Bordeaux : quand les juridictions financières militent pour l’efficience des services publics


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Temps de lecture 5 min

Publication PUBLIÉ LE 28/01/2019 PAR Romain Béteille

Disparités territoriales

C’est ce vendredi qui s’est déroulée la séance solennelle de la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine, qui a présenté en septembre dernier un rapport régional annuel consacré à la situation financière et à la gestion des collectivités locales. On y découvrait « un coup d’arrêt à la progression de la dépense locale » provoquée par la baisse de la dotation globale de fonctionnement. « Même si 2017 a été marquée par une moindre maîtrise de leurs dépenses, les collectivités ont dégagé une capacité de financement, confirmant l’amélioration globale de leur situation financière », a notamment écrit la CRC. Elle avait également noté des disparités; notamment une épargne nette en 2017 (16,9 milliards d’euros) loin de celle de 2011 (21,1 milliards d’euros), et des besoins de financements qui, s’ils ont globalement reculé dans les régions, sont en augmentation sur les départements et les communes (+23%). Enfin, la CRC avait analysé de grandes disparités, avec des ensembles intercommunaux de grande taille (métropoles) qui bénéficiaient de plus de capacité de mutualisation que les petites collectivités (7% d’épargne brute pour les communes de 1 à 5000 habitants, 34% pour les ensembles de plus de 100 000 habitants).

De l’efficience des finances publiques

Lors de l’audience solennelle de ce vendredi, l’invité principal était Didier Migaud, premier président de la Cour des Comptes, qui ne s’est pas vraiment fait remarquer par l’indulgence de son discours à l’égard de l’efficacité des services publics. Après l’annonce des mesures gouvernementales en réaction au mouvement des gilets jaunes, le responsable, s’il botte en touche dès qu’il s’agit de donner un avis sur les orientations politiques, réchauffe quand même son discours. « Dans le dernier texte financier, un certain nombre de choses n’ont pas été prises en considération- puisqu’elles sont intervenues après le vote de la loi de finance- comme par exemple le pourcentage de déficit des comptes publics (3,2% du produit intérieur brut pour l’année 2019) qui peut susciter quelques interrogations ou incertitudes. Cette année est un peu particulière », a ainsi continué Didier Migaud : « quelques mesures temporaires pèsent sur le déficit public, notamment la transformation du CICE en réductions de cotisations. Cela représente environ 0,9 points de PIB donc ça peut fausser un peu le regard que l’on porte. On constate un redressement lent de nos finances publiques et une interrogation sur l’efficacité et l’efficience de la finance publique ».

« On a un niveau de dépenses publiques très élevé dans notre pays si on le compare à celui d’autres pays. Nous n’avons pas une action et des résultats en proportion. Quand il s’agit de dépenser, on est sur le podium, mais on en est loin lorsqu’il faut mesurer l’efficience. Il faut passer plus de temps à l’appréciation des résultats, alors qu’on en passe aujourd’hui beaucoup sur les intentions. Il ne s’agit pas simplement de définir des moyens pour arriver à des objectifs. Le fait que la commission des finances commence à s’intéresser à l’exécution des dépenses, c’est encourageant ». Pour le responsable, d’ailleurs, les attentes des gilets jaunes, parfois perdues entre le souhait de moins payer d’impôts tout en bénéficiant de plus de services publics, sont une raison de plus pour « tout le monde » de se mettre au travail. Des propos qui tombent très à-propos en plein débat national, dont la fiscalité est un des principaux sujets. « Il existe des doublons, des effets d’aubaine au niveau de certaines mesures. On invite aussi les gestionnaires publics à revisiter les niches fiscales. Le fait de les pérenniser sans jamais les remettre en cause, ça multiplie ces effets d’aubaine. Il y a un travail à faire sur les recettes mais aussi les dépenses publiques », termine notamment Didier Migaud.

PPP et marges de manoeuvre

De son côté, le président de la CRC de Nouvelle-Aquitaine, Jean-François Monteils, a pointé du doigt une décentralisation limitée. « Un certain nombre d’éléments montrent que l’autonomie financière des collectivités territoriales ou d’autres sujets de ce type sont conçus dans notre pays de manière assez restrictive. Les nouveaux dispositifs existants, comme par exemple la contractualisation nationale avec les collectivités, mériteront d’être expertisés, les juridicitions financières s’y emploieront ». Ces dernières n’ont d’ailleurs pas manqué de le faire tout au long de l’année dernière, en épinglant notamment l’opération Biarritz Océan, un contrat passé en partenariat public privé (PPP), modèle jugé « irréaliste générant de lourdes pertes financières ». Ce type de contrat, aujourd’hui de plus en plus remis en cause (exemple récent à Marseille), n’a pas vraiment l’air d’enthousiasmer les magistrats de la CDC, Didier Migaud en tête. « Le plus souvent, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Quand on engage un PPP, il faut avoir fait une étude d’impact sérieuse permettant de l’évaluer. On peut comprendre qu’une collectivité, dans ses arbitrages, puisse faire appel à ce type de procédure mais il faut que cela représente un véritable gain ». Jean-François Monteils, lui, est moins catégorique. « Localement, on a des exemples très mauvais comme Biarritz mais aussi des bons : le stade de Bordeaux a plutôt été négocié très nettement à l’avantage de la collectivité, tellement bien d’ailleurs qu’aujourd’hui la société porteuse est en difficulté. On observe localement deux types de dérives : une collectivité qui n’a pas les moyens techniques pour négocier et suivre cet outil (la plus fréquente) et le fait que le PPP puisse être une tentation très forte parce que c’est le moyen de négocier un énorme investissement avec une mobilisation financière pas très importante initialement. La conjonction des deux a donné des catastrophes mais a aussi donné de bons résultats ».

Les observations et recommandations émises par la chambre en 2018 ont également souligné d’autres situations compliquées, comme la commune d’Angoulême à « la situation financière toujours précaire et aux marges de manoeuvre limitées pour faire face à la baisse des ressources », celle de Brive dont a été souligné le « poids des dépenses d’investissement et l’endettement » ou, plus commentée, l’observation sur Bordeaux effectuée en janvier dernier. Le rapport annuel souligne aussi de grandes difficultés pour deux intercommunalités : Creuse Grand Sud et la communauté d’agglomération de Limoges (devenue récemment communauté urbaine). Enfin, on peut souligner dernièrement les irrégularités concernant la rémunération de plusieurs cadres en Poitou-Charentes et en Aquitaine. « Il faut que personne ne se sente à l’abri total d’un contrôle possible » a émis Didier Migaud, alors qu’une réforme des juridictions financières, entamée dès 2008, envisageait déjà la disparition de la Chambre Régionale des Comptes. Le discours prononcé ce vendredi a fait office, sinon de signal d’alerte, du moins d’une sérieuse lettre d’intention. « Les juridictions financières auront des propositions précises à formuler dans le cadre du Comité Action publique 2022. Une évolution du régime de responsabilité des gestionnaires publics ne doit conduire ni à la confusion des rôles, ni à la dilution des responsabilités. Il serait, à l’heure d’exigences citoyennes toujours plus fortes en matière de probité, particulièrement incompréhensible que la réforme de ce régime aboutisse à une forme d’irresponsabilité générale ». Cette incitation à avoir l’oeil sur les réformes structurelles plutôt que sur celle des juridictions financières, c’est ce qu’on appelle dans le jargon « prêcher pour sa paroisse ». En substance, pourtant, le message est plus limpide : ne pas relâcher l’effort

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