chambre des Métiers et région veulent garder la main


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Temps de lecture 7 min

Publication PUBLIÉ LE 24/01/2020 PAR Romain Béteille

147 428. C’est, officiellement, le nombre d’entreprises d’artisanat que compte la Nouvelle-Aquitaine début 2020. Ce chiffre, révélé ce vendredi par la Chambre des Métiers et de l’Artisanat régionale, est particulièrement parlant lorsqu’on lui accole une augmentation du nombre d’entreprises de 46,5% entre 2010 et 2019. En parcourant l’ensemble des données présentées, on découvre ainsi que le bâtiment (40%) est le principal secteur d’activité des entreprises régionales, suivi de près par les services (36%) et d’un peu plus loin par la production (14%) et l’alimentation.

Soutien préventif 

Même si, pour l’instant, de l’aveu des représentants, il n’existe pas de données générales sur les entreprises artisanales en difficulté (ouvrant une instruction devant les tribunaux de commerce), on peut tout de même dire qu’il y a eu en 2019 plus d’immatriculations d’entreprises (23 705) que de radiations (11 870), là encore majoritairement dans les services et le bâtiment. Territorialement, sans grande surprise, la Gironde domine largement (41 755 entreprises, 7721 immatriculations). La même dynamique est cependant observée en Charente-Maritime (16 518 entreprises dont 2381 créées en 2019), dans les Landes (11 250/2085), en Dordogne (13 112/2009) ou encore dans les Pyrénées-Atlantiques (17 015/2277). Les données soulignent également que la densité artisanale, à savoir le nombre d’entreprises pour 10 000 habitants, est en progression en Nouvelle-Aquitaine : 246 au 1er janvier 2020 contre 229 à la même date en 2018. « Un dépôt de bilan est rarement réversible. L’entrepreneur qui est en difficulté est souvent seul. Parfois, c’est sa famille ou ses proches qui nous appellent. En établissant des liens en amont avec les tribunaux de commerce, comme ça a été fait en ex-Limousin, on peut faire quelque chose, ça peut devenir réversible », précise le président de la CMA (Chambre des Métiers et de l’Artisanat) de Nouvelle-Aquitaine, Jean-Pierre Gros. 

Avec, toutefois, un bémol pour le représentant : 71% des entreprises artisanales créées sont des microentreprises. Un effet concret de la création du statut d’autoentrepreneur en 2009 ? « En tout cas, ça nous interpelle dans nos choix d’accompagnement. Nous ne sommes pas dans une posture anti autoentrepreneurs. L’évolution des comportements, des choix de vie et des processus de reconversion a porté la création d’entreprise comme quelque chose de nécessaire. L’objectif n’est plus de combattre les dérives mais d’accompagner les chefs d’entreprises au mieux ». Les chefs ne sont d’ailleurs pas seulement masculins : 25% des 153 985 dirigeants d’entreprises artisanales en Nouvelle-Aquitaine sont des femmes, majoritairement dans les services et la production, alors qu’on retrouve les hommes en plus grand nombre dans le bâtiment et les services. L’âge moyen de ces dirigeants est de 46 ans, soit quatre ans de plus que l’indicateur d’âge moyen de la population française (42 ans). Sur ce recensement, l’étude précise également que « l’indicateur de vieillissement des chefs d’entreprise (55 ans et plus) est plus préoccupant dans certains départements comme la Creuse ou la Corrèze ». « On lutte beaucoup pour que la transmission se fasse dans l’anticipation à quatre ou cinq ans. Les chefs d’entreprises tardent souvent trop à imaginer une reprise. Or, ce qu’on perd, ce sont des emplois non-délocalisables », a souligné ainsi Jean-Pierre Gros. La région, de son côté, prépare un site internet spécifiquement dédié à cette question, en partenariat avec les chambres consulaires. Il devrait être en ligne dans les prochains mois.

Parenthèse fiscale

Ces nouvelles données ont également été l’occasion pour la CMA régionale de signer une convention de partenariat avec l’URSSAF Nouvelle-Aquitaine. Objectifs : redorer le blason d’un organisme d’avantage pointé du doigt pour ses contrôles que pour sa politique de prévention et organiser la lutte contre le travail dissimulé. Selon des chiffres récemment révélés, ce dernier représentait en 2018 618 millions d’euros de redressement effectués en France, soit une augmentation de +19% par rapport à 2017. En ex-Aquitaine, la tendance était la même selon Henri Lourde-Rocheblave, directeur régional de l’organisme. Ainsi, le montant des redressements spécifiquement concernant le travail dissimulé s’établissait à 24,1 millions d’euros en 2018 contre 13,4 millions en 2017 et 15,4 millions en 2016. Les chiffres pour 2019 ne sont pas encore sortis, mais le responsable a indiqué un chiffre « plus proche de celui de 2016. On bascule des effectifs de contrôle classique d’entreprises déclarées vers la lutte contre le travail illégal, on a mesuré que les enjeux financiers étaient bien plus forts. On fait plus de prévention que de répression parce que les dossiers sont longs. Certains procès-verbaux peuvent mettre parfois deux ans à se monter. Notre lutte se fait notamment dans le bâtiment, un secteur compliqué avec beaucoup de sous-traitance en cascade ». Ironie du sort donc : le secteur qui compte le plus d’effectif est aussi un des principaux « contributeur » du redressement fiscal pour travail dissimulé… 

« Grand contournement »

Parenthèse fermée, cette conférence a aussi permis aux responsables régionaux de l’artisanat de se féliciter d’un chiffre notable : avec 10 935 apprentis (dont 35% dans les métiers de bouche, 26% dans les services et 25% dans la maintenance et l’entretien), la Nouvelle-Aquitaine est la région dans laquelle les CMA forment le plus grand nombre d’apprentis en France, majoritairement titulaires de CAP (71%) et de Brevets Professionnels (14%). Le contexte de la formation professionnelle est, on le sait, changeant au niveau national. Au mois de septembre 2018, le Parlement a en effet adopté la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». L’une des conséquences de cette loi, c’est la perte pour les régions de la compétence apprentissage, au profit des branches professionnelles, et les ressources financières qui vont avec, issues de la taxe sur l’apprentissage, remplacée par un financement au contrat. La crainte des chambres consulaires comme la CMA de Nouvelle-Aquitaine est claire : l’assèchement des centres de formation dans les territoires les plus ruraux au profit de l’ouverture de nouveaux centres, confiés aux branches professionnelles, sur des secteurs plus attractifs comme les métropoles. L’inquiétude des régions était principalement cristallisée sur le montant « compensatoire » de cette perte de compétence. Selon l’article 24 du projet de loi de finances 2020, ce montant sera de 138 millions d’euros pour financer les dépenses de fonctionnement des 102 CFA régionaux, soit à dix millions près le montant de l’investissement de fonctionnement régional (120 millions d’euros), sans compter le coût du renouvellement du matériel pédagogique. 

Pour la Chambre des Métiers et de l’Artisanat régionale, les craintes sont toujours là, mais la contre-attaque semble s’activer en coulisses. « La carte des formations a disparu, on n’a donc plus la puissance publique pour la réguler. On peut le voir comme un bien ou un mal. Sur des territoires comme la Gironde, je pense que ce n’est pas un sujet parce qu’il y a de la place pour tout le monde. Si L’Oréal décide d’ouvrir un centre de formation girondin, c’est une concurrence mais elle se fait sur un potentiel économique fort. Là où se poseront les difficultés pour les CAP qui sont souvent mineurs et peu mobiles (la majeure partie des apprentis formés), c’est que s’il y a une concurrence permettant d’opérer une déprise territoriale de ces outils de formation sur des territoires comme la Corrèze, les Deux-Sèvres ou la Creuse et qu’on accélère cette déprise en créant des pôles forts, on ne pourra ni remplir les sections ni équilibrer les comptes. La carte des formations permettait de mesurer le risque. Sur des grosses métropoles, on se rend déjà compte de la volonté des entreprises d’ouvrir des plateaux techniques. Les grandes entreprises conservent le bénéfice de la captation de la ressource pour faire de la formation. Elle n’est plus générique comme peuvent l’être les formations artisanales, elle est spécialisée aux besoins des entreprises qui ouvrent ces centres. Ça nous interpelle », commente ainsi Jean-Pierre Gros.

Si elles ont perdu la compétence apprentissage, les régions ont en revanche gagné la responsabilité de l’orientation. Ce que répond en substance Guy Moreau, conseiller régional délégué à la reprise et à la transmission des entreprises, c’est que la loi pourrait ne pas changer grand-chose à l’implication des régions dans la formation professionnelle des jeunes. « Il faudra bien qu’on continue à s’occuper des territoires de façon égale. On va faire ce travail en relation avec la Chambre des Métiers. On a pris la décision, malgré la modification de la loi, de continuer le travail comme on le faisait avant. Certes, on n’a plus la main sur la formation dans la réalité, mais on a quand même notre mot à dire sur l’équilibre de la répartition territoriale. L’orientation est aussi un moyen pour nous de nous fixer par rapport aux besoins de formations locales ». Un moyen, aussi, de contourner une perte de compétence ? « La région soutiendra l’investissement des CFA avec ce que permettra la nouvelle loi ».

Pour ce qui est de la CMA, son président a avoué une intention claire de « gérer notre propre carte des formations, même si on ne bougera pas notre carte pour les niveaux 5 (CAP) pour lesquels la proximité est indispensable, sauf à constater que des filières disparaissent où s’ouvrent. Sur les autres niveaux, on va opérer une gestion parce que les publics sont plus mobiles. Si on essaie d’ouvrir un BTS mécanique auto sur tous les départements, on se condamne nous-même. On veut rester présents sur les territoires, une ambition partagée avec le Conseil régional ». Sans en dire beaucoup plus sur un potentiel calendrier, Jean-Pierre Gros a ainsi évoqué des réflexions en cours pour l’ouverture de plateaux de formations techniques spécialisées en région. Il a notamment évoqué une formation brassicole, une deuxième ciblée sur la fin de vie ou encore une troisième sur l’esthétique, confirmant ainsi indirectement les propos de la présidente de la Chambre des Métiers et de l’Artisanat de la Gironde Nathalie Laporte, interrogée en juillet. La Nouvelle-Aquitaine, elle, est en cours de rédaction et de restitution d’une « feuille de route des savoirs faire d’excellence », justement ciblée sur la filière cuir et les métiers d’art. C’est ce qu’on pourrait trivialement appeler « vouloir garder un pied dans la porte »… 

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